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Intervention de François Ecalle

Réunion du jeudi 23 mai 2024 à 15h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la très forte croissance de la dette française depuis l'élection présidentielle de 2017 et ses conséquences sur le pouvoir d'achat des français

François Ecalle, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie d'abord de m'avoir invité à m'exprimer. Dans mon exposé liminaire, je vais essayer de répondre à la question qui fait l'objet de votre commission d'enquête : quelles sont les raisons de la très forte croissance de la dette française depuis l'élection présidentielle de 2017 et ses conséquences sur le pouvoir d'achat ?

De la fin 2016 à la fin 2023, la dette publique française a augmenté de 911 milliards d'euros. Le déficit public représente la principale cause de l'augmentation de la dette, mais ce n'est pas la seule. Elle peut augmenter ou diminuer alors que le déficit est nul, par exemple en raison de nationalisations ou de privatisations et, plus généralement, des achats ou des ventes d'actifs financiers. À ce titre, les variations du montant des actifs financiers ont contribué pour 7 % à la hausse de la dette sur cette période.

Le déficit public représentait 3,8 % du PIB (produit intérieur brut) en 2016. S'il avait été maintenu à ce niveau entre 2017 et 2023, la dette publique aurait augmenté de 660 milliards d'euros. Pour mesurer l'héritage de l'histoire de la politique économique avant 2017, il convient toutefois de retenir plutôt le déficit structurel de 2016, c'est-à-dire corrigé des effets des fluctuations de l'activité économique, ce qui oblige à émettre des hypothèses difficiles.

En fonction de ces hypothèses, l'héritage de l'histoire de cinquante ans de politique économique explique 50 % à 70 % de l'augmentation de la dette publique de fin 2016 à la fin 2023. La chute du PIB en 2020 explique une partie de la hausse de l'endettement public, mais son impact est largement compensé, d'une part par les effets d'une croissance relativement forte certaines années (2021-2022, mais aussi 2017-2019) ; et d'autre part par une progression du produit des prélèvements obligatoires à législation constante plus rapide que celle du PIB.

Cette forte élasticité des prélèvements obligatoires n'est en effet pas durable et la faiblesse des recettes fiscales en 2023 traduit selon moi un retour à la normale, qui n'est pas terminé. Au total, les effets de la conjoncture et de cette forte élasticité des recettes expliquent seulement de 0 à 10 % de l'augmentation de la dette sur cette période.

Par différence avec les effets précédents, les mesures de hausse ou de baisse des dépenses et des recettes publiques qui ont été mises en œuvre de 2017 à 2023 expliquent entre 20 % et 35 % des 911 milliards d'euros de hausse de la dette publique. Mais 1 milliard d'euros n'a pas la même signification en France aujourd'hui et autrefois, ou encore aujourd'hui en France et dans d'autres pays. C'est pourquoi les économistes rapportent généralement, pour comparer les dettes dans le temps et dans l'espace, le montant de ces dettes au produit intérieur brut. Le PIB constitue une approximation de l'assiette des prélèvements obligatoires qui, eux-mêmes, garantissent le remboursement in fine de la dette publique.

De fin 2016 à fin 2023, la dette publique française est passée de 98 % du PIB à 110,6 % du PIB soit une hausse de 12,6 points. Cette progression est forte, mais la dette avait augmenté plus fortement au cours d'autres périodes marquées par une récession. Ainsi, la dette a augmenté de 18,9 points de PIB de fin 1992 à fin 1996, et de 26,3 points de PIB de fin 2007 à fin 2012. De plus, si la dette française a augmenté de 12,6 points de PIB de fin 2016 à fin 2023, la dette moyenne des pays de la zone euro a diminué de 1,8 point de PIB à la même période.

La France est le pays de la zone euro où la hausse de la dette a été la plus forte en points de PIB sur cette période. Pourtant, le déficit public de la France a moins augmenté de 2016 à 2023 que le déficit moyen de la zone euro : 1,7 point de PIB pour la France contre 2,1 points pour la moyenne de la zone. Mais ce n'est pas tant la hausse du déficit qui explique l'augmentation de la dette que son niveau. Or celui-ci était déjà très élevé en 2016 (3,8 % de PIB) ; il était alors le deuxième de la zone euro et il est demeuré ensuite parmi les plus élevés (en 2023, il était encore le deuxième de la zone euro). La hausse de la dette publique française de 2016 à 2023 a été plus forte que celle des autres pays de la zone euro, en grande partie parce que le déficit public était déjà très élevé en 2016, ce qui renvoie à mes propos précédents sur les causes de cet endettement.

La hausse de 1,7 point de PIB du déficit français sur cette période résulte en fait entièrement de la baisse de 1,7 point des recettes publiques en pourcentage du PIB. Ainsi, les dépenses publiques en pourcentage du PIB en 2023 sont au même niveau qu'en 2016. À l'inverse, dans la zone euro, la hausse de 2,1 points du déficit moyen sur cette même période résulte entièrement d'une augmentation de 2,1 points de PIB des dépenses.

Autrement dit, la hausse du déficit français s'explique par des pertes de recettes, alors que celle des autres pays de la zone euro résulte d'une hausse des dépenses, ce qui ne nous empêche pas d'avoir les dépenses publiques les plus élevées de la zone. Il était souhaitable de réduire les prélèvements obligatoires, mais il fallait d'abord réduire les dépenses et « ne pas mettre la charrue avant les bœufs ». Je précise que d'autres gouvernements français avaient commis la même erreur bien avant 2017. Il s'agit là pour moi d'une des causes importantes de l'augmentation de la dette publique depuis cinquante ans.

En réalité, en empruntant au lieu de réduire les dépenses ou d'augmenter les recettes, nous préservons le pouvoir d'achat des ménages, mais nous remettons le problème à plus tard. Nous pouvons peut-être continuer pendant longtemps d'emprunter pour financer le remboursement des dettes anciennes et le déficit de l'exercice en cours, mais nous prenons des risques. Les créanciers de l'État pourraient ainsi un jour s'inquiéter de notre capacité de remboursement et ajouter une prime de risque de plus en plus forte aux taux d'intérêt auquel nous empruntons, provoquant ainsi un emballement incontrôlé de la dette.

Certes, la Banque centrale européenne (BCE) dispose des moyens juridiques et financiers de l'empêcher. Mais elle ne peut intervenir que si elle considère que notre dette publique est soutenable. Cela signifie qu'elle pourrait alors nous obliger à mettre en œuvre des mesures de redressement draconiennes, cette fois-ci au détriment du pouvoir d'achat des ménages ou de la compétitivité des entreprises. Or la dégradation de la compétitivité des entreprises contribue à augmenter notre déficit commercial, que nous finançons soit en vendant des actifs à des non-résidents, soit en nous endettant vis-à-vis de l'extérieur. Selon moi, la dette extérieure n'est pas plus satisfaisante que la dette publique.

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