Évidemment, la mort fait peur – celle de nos proches, la nôtre. Nous la regardons de loin, nous la repoussons, nous en faisons presque un tabou, espérant peut-être qu'en évitant d'y penser, nous l'empêchons d'arriver. Devant elle, nous sommes si petits, si impuissants, si seuls ! Absolue et définitive, elle rend presque tout insignifiant. La mort fait peur, mais elle existe : nous serions bien naïfs, surtout en tant que société, de nous refuser à la penser. Toutefois, ne nous y trompons pas : nous ne légiférons pas sur la mort ni sur le choix de mourir, mais sur le droit de choisir la façon dont nous allons mourir ; non pour précipiter la mort, mais pour écourter d'insupportables souffrances, quand la mort est inéluctable et proche.
Au cours de nos débats, nous ne verrons pas se dégager un camp qui aura raison et un qui aura tort : il n'y a aucune certitude, aucune vérité. Peut-être est-ce la raison pour laquelle certains hésitent, ne savent comment se prononcer sur ce texte. Les témoins que nous avons entendus, les personnes que nous avons rencontrées nous ont livré leur part de vérité, leur histoire. Aucune n'avait tort, toutes avaient raison. Nous nous devrons de les respecter ; mais que cette humilité ne nous empêche pas d'agir, de légiférer. L'humilité consiste aussi à reconnaître que les hommes et la médecine ne peuvent pas tout, à admettre que l'on peut ne pas souhaiter quelque chose pour soi-même et ne pas le refuser pour autant à ceux qui en expriment le besoin.
Nous travaillons depuis presque deux ans à un texte consacré à l'accompagnement des personnes en fin de vie. Nous avons eu l'occasion d'analyser l'état du droit, son application et ses limites. C'est aujourd'hui l'aboutissement d'une réflexion difficile, mais nécessaire, le début d'une nouvelle phase qui, je l'espère, conduira à l'adoption par notre assemblée d'un texte fidèle au projet initial qui nous a été soumis, au sujet éminemment sensible, à l'équilibre particulièrement fragile.
Car c'est un sujet complexe : les convictions personnelles, philosophiques, religieuses prennent une part prépondérante. En outre, elles ne sont jamais acquises : le cheminement est la règle. Combien se sont surpris, au moment où leur vie finissait, à vouloir pour eux-mêmes ce qu'ils avaient toujours refusé pour les autres ? Combien ont changé d'avis face à la maladie ?
C'est aussi un sujet profondément sociétal, de responsabilité collective. Les citoyens que nous sommes exprimeront leurs convictions intimes – la liberté de vote sera la règle au sein de mon groupe. Mais en tant que législateurs, nous devons veiller à ce que nos débats garantissent à chacun une fin de vie digne et apaisée.
En dépit d'une évolution positive de la législation, nous continuons à mal mourir en France – pas toujours, pas partout, mais encore trop souvent, notamment dans des situations très spécifiques pour lesquelles nous n'avons pas de solution satisfaisante et auxquelles notre droit n'est pas adapté.
S'agissant des soins palliatifs, ce texte ne saurait garantir à lui seul leur accès à tous et partout. L'amélioration de la prise en charge passe nécessairement par la création et le renforcement des structures en charge des soins palliatifs. Il est évident que les moyens humains et financiers déployés seront une des clés de la réussite des objectifs affichés.
Le Gouvernement a présenté une stratégie décennale ambitieuse. Il doit maintenant la respecter, d'autant que le projet de loi crée une nouvelle structure, les maisons d'accompagnement, intermédiaire entre le domicile et l'établissement.
C'est un apport positif pour celles et ceux qui ne peuvent rester à leur domicile, en raison par exemple d'un isolement social et familial, mais ne relèvent pas non plus nécessairement du niveau de soins élevé dispensé en unité de soins palliatifs hospitalière.
Il faut renforcer la formation initiale et continue des professionnels de santé. Le manque profond de culture palliative de nos soignants est l'un des principaux enseignements des travaux préparatoires.
C'est pourquoi nous défendons l'inscription dans la loi du diplôme d'études spécialisées de médecine palliative et soins d'accompagnement mais aussi, plus largement, la formation de toutes celles et ceux qui sont amenés à intervenir auprès des personnes en fin de vie.