Les raisons de déplorer la situation économique et financière de l'État s'accumulent ; c'est l'une des raisons expliquant le dépôt de ces deux motions de censure.
Les finances de l'État sont en situation pour le moins difficile, comme l'illustre la dégradation de la notation de la France par l'agence Standard & Poor's. Nous savons tous ici que la crise sanitaire, si elle a eu une influence néfaste, n'explique pas tout. Les budgets, adoptés à coups de 49.3, ont été fondés sur des hypothèses économiques trop optimistes, ce qui entraîne une exécution bien plus défavorable que ce que prévoyait le budget initial, pourtant déjà tendu. Dérapage budgétaire, réduction des droits à la retraite et au chômage, risque d'une procédure pour déficit excessif, décret d'annulation de 10 milliards d'euros sans projet de loi de finances rectificative : les éléments de la défiance sont présents.
Je soulignerai le fait que la situation dans laquelle nous nous trouvons a été exacerbée par les choix de politique économique. Si le Gouvernement a réduit les impôts en valeur, la pression fiscale n'a pas diminué depuis 2017, sans que soit établie une véritable justice fiscale. On remarquera ensuite que ces baisses d'impôts sont réalisées avant la réduction des dépenses, ce qui renforce inéluctablement le déficit budgétaire. Les baisses d'impôts depuis 2017 doivent en fait être considérées comme des cadeaux fiscaux empoisonnés, car elles sont la cause de la hausse du paiement des intérêts de la dette, à présent et à l'avenir.
Autre sujet d'inquiétude, nous sommes persuadés que la trajectoire budgétaire présentée dans le programme de stabilité ne sera pas tenue. Alors que les années 2017 et 2018 sont les seules au cours desquelles on a pu constater une baisse du déficit, vous voulez faire passer ce dernier de 5,5 % du PIB en 2023 à 2,9 % en 2027. Or un effort de 2,6 points de PIB représente près de 70 milliards : on imagine mal comment une telle réduction pourrait être réalisée. En effet, nous naviguons dans un contexte hostile : la croissance n'atteint pas 1 % ; la charge de la dette explose ; nous avons toujours une balance commerciale déficitaire à hauteur de 100 milliards. C'est pourquoi vous comptez, comme toujours, sur les autres administrations publiques pour redresser les finances. La réforme des retraites, celle de l'assurance chômage ou la ponction sur le budget de l'Unedic constituent d'indiscutables atteintes au modèle social et à la gestion paritaire ; et ce n'est que le début. Vous espérez que les collectivités locales et la sécurité sociale réaliseront un excédent de 2,8 points du PIB d'ici la fin du quinquennat, ce qui nous apparaît comme une illusion.
Ainsi des coupes sont-elles encore à craindre dans le domaine de la santé. Pourtant, combien de fois avons-nous relayé dans cet hémicycle les inquiétudes de nos concitoyens sur l'accès aux soins, la désertification médicale et la fermeture des services d'urgences ? Nous avons alerté sur la fatigue des soignants et des personnels hospitaliers. Notre hôpital et plus largement notre système de santé sont à bout de souffle – l'exemple de l'hôpital de Bastia, que je connais bien, est éloquent. Nous avons donc déposé une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les difficultés d'accès aux soins à l'hôpital public, dont Christophe Naegelen est désormais le rapporteur. En effet, rien – ou si peu – n'avait été annoncé pour l'hôpital, en ce qui concerne son organisation comme au sujet de la trajectoire financière prévue.
Parce que la situation financière est grave mais qu'elle ne doit pas peser sur les plus fragiles, le groupe LIOT a inscrit dans sa niche du 13 juin des propositions de loi qui visent à améliorer les comptes et à agir, autant que faire se peut, en faveur de la préservation de notre modèle social.
Vous connaissez la proposition de loi de notre collègue Martine Froger, qui vise à prévenir toute nouvelle modification par décret des règles de l'assurance chômage pour des considérations purement budgétaires.
En commission des finances, Laurent Panifous s'attaquera aux avantages fiscaux pervers qui déstabilisent les Ehpad et entraînent des risques pour les particuliers investisseurs.
