S'agissant du lien de subordination des acteurs et des actrices au metteur en scène, le mouvement #MeToo, de façon générale, est un mouvement de conscientisation globale. Nous faisons émerger la violence et la légitimation du lien de subordination comme le lieu d'une violence possible et légitime dès lors que nous mettons notre corps, notre voix et notre énergie au service d'une œuvre qui n'est pas uniquement la nôtre. Cela s'inscrit dans la structuration verticale donnant au metteur en scène une place hégémonique, ébranlée, depuis plusieurs années, par l'émergence de collectifs qui créent et font du théâtre de façon plus horizontalisée, dont on peut toutefois déplorer qu'elle ne trouve pas de correspondance dans la structuration financière des compagnies.
La question qui se pose est globale : que sommes-nous en mesure d'accepter collectivement au nom de quelque chose et sur quels actes sommes-nous censés fermer les yeux au nom de la liberté d'expression et de création des individus ? Longtemps, on nous a raconté – cela fait partie de la culture du viol – que créer, enseigner et travailler avec notre corps était forcément humiliant et violent, et que tel était le prix à payer pour devenir une ou un grand artiste. Nous contestons cette façon de penser. Nous considérons – il ne s'agit pas d'une naïveté, mais d'une pensée politique – que l'amour, la bienveillance et le care peuvent être une façon de créer à l'égal des autres.
Faut-il légiférer ? Ici, il faut poser la question collective et citoyenne de savoir comment nous voulons vivre les uns avec les autres, et ce que nous acceptons que certains individus subissent sous nos yeux. La loi est claire : on n'a le droit ni de violer ni d'agresser des gens. Le problème est l'application de la loi.
Le débat sur la notion de consentement vous appartient à vous plus qu'à moi. Ce que je constate à mon endroit, c'est que la tolérance, l'omerta et le silence ont régné pendant des années, sous les yeux de chacun. Que des individus soient violentés au profit d'autres a été accepté, en raison de la structuration financière du secteur, de la précarité et de la précarisation des artistes, et de nos imaginaires, des histoires que l'on raconte et de la façon de les raconter.
Les individus puissants ont toujours eu plus de voix que les individus moins puissants. Ils ont toujours raconté les mêmes histoires, de la même façon, au sein des mêmes systèmes de violence, qui se reproduisent donc avec le consentement passif de la majorité des individus. C'est cela qu'il faut remettre en cause.
Il s'agit d'une question philosophique, éthique, morale et citoyenne. Faut-il y répondre par une loi ? Il faut surtout ne pas tolérer la violence. Tout ce que nous demandons, c'est de pouvoir faire notre travail en sécurité, sans être violées, agressées sexuellement ou harcelées. Cela a suffi à provoquer un tollé, et à faire de nous des cibles de violences et d'accusations – la presse nous décrit comme des inquisitrices.
Nous n'avons pas vocation à nous substituer à la justice. Nous n'incitons les victimes qui nous contactent à aucune action en particulier. Elles disent ce qu'elles ont envie de faire, en connaissance de cause, et nous les informons.
Les personnes bénévoles et militantes travaillent gratuitement et sont amenées à se spécialiser en droit, en psychologie et dans de nombreux autres domaines. Elles colmatent les insuffisances de l'État mais ne peuvent pas, en aidant quelques personnes, entraver le fonctionnement du système. Ce que nous voulons, c'est que l'attention se porte sur la façon non d'aider les victimes une fois les faits commis, mais de faire en sorte que plus personne n'en soit victime et doive en parler.