Si vous souhaitez que sur ce point, nous nous autorisions une redondance dans le texte – puisqu'il est beaucoup question, depuis le début de ce débat, de langue française et de grammaire –, sachez que j'y suis favorable.
Vous avez eu l'occasion de constater que même si je travaille depuis de nombreuses années sur ces questions, il m'arrive de douter à propos de tel ou tel sujet. En revanche, je ne doute pas une seule seconde lorsque je vous dis, avec toute ma conviction, que je suis totalement défavorable à l'inscription dans la loi de l'expression « à court ou moyen terme ». Ce ne serait pas seulement une erreur ; ce serait une faute. Je vais tenter de vous expliquer pourquoi.
Afin de poser les termes du débat, je commencerai par citer un très bon document publié en mars 2023 par le ministère chargé de l'organisation et des professions de santé, destiné aux professionnels de santé et intitulé « Fin de vie. Mots et formulations de l'anticipation définis juridiquement ou d'usage coutumier par les professionnels des soins palliatifs ».
Ce document récent explique de façon remarquable ce qu'est la fin de vie. Je cite : « Les chercheurs et les autorités publiques, notamment la Haute Autorité de santé, retiennent habituellement deux définitions de cette notion. La première associe la fin de vie à une estimation de la durée de vie restante : le pronostic vital est engagé à court ou moyen terme. » C'est le choix qu'avait initialement retenu le Gouvernement. Or, dans aucune loi en Europe – entendez-moi bien – on ne trouve comme critère l'estimation du temps qu'il reste à vivre. Certes, les Américains, dans l'Oregon plus précisément, ont fait ce choix. Ils ont fixé comme limite une période de six mois à vivre, avant de se rendre compte que ce dispositif n'était pas opérant. La limite va donc passer à douze mois, mais ils s'apercevront sans doute que cela ne fonctionne pas davantage. En revanche, je le répète, personne en Europe n'a retenu le critère du temps de vie estimé.
J'en arrive à la seconde définition proposée dans le document du ministère de la santé : « Elle associe la fin de vie à l'évolution d'une pathologie grave qui rentre en phase avancée, potentiellement mortelle (cancer, défaillance d'organes, maladie neurodégénérative, etc.). » Cela nous conduit à la conclusion suivante, toujours dans le même document : « Ces définitions confirment la possibilité d'une double lecture, celle du temps qu'il reste à vivre » – autrement dit la notion de court ou moyen terme, que je rejette totalement – « et celle de la trajectoire de fin de vie, qui fait appel à un temps variable » – c'est la conception que je défends.
J'ai entendu mentionner le Conseil national de l'Ordre des médecins.
J'ai noté le verbatim de l'intervention qu'a faite le président du Conseil national de l'Ordre des médecins devant la représentation nationale : « Le court terme, c'est déjà difficile. Alors le moyen terme, franchement, ce n'est pas raisonnable de se poser cette question, parce qu'on ne le connaît pas. On ne le connaît pas ! D'autre part, il y a des patients atteints de certaines pathologies, dont les maladies neurodégénératives. Il est impossible de dire le terme de vie ou de mort de ce patient et ce n'est pas ce qu'il veut. Pour le patient, ce n'est pas tant le moment de la mort qui importe, mais celui à partir duquel la vie lui sera insupportable, et en cela, on ne voit pas comment on pourrait fixer le terme. Cela doit être du cas par cas. Je ne crois pas que le terme soit une solution et la notion de terme nous rassure faussement. »
Nous avons auditionné une deuxième personne notable : le président de la Haute Autorité de santé, chargée de définir ce qu'est le moyen terme. Soyons clairs : le fait que cette notion ne soit pas définie ne me préoccupe pas. En effet, que la HAS établisse qu'elle correspond à une période de quelques mois, de six mois ou encore de douze mois ne changera rien au problème qui se pose à nous.
Ce problème est le suivant : nous voudrions nous appuyer sur un critère qui dépend du temps qui reste à vivre au patient, c'est-à-dire demander aux médecins d'être des devins, car l'estimation de ce temps cas par cas relève de la magie. Il faut tout de même oser ! Sur ce point, bien que je n'aie pas toujours été d'accord avec lui, je salue la cohérence de Philippe Juvin.
Je préfère faire du médecin non un devin, mais un expert. Je vous lis l'intervention du président de la HAS devant la représentation nationale : « Est-ce qu'il faut inscrire un délai ? Je considère qu'il n'en faut pas, qu'il faut laisser ce délai en termes d'appréciation cas par cas, parce que si nous allons sur le délai, on peut imaginer également les imprécisions et des contentieux que vous pourrez rencontrer si jamais ce délai était franchi. Concernant le moyen terme, nous avons rapidement balayé la littérature scientifique sur le donné – je dis bien rapidement. On n'a pas trouvé actuellement de disposition sur le plan du droit comparé au niveau international où cette notion de moyen terme était vraiment décrite ou définie. » Et c'est cela qu'on veut nous faire voter ?
Espérant vous avoir convaincus, je conclus, car je ne veux pas abuser de votre temps. On nous dit que la notion de phase avancée ou terminale est inconnue. Ce n'est pas vrai. Jean Leonetti s'y connaît plutôt bien en matière de santé. S'il considérait que ce concept était inconsistant, il ne l'aurait pas fait figurer dans la loi de 2005 qui porte son nom !