S'agissant de la souveraineté, la France est en effet le pays de la zone euro où la dette publique a augmenté le plus en points de PIB au cours de cette période. La raison pour laquelle les autres pays ont diminué leur dette ou l'ont plus contenue est liée mécaniquement au montant de leur déficit.
En 2016, nous étions le deuxième pays de la zone euro en matière de déficit, l'Espagne occupant la première place. Depuis, l'Espagne a réduit sa dette – car elle a réussi à réduire légèrement son déficit public ou l'a très peu augmenté –, qui est désormais plus faible que celle de la France. Ce pays, tout comme le Portugal, bénéficie des effets des mesures de redressement prises sous une très forte contrainte, dans les années 2012-2014 et qui ont entraîné un impact négatif sur l'activité économique.
À court terme, je suis keynésien. À court terme, quand on réduit le déficit public, il est alors possible de prendre des mesures qui ont généralement un effet négatif sur l'activité économique. Mais sur le long terme, les mesures de redressement du déficit, par des hausses d'impôts ou surtout des baisses des dépenses, entraînent des résultats.
L'Italie présente en 2022-2023 un déficit très élevé, apparemment en raison d'une seule mesure, un crédit d'impôt pour la rénovation thermique des logements qui représente plusieurs points de PIB. Mais en réalité, les années précédentes, l'Italie avait fourni des efforts notables, qui lui avaient permis d'être quasiment à l'équilibre en termes de solde primaire, lui permettant de s'inscrire dans une voie plutôt décroissante.
Ensuite, je pense effectivement que le problème fondamental posé par la dette publique concerne sa souveraineté ; et notamment le risque de voir les créanciers de l'État s'inquiéter et demander une prime de risque de plus en plus élevée, entraînant un phénomène de « boule de neige » incontrôlable. Une telle mécanique se termine toujours mal, parfois par un défaut de paiement ou, sans aller jusque-là, par une restructuration et des mesures de redressement.
La France a la chance d'appartenir à la zone euro, ce qui explique probablement que les marchés financiers ne s'inquiètent pas. Depuis le fameux « Whatever it takes » - quoi qu'il en coûte - prononcé en 2012 par Mario Draghi, la BCE dispose de l'instrument financier et juridique qui lui permet d'intervenir pour acheter des dettes d'un pays de la zone en quantité illimitée. De ce fait, elle a les moyens d'arrêter tout mouvement de hausse des taux d'intérêt sur la dette de n'importe quel pays. Mais elle ne peut pas le faire sans contrepartie. Selon le deuxième instrument, celui qui a été mis en place en 2020, elle ne peut intervenir que si d'une part, le pays en question respecte les règles budgétaires européennes – ce qui peut poser problème même si l'on peut toujours arguer que leur non-respect n'a jamais entraîné de sanctions – et d'autre part, que si elle considère que la dette publique du pays en question est soutenable, c'est à dire si la hausse des taux est due à un emballement spéculatif sans véritable cause.
Pour répondre à votre question, nous nous mettons dans la situation de dépendre d'une décision qui sera prise à Francfort par la BCE. Même si la BCE ne laisserait jamais tomber des pays « too big to fail » comme la France ou l'Italie, je pense que nous en paierions un prix politique vis-à-vis de nos partenaires européens. Lorsque l'euro a été créé, les pays du nord de l'Europe n'ont pas signé pour se retrouver dans cette situation ; ils ont mis en place des règles qui visaient justement à l'éviter.