Je défendrai quant à moi une proposition de loi visant à diversifier les canaux de financement de la dette. Les intérêts de la dette vont pour moitié à l'étranger, ce qui représente chaque année une hémorragie de plus de 25 milliards. Nous aurions intérêt à en réinjecter une partie dans notre économie pour soutenir la croissance et l'investissement, ce qui procurerait in fine de nouvelles recettes fiscales pour l'État.
Cette niche est donc la réponse du groupe LIOT à la dégradation des comptes publics, mais également au mode actuel de gestion du pays, qui constitue un autre problème et entraîne des dégâts. Qu'on le veuille ou non, la question des territoires périphériques se pose, d'abord et de façon brûlante en Nouvelle-Calédonie. Je n'insisterai pas sur la nécessité d'une réforme constitutionnelle pour l'autonomie de la Corse. Cette réforme n'est pas revendiquée par caprice, mais pour répondre à la dégradation continue de la situation économique, sociale et culturelle de l'île. Pour les autres territoires, notamment en outre-mer, ce ne sont pas les pistes trop timides – et pour certaines problématiques – égrenées par le récent rapport d'Éric Woerth qui nous permettront de sortir de la logique centralisée et personnalisée du pouvoir en France.
Ces remarques étant faites, je tiens à déclarer aussi que nous ne sommes pas dupes au sujet du dépôt de ces deux motions de censure par les groupes LFI et GDR d'un côté, et le RN de l'autre.
Sur le fond, elles visent un objectif que nous ne souhaitons nullement faire nôtre, à six jours du scrutin européen – car c'est bien ce scrutin qui est en ligne de mire. Pour nous, la question est : quid de l'après 9 juin ? Nous espérons vivement qu'une nouvelle phase s'ouvrira, et que le camp présidentiel connaîtra un sursaut qui le conduira enfin à associer pleinement les oppositions constructives aux grandes décisions du pays. Sans cela, nous irons droit dans le mur.
Les députés de mon groupe estiment qu'un tel sursaut fédérateur est encore possible – je pense aux effets de la probable déflagration électorale de dimanche. Nous ne voterons pas ces motions de censure, car même si nous partageons nombre de leurs constats, une telle censure ne serait pas comprise. La parole appartient d'abord au peuple, ce dimanche 9 juin ; ensuite, les conséquences pourront être tirées par qui de droit. Ce même peuple ne comprendrait pas non plus que l'on déclenche une crise institutionnelle dans un monde dangereux et instable – à plus forte raison, à la veille des Jeux olympiques. Les motifs d'inquiétude sont malheureusement nombreux ; nous l'avons encore vu à la fin de la semaine dernière, lorsqu'a été déjoué un projet d'attentat contre le stade Geoffroy-Guichard, à Saint-Étienne.
Le groupe LIOT a déjà pris ses responsabilités en déposant lui-même une motion de censure durant la réforme des retraites. Ce n'est donc pas un blanc-seing que les députés de mon groupe donnent au Gouvernement, mais un avertissement en vue de l'examen budgétaire à l'automne prochain. Concertez-vous vraiment avec le Parlement, arrêtez de ne pas trahir la parole donnée au moment des négociations autour du 49.3. Nous y avions obtenu de la Première ministre qui vous a précédé l'extension du bénéfice du chèque carburant aux Français des classes populaires et moyennes qui utilisent leur voiture. Bien qu'inscrit dans le budget pour 2024, cette disposition a été remise en cause par le ministre de l'économie. Nous demandons en permanence – et en vain – un rééquilibrage de la fiscalité entre économie réelle et économie financière, de même que nous appelons à un renforcement du contrôle des paradis fiscaux et à un effort de convergence fiscale au sein de l'Union européenne. À ce moment charnière de la vie parlementaire que sera le PLF pour 2025, un nouveau passage en force serait interprété comme un signe de dédain par les députés de mon groupe.
Rappelons-nous que les Français ont choisi de ne donner au Président de la République et au Gouvernement qu'une majorité relative. Ils vous ont enjoint de travailler différemment, moins verticalement, plus dans la concertation. C'est d'ailleurs la promesse qui a été faite au lendemain des élections législatives et qui, jusqu'à présent, n'a pas vraiment été tenue. Nous vous rappellerons cette méthode tant qu'il le faudra, afin d'éviter que prospère le chaos espéré par certains et d'épargner au pays de dangereuses aventures institutionnelles.