Ce projet de loi porte sur un sujet profondément humain et complexe : l'accompagnement des malades et la fin de vie. Il nous appelle à une réflexion empreinte de compassion, de dignité et de respect des droits de chacun.
Depuis vingt ans, notre législation a progressivement évolué pour mieux prendre en compte l'autonomie des patients en fin de vie. La loi de 1999 a garanti le droit d'accès aux soins palliatifs ; la loi Kouchner de 2002 a renforcé les droits des malades ; la loi Claeys-Leonetti de 2016 a développé les soins palliatifs et, entre autres, permis la sédation profonde et continue jusqu'au décès, afin de soulager d'ultimes et insupportables souffrances.
Malgré ces avancées, une inquiétude persiste chez nos concitoyens quant au déroulement de leur fin de vie. Elle a une part de réalité ; elle est avant tout liée à des expériences personnelles qui témoignent du manque de développement des soins palliatifs sur le territoire, en particulier dans les départements ruraux et dans les territoires d'outre-mer. Ce projet de loi vise à répondre à ces attentes en renforçant les soins palliatifs et en introduisant l'aide à mourir à des conditions qui se veulent strictes.
Le premier titre, consacré aux soins d'accompagnement, propose de renouveler la prise en charge de la douleur et de la fin de vie en intégrant des soins variés et en créant des maisons d'accompagnement. Ces structures intermédiaires entre le domicile et l'hôpital seront financées par l'assurance maladie. Elles accueilleront les personnes en fin de vie et leurs proches, leur offrant un environnement adapté et respectueux. La première des propositions faites au patient sera toujours d'avoir accès aux soins palliatifs.
La situation actuelle montre des lacunes importantes. En France, malgré les progrès, une vingtaine de départements sont dépourvus d'unités de soins palliatifs. Parmi les nations de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France se classe seulement quinzième en matière de densité de services spécialisés en soins palliatifs. D'ici à 2035, près de 440 000 personnes en auront besoin.
Ces chiffres démontrent l'urgence qui s'attache à renforcer nos infrastructures hospitalières et à développer des solutions de prise en charge à domicile et dans les établissements médico-sociaux.
Pour faire face à ces besoins, les agences régionales de santé (ARS) ont reçu en 2023 des instructions leur permettant de structurer des filières territoriales de soins palliatifs. Détaillée par Mme la ministre, la stratégie décennale des soins d'accompagnement consacre à ces derniers plus de 1 milliard d'euros supplémentaires. Elle inclut la création de maisons d'accompagnement, le déploiement d'équipes mobiles et l'amélioration de la prise en charge de la douleur, notamment chez les enfants. Elle se fixe aussi comme priorité qu'avant la fin de l'année 2025, chaque département dispose d'au moins une unité de soins palliatifs.
Le deuxième titre du projet de loi concerne spécifiquement l'aide à mourir. Il a défini dès l'origine des critères stricts permettant de garantir que cette aide est mise en œuvre de manière éthique et responsable. Pour y être éligible, il faut être majeur, résider en France, être capable de discernement, être atteint d'une maladie grave et incurable, en phase avancée ou terminale, et souffrir de douleurs réfractaires ou insupportables. La procédure d'aide à mourir est rigoureusement encadrée, depuis la demande initiale jusqu'à l'administration de la substance létale. Elle prévoit des délais de réflexion et des contrôles médicaux.
Il est essentiel de comprendre les raisons qui conduisent à légiférer sur le sujet, parmi lesquelles la volonté d'épargner à nos concitoyens condamnés par la maladie une agonie et une souffrance insupportables. C'est sur cette base que nous ouvrons le débat sur l'aide à mourir.
La dimension sémantique de celui-ci est importante. Beaucoup voudraient que nous parlions d'euthanasie ou de suicide assisté. Il est cependant cohérent d'utiliser une expression plus englobante et qui reflète l'engagement sans borne des professionnels de santé envers les patients et leurs familles.
Certaines modifications apportées en commission suscitent des inquiétudes légitimes, particulièrement au sein de mon groupe. Le remplacement du critère de pronostic vital engagé à court ou moyen terme par celui de phase avancée ou terminale contredit totalement l'esprit du texte initial. Les auteurs de l'amendement qui a introduit ce changement pensaient étendre l'accès à l'aide à mourir à un plus grand nombre de malades, mais ce nouveau critère en exclut d'autres.
En adoptant cet amendement, nous avons remplacé une expression critiquée pour son imprécision – « à court ou moyen terme » – par une autre encore moins claire. Or il est essentiel que le législateur écrive la loi avec mesure et humilité, en prenant en considération l'incidence que chacun des mots employés aura sur le terrain, a fortiori lorsqu'il s'agit d'une solution irréversible.
Je souhaite que nos débats nous fournissent l'occasion de refermer rapidement ce que certains ont appelé la boîte de Pandore, c'est-à-dire de revenir à des critères clairs, équilibrés et compréhensibles pour les professionnels de santé et tous les Français.
La possibilité d'inscrire une demande d'aide à mourir dans les directives anticipées soulève également des questions d'éthique, car prendre une décision plusieurs années avant son application pourrait empêcher l'exercice libre et éclairé de la volonté aux derniers instants de la vie. Nous en débattrons.
Un autre amendement adopté en commission nous préoccupe : celui qui tend à permettre au malade de choisir entre l'auto-administration de la substance létale et son administration par un tiers. Il sera nécessaire d'encadrer strictement ce choix pour garantir le respect des souhaits du patient et prévenir d'éventuels abus.
Ces craintes ne doivent pas nous contraindre à l'immobilisme au sujet de l'accompagnement de la fin de vie et à l'abandon des malades souffrant d'une affection incurable et insupportable. Nous ne pouvons fermer les yeux sur ces personnes qui souffrent dans un silence général et vont parfois tragiquement jusqu'à se donner la mort elles-mêmes à l'hôpital, symbole de l'insuffisance des réponses que nous apportons à leurs souffrances.
Pour ceux qui ne voient pas de différence entre l'aide active à mourir et le suicide, l'exemple d'Alain Cocq est révélateur. Atteint d'une maladie incurable pendant trente-cinq ans, il a tenté de mettre fin à ses jours à deux reprises en 2020 en se laissant mourir dans l'agonie et la souffrance. Ses deux tentatives tranchent avec la fin paisible qui a été la sienne l'année suivante, sur un lit d'hôpital en Suisse, grâce à l'aide active à mourir.
Certains prétendent qu'avec ce texte, la médecine serait autorisée à tuer. Permettez-moi de citer la définition académique du verbe tuer : « Ôter la vie d'une manière violente. » Je pense que nous autoriserions précisément la médecine à faire l'inverse : les Français et les médecins qui souhaitent que la France autorise l'aide à mourir, en l'assortissant d'un cadre très strict, sont convaincus qu'elle permettra à ceux qui le demandent de partir selon leur volonté et entourés de la compassion de ceux qui accompagnent la fin de vie.