D'après moi, ce texte aurait dû être retiré pour être retravaillé par son rapporteur. Celui-ci a malheureusement persisté sans le faire évoluer : je le regrette et le lui ai d'ailleurs fait savoir.
Lorsque l'examen de la proposition de loi a commencé, j'ai dû informer la représentation nationale des substantielles réserves émises par l'Autorité des marchés financiers (AMF). Rappelons que l'empressement du Gouvernement à inscrire son examen à l'ordre du jour a empêché le rapporteur d'organiser l'audition de représentants de cette institution indépendante. Les commissaires aux finances n'avaient donc pas pu prendre connaissance de leur avis et j'ai dû écrire à la présidente pour obtenir ses observations. Qu'elle soit remerciée pour ses réponses, qui ont apporté au débat des lumières dont le rapporteur était, comme nous, privé.
Nos alertes n'ont cependant pas été entendues. Vous nous présentez un projet insécurisant, qui propose de nouvelles mesures de dérégulation et qui renforce le risque systémique. Les droits de vote multiples octroyés pour quinze ans – et non sept, comme recommandé – ont été maintenus ; pendant leur période de validité, les décisions de leurs détenteurs auront un poids vingt-cinq fois plus important que celles des actionnaires ordinaires. J'ignore pourquoi un tel rapport a été conservé, alors que le Haut Comité juridique de la place financière de Paris préconisait de le limiter de un à dix. Il est également très regrettable qu'aucune liste limitative des bénéficiaires de ces super droits de vote n'ait été prévue : ces droits de vote multiples ne protégeront donc pas des acheteurs les fondateurs d'une entreprise, lors de son introduction en Bourse –ce que vous présentiez pourtant comme votre objectif.
Enfin, sans citer exhaustivement les préoccupations de l'AMF, je rappelle que le texte risque de conduire à des opérations financières particulièrement dilutives, susceptibles de générer une forte pression baissière sur le cours des sociétés concernées. Il manque donc de garde-fous et risque de profiter aux plus grands actionnaires. Je le regrette d'autant plus que le pouvoir de décision dans les entreprises se concentre de plus en plus, tout comme les dividendes : d'après Euronext, cinq familles détiennent 18 % du capital cumulé des entreprises du CAC 40, soit 450 milliards d'euros.
Oui, les petites entreprises sont confrontées à des difficultés lorsqu'elles veulent se financer ; cependant, le marché n'est pas la bonne solution. Face aux crises sociales, économiques et environnementales, ce n'est pas la recherche absolue du profit qui doit guider les financements. Les entreprises ne peuvent plus être soumises à des fonds qui recherchent la maximisation immédiate du profit au lieu d'investir dans des projets de long terme. L'épargne des personnes ne doit pas être exposée aux aléas des marchés financiers : je préfère un crédit réorienté vers les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME) ou des aides publiques qui leur seraient avantageusement attribuées, plutôt qu'aux grands groupes.
Vous auriez été embarrassés si vous, ou le Gouvernement – n'est-ce pas son texte, après tout ? –, nous aviez présenté une nouvelle copie : une étude d'impact aurait dû en mesurer les effets sur l'emploi, les rentrées fiscales et la balance des paiements. Or je crains qu'ils ne soient inexistants, comme le démontrent quasiment toutes les études portant sur la politique de l'offre et de la compétitivité, lesquels tendent à avantager, toujours plus, le capital et à déréguler les marchés.
Votre recherche de l'attractivité à tout prix n'est en réalité qu'un prétexte pour accroître ce que vous nommez la compétitivité de la place financière de Paris, comparée à celle de Londres. Je dois observer que la bonne santé des marchés financiers n'est pas toujours liée à l'activité économique. Actuellement, les cadeaux fiscaux s'amoncellent pour séduire des investisseurs qui vous demanderont toujours plus pour toujours moins de retombées économiques : vous avez beau vanter le classement de la France en matière d'attractivité, le même investissement étranger se traduit en moyenne par 33 nouveaux emplois en France, contre 58 en Allemagne ou 326 en Espagne !
De la même manière, une entreprise telle que Stellantis s'apprête à délocaliser la société MA France, implantée en Seine-Saint-Denis, et ainsi produire pour moins cher de l'autre côté de la Méditerranée, quitte à mettre 280 salariés sur le carreau. Or elle annonce dans le même temps des profits records – 18,6 milliards d'euros de bénéfices, dont 6,6 milliards reversés sous forme de dividendes –, ainsi que l'augmentation pharaonique de son directeur général, Carlos Tavares.
Il faut arrêter de croire qu'en dérégulant et qu'en avantageant toujours les investisseurs, les actionnaires et la Bourse de Paris, nous créerons des emplois. Malheureusement, l'évolution économique de ces vingt dernières années montre que c'est parfois et même souvent l'inverse qui se produit.