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Intervention de Sébastien Philippe

Réunion du mardi 28 mai 2024 à 18h30
Commission d'enquête relative à la politique française d'expérimentation nucléaire, à l'ensemble des conséquences de l'installation et des opérations du centre d'expérimentation du pacifique en polynésie française, à la reconnaissance, à la prise en charge et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu'à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation

Sébastien Philippe, enseignant-chercheur à l'université de Princeton :

De mémoire, l'IRSN n'a jamais réévalué les doses reçues ni leur impact sur la période 1966-1974 ; le CEA s'en est chargé. L'Institut s'est concentré sur les essais souterrains, qui n'ont pas provoqué de retombées directes. Lors de leur audition, ses représentants ont peut-être jugé les doses faibles, mais je n'ai pas souvenir qu'ils aient affirmé que les risques étaient maîtrisés. Ce serait d'ailleurs illusoire : quand on fait exploser une bombe atomique et qu'un champignon radioactif se propage au gré du vent, on ne contrôle rien.

À l'époque, les services météorologiques ne disposaient pas d'outils permettant de faire des prédictions éloignées. Le petit calculateur IBM que possédait le CEA pour les essais atmosphériques, fourni par les Américains d'ailleurs, faisait des prédictions à six, douze ou dix-huit heures, vingt-quatre heures au maximum. Les outils se sont améliorés progressivement.

Les risques pour la population étaient connus, car de nombreux essais atmosphériques avaient déjà eu lieu. En 1963, trois ans avant la reprise des essais par la France, les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Union soviétique avaient signé un traité d'interdiction des essais nucléaires dans l'atmosphère. Ce fut l'un des premiers grands traités de protection environnementale internationaux. Il faisait suite à l'exposition de populations – notamment de pêcheurs japonais – lors d'essais américains dans les années 1950.

Alors que les précédents essais réalisés en Algérie étaient souterrains, la France a choisi de repasser aux essais atmosphériques en Polynésie, en sachant qu'ils pouvaient exposer les populations. Les zones d'habitation autour du site d'essai étaient précisément identifiées. Les risques étaient donc connus. Les dossiers déclassifiés font état de documents, conservés aux archives du service de santé des armées, qui, à cette époque, présentaient des calculs de doses rapides ou des méthodes d'estimation du risque pour les populations. Nous n'y avons pas eu accès, mais nous savons que cette réflexion a eu lieu.

Malgré tout, le discours politique s'est plu à répéter, pendant trente ans, que les essais étaient propres et ne présentaient pas de risque. Ce n'est qu'en 2021 que le président Emmanuel Macron, dans un discours à Papeete, a reconnu : « On ne peut absolument pas dire qu'ils étaient propres. » Il a appelé à rendre les informations publiques. Je ne pense donc pas que le Gouvernement actuel minimise les risques.

Nous avons démontré que, pendant les essais atmosphériques, une grande partie de la population polynésienne avait été exposée à une valeur potentiellement supérieure au seuil d'indemnisation de 1 mSv. Ce dernier a pour seul objet de limiter l'assiette d'indemnisation et de déterminer qui est éligible ou non. Selon les données du CEA, quelque 10 000 personnes dépassent ce seuil ; si elles ont un cancer, elles pourront solliciter une indemnisation auprès du Civen. Nous avons montré qu'en réalité, 110 000 personnes avaient été potentiellement exposées. Comme l'IRSN l'a confirmé, on ne peut pas garantir qu'elles n'ont pas subi une exposition. Tout le monde le sait désormais, y compris le CEA – qui consulte les publications scientifiques –, l'IRSN – qui reconnaît avoir lu nos travaux – et le Civen – je lui ai adressé une attestation sur l'honneur dans le cadre de la demande d'indemnisation d'une personne atteinte d'un cancer qui a été exposée à Tahiti pendant cette période.

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