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Intervention de Davy Rimane

Séance en hémicycle du jeudi 30 mai 2024 à 21h30
Création d'une commission permanente aux collectivités territoriales et aux outre-mer — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDavy Rimane, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

J'ai un aveu à vous faire. La proposition de loi constitutionnelle que je vous soumets aujourd'hui ne visait initialement qu'à la création d'une commission permanente aux outre-mer.

Car si la Ve République, dans les discours des présidents qui se sont succédé à sa tête, ne manque pas de formuler ses engagements envers l'outre-mer, reconnaissez qu'ils finissent en réalité par se réduire, dans cet hémicycle, à cette petite phrase répétée à l'envi : « les outre-mer sont une chance pour la France. »

« Les » outre-mer – mais de quoi s'agit-il exactement ?

Il est bien trop aisé, mais aussi bien trop fréquent, pour ne pas dire systématique, de les réduire à leur caractéristique commune pour en faire une masse indifférenciée.

Ces outre-mer ont certes en commun – et ce n'est pas la moindre de leurs caractéristiques – de se distinguer, par leur éloignement géographique, du territoire hexagonal.

Mais ils se différencient également les uns des autres par leurs singularités. Ces singularités appellent des réponses adaptées, et donc une prise en considération des réalités locales.

Le principe de l'appartenance à la République n'est en effet viable que s'il s'accompagne d'un véritable pacte républicain valorisant les différences fécondes et les singularités irréfragables, ouvert à la diversité de ses composantes.

S'il est vrai pour chacun des territoires ultramarins, ce constat l'est aussi pour l'ensemble des territoires tout court. La création d'une commission permanente aux collectivités territoriales et aux outre-mer est donc pertinente.

En France, la conception unitaire de l'État suppose, depuis 1789, que le droit qui en émane s'applique uniformément sur l'ensemble du territoire. Toutefois, au fil des différentes étapes de la décentralisation, les outre-mer ont été et restent l'illustration que la conception de l'indivisibilité de la République et de l'égalité devant la loi n'implique plus nécessairement l'uniformité de la règle sur l'ensemble du territoire.

À ceux que le terme de différenciation pourrait faire grimacer, je réponds par une citation du juriste et professeur émérite Jacques Caillosse : « Tout processus de décentralisation vaut acceptation d'une dynamique de différenciation ». Cessez donc de vous braquer sur des questions abstraites de syntaxe et concentrez-vous plutôt sur le fait que la différenciation se veut un moyen de mieux répondre aux réalités locales et suppose une traduction concrète pour nos concitoyens.

À ceux qui s'accrochent avec nostalgie à leurs instincts jacobinistes, je rappelle que dans un sondage effectué en 2020, à la demande de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, une large majorité des personnes interrogées – 68 % pour être exact – se déclaraient favorables à l'adaptation des lois nationales aux spécificités locales.

La présente proposition de loi constitutionnelle appelle donc à un profond changement d'état d'esprit, afin d'améliorer l'adaptation de la règle à la diversité des territoires et des situations locales tout autant que l'efficacité de l'action.

J'appelle les actuels et anciens élus locaux qui se trouvent parmi nous – dont je fais partie – à constituer un contrepoids parlementaire au sein de cette assemblée. En effet, que faisons-nous concrètement face aux freins législatifs qui vont à contre-courant des volontés locales ? Que faisons-nous face à la tendance qui consiste à dévitaliser les collectivités en les privant progressivement de leurs moyens financiers, et donc de leur libre administration ?

Permettez-moi de rappeler une réalité : s'agissant des collectivités, la quasi-totalité du droit relève du domaine législatif. Par conséquent, il est parfaitement logique et légitime qu'une commission permanente leur soit dédiée au sein de notre assemblée.

J'appelle ceux qui se font parfois les grands défenseurs des causes ultramarines, qui brandissent leur appartenance à la délégation aux outre-mer comme caution de leur sincérité, sans jamais avoir mis un pied à ses réunions, à promouvoir une véritable acculturation parlementaire aux enjeux de nos territoires.

J'appelle à créer de véritables ponts entre les océans qui séparent vos circonscriptions hexagonales de nos circonscriptions ultramarines, et plus encore à l'heure où progressent certaines velléités autonomistes, qui sont loin de se limiter aux outre-mer.

J'appelle ceux qui s'opposent à tout retour du cumul des mandats à concevoir qu'entre le tout et le rien, un entre-deux est possible, afin de préserver un lien direct entre parlementaires et réalités locales. Alors que les procès en déconnexion se multiplient, il faut permettre au Parlement d'être constamment attentif aux conséquences de l'application concrète des textes adoptés à l'échelle nationale.

Enfin, je me tourne vers ceux qui brandissent le fait majoritaire, qui s'impose au sein des commissions permanentes, pour expliquer que la création d'une commission permanente aux collectivités territoriales et aux outre-mer conduirait à affaiblir la représentation des Ultramarins et à supprimer la délégation aux outre-mer, dont ils sont membres de droit. Depuis qu'elles ont été instituées, les délégations ont végété un temps, avant de disparaître les unes après les autres pour être remplacées par de nouvelles. Avec ou sans commission permanente, rien ne garantit à la délégation aux outre-mer une vie éternelle. Et compte tenu de l'enthousiasme relativement limité qu'elle suscite parmi ses membres, il est fort probable que son espérance de vie soit limitée.

Le « mieux que rien » n'est pas une réponse acceptable. Une délégation sans pouvoir législatif, ce n'est pas mieux que rien ; une délégation sans moyens humains à la hauteur des enjeux à traiter, ce n'est pas mieux que rien ; une délégation ignorée des ministères, ce n'est pas mieux que rien !

Enfin, si j'ai pu moi-même m'extraire de mon prisme ultramarin pour ne pas proposer un texte tourné exclusivement vers les outre-mer, je vous demanderai de ne pas me considérer – nous considérer – à travers le seul statut d'Ultramarins. Les sujets qui touchent les communes, les départements et les régions de l'Hexagone comme des outre-mer sont partagés.

Je terminerai en citant Laurent Fabius qui considérait, alors qu'il était président de l'Assemblée nationale, que « s'il fallait retenir un critère pour estimer le poids réel du Parlement vis-à-vis de l'exécutif, quel que soit le caractère du régime, ce serait justement la place donnée aux commissions ».

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