La mort peut-elle s'inscrire parmi les droits de la personne humaine ? Drôle de fraternité, alors que la loi est censée protéger particulièrement les plus vulnérables ! L'absolue liberté dont on serait soudain saisi au moment le plus délicat est une fiction. Bourdieu disait que l'on est toujours moins libre qu'on ne le croit. L'histoire d'une vie n'en demeure pas moins celle de l'émancipation individuelle, dans le cadre d'une émancipation collective. Nous ne pouvons évacuer la dimension sociale de la question : elle est au cœur de la discussion.
Dans cette société de la performance, cette future loi renvoie chacun à sa solitude. Elle parle d'une liberté qui ne sera pas acquise à tous. J'ai appris avec Marx et Lucien Sève que la personne humaine porte en elle l'ensemble des rapports sociaux : elle est le fruit de ses relations familiales, et soumise au poids des hégémonismes culturels – l'on nous serine par exemple, durant toute notre vie, que nous coûtons trop cher. Nous n'avons pas tous le même entourage, la même trajectoire, les mêmes conditions matérielles d'existence. Il faut agir pour la République sociale. L'examen de ce texte en pleine crise sociale et sanitaire n'est pas le moindre des problèmes. Demain, combien d'entre nous auront plus vite accès à un produit létal qu'à un centre antidouleur ? Les soins palliatifs et l'assistance au suicide ne sont pas complémentaires, mais contradictoires. En réalité, la première partie du texte risque fort de n'être que l'alibi de la seconde, qui s'avance à pas pressés vers une nouvelle norme sociale aux conditions d'application très élargies.
Les membres du groupe Gauche démocrate et républicaine partagent certaines convictions, notamment touchant la place et les moyens du service public, mais non la même opinion concernant l'aide à mourir. Nous étions plusieurs à penser que ces interrogations un peu vives méritaient d'être exposées à la tribune, avec toute l'humilité à laquelle invitent ce caractère solennel et le sujet lui-même. La décision politique que nous devons prendre emporte une question civilisationnelle, anthropologique. Elle mérite un examen critique, qui dépasse les fausses évidences. Prenons garde : pour vivre intensément, soignons tout humain et tout l'humain.