Les psychologues sont nombreux à nous le dire : il faut entendre les demandes de mort comme des appels au secours. En supprimant la mention du pronostic vital, la commission a considérablement accru le nombre des catégories de personnes concernées : un dépressif pourrait recourir au dispositif au même titre qu'un malade à l'article de la mort. Pire encore, en adoptant le délit d'entrave à l'aide à mourir, elle veut contraindre au silence ceux qui prônent l'accompagnement des malades jusqu'au bout. Non seulement il faudrait permettre aux soignants de tuer leurs patients, mais il leur serait défendu de les encourager à vivre ! Même si je comprends les cas particuliers qui ont pu inspirer votre projet de loi, comment pourrais-je voter en faveur d'un texte qui présente la mort comme une solution, au risque qu'elle devienne vite, pour des raisons économiques et financières, la solution privilégiée ?
L'euthanasie est une boîte de Pandore : une fois ouverte, vous n'arriverez plus à la refermer. En quelques jours, la commission a supprimé les frêles limites établies par le Gouvernement. Jusqu'où irons-nous ? Les Pays-Bas ont récemment autorisé l'euthanasie de mineurs de moins de 12 ans sans leur consentement – celui des parents suffit. En Belgique, une femme de 23 ans, en dépression à la suite des attentats de Bruxelles de 2016, a été euthanasiée en 2022. Dans un monde obnubilé par la performance, le rendement, les économies budgétaires, adopter un tel texte serait prendre l'immense risque que la vulnérabilité, la pauvreté, l'isolement paraissent insupportables, la fin de vie indigne en elle-même. En vérité, ce projet de loi est un danger public : en institutionnalisant un choix individuel, intime, vous feriez, je le répète, courir des risques colossaux à la société tout entière.
Au cours d'un entretien remarquable, paru dans la presse, Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d'État, résume tous les dangers collatéraux de votre projet de loi : « Entre une mort provoquée par la pression sociale ou familiale et une mort réellement voulue, mais que la loi interdirait, je choisis le second risque dont l'occurrence est, de manière certaine, plus rare. Avec ce texte, je redoute qu'il y ait plus de décès par défaut de sollicitude et d'accompagnement que de décès authentiquement souhaités. » Ne mettons pas le doigt, la main, le bras dans l'engrenage d'une société qui, par facilité, préférerait faire mourir plutôt qu'aider à vivre.