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Intervention de François Facchini

Réunion du jeudi 23 mai 2024 à 15h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la très forte croissance de la dette française depuis l'élection présidentielle de 2017 et ses conséquences sur le pouvoir d'achat des français

François Facchini, économiste, professeur à Paris 1 Panthéon Sorbonne, responsable du programme politiques publiques du centre d'économie de la Sorbonne (CES) :

À la lecture de l'un de mes graphiques, j'estime que l'effet des mouvements sociaux sur la dynamique de la dépense n'est pas achevé, dans une situation où il existe une sorte d'incapacité à augmenter les impôts. L'une des définitions d'une dette insoutenable correspond à la situation où un gouvernement ne peut agir ni sur la dépense – parce que c'est impossible politiquement – ni sur l'impôt. Un gouvernement qui ne peut pas toucher à la dépense parce qu'il est bloqué par un compromis social défavorable à la diminution des services publics est conduit à accroître sa dette. Le mouvement des gilets jaunes se place probablement dans ce cadre et il rappelle que ceux qui sont sans voix, en général, utilisent la violence contre l'État.

Ensuite, les déficits sont chroniques depuis 1974. Notre période se caractérise, non pas tant par la tendance à la hausse de la dette, mais par la gestion post crise, dans la mesure où toutes les crises génèrent des dettes, comme nous avons pu le constater en 1993, en 2008 ou en 2020. Les crises économiques n'ont pas la même nature que la crise sanitaire, mais dans les trois situations, les gouvernements ont agi de la même manière durant la crise. En revanche, ils ont agi différemment après la crise.

Un graphique que j'ai construit illustre ce comportement, avec une croissance du stock de dette pendant chaque crise, puis une baisse de ce stock en période de stabilisation de la croissance et en période de retour à la normale, mais cette baisse est toujours moins importante que la baisse observée lors de la période suivant la crise précédente. La dette ne s'autoentretient pas par un effet « boule de neige », mais le niveau de la dette reste très élevé. Selon la littérature économique, une des explications tient dans l'incapacité d'un gouvernement à diminuer la dépense puisqu'il ne peut pas toucher à l'impôt.

Plusieurs pistes d'explication sont envisageables, notamment pour la France. La première concerne le « risque de gérontocratie », à travers une très forte demande des dépenses sociales, des dépenses de santé et des dépenses de retraite. De fait, l'étude des données de l'Insee sur la période 2017-2023 atteste bien de la hausse des dépenses de santé sous l'impact de la crise covid. Quand le corps électoral est constitué de personnes vieillissantes demandant des dépenses qui leur sont favorables, mais refusant les impôts, il est très facile de déplacer la charge de la dépense dans le futur.

La deuxième piste concerne les marchés financiers, qui profitent les premiers de ces politiques monétaires accommodantes. Dès le XIXe siècle, Benjamin Constant a montré que les prêteurs exercent une demande en faveur de la dette, dont ils récupèrent la rente. En l'occurrence, la zone euro nous protège, permettant à la France de se comporter en quelque sorte comme un passager clandestin. Normalement, lorsque la dette d'un pays augmente, celui-ci voit son taux de change baisser et son inflation augmenter, pouvant conduire à la situation qu'ont connu le Liban en 2019 ou l'Argentine de manière récurrente. De son côté, la France est protégée par la zone euro, mais uniquement parce que certains des pays de la zone sont vertueux et respectent leur parole. Légalement, nous sommes en excès de dette, notamment parce que nous ne pouvons pas agir sur les deux leviers, l'impôt et la dépense.

Enfin, une dernière piste concerne la théorie des gouvernements faibles (weak governments). Dans les années 1990, il a été observé que les gouvernements qui étaient fragmentés et avaient une très faible majorité voyaient diminuer leurs possibilités de s'engager dans des politiques d'assainissement et de réduction des dépenses. Vous êtes mieux placés que moi pour savoir que le gouvernement actuel n'a pas de majorité claire et qu'il est donc placé dans la situation de ces gouvernements faibles, qui ne peuvent pas engager des grandes réformes et agir pour diminuer les dépenses.

Cette fragilité se traduit de deux manières. Tout d'abord, lorsque le gouvernement est faible, les électeurs perçoivent moins bien sa responsabilité ; celui-ci peut toujours expliquer qu'il n'a pas de majorité ou que l'opposition n'effectue pas son travail. Ensuite, il est difficile de baisser les dépenses quand de nombreux députés ont la possibilité de négocier des programmes favorables à leur circonscription ou alors à leur ligne politique, puisque chaque voix est essentielle au gouvernement. À titre personnel, j'ai le sentiment que la période 2022-2023 relève de cette situation et il me tarde de connaître les chiffres de l'Insee pour l'année 2023, pour vérifier si cette théorie est confirmée par les faits.

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