« La mort n'est rien. Je suis simplement passé dans la pièce à côté. Je suis moi. Tu es toi. Ce que nous étions l'un pour l'autre, nous le sommes toujours. » Cet extrait du sermon prononcé par Henry Scott Holland à l'occasion de la mort d'Édouard VII, nous l'avons entendu, peut-être même lu, à un moment de notre vie. Le décès d'un parent, d'un proche, est une épreuve ; lorsqu'une maladie grave remplit notre quotidien, l'épreuve peut vite devenir insurmontable, pour la personne touchée d'abord, tant sa douleur physique voire psychologique est grande, pour l'entourage ensuite, tant la dégradation et la souffrance auxquelles il est confronté le plongent dans un tunnel de tristesse, parfois de culpabilité. Je me souviens d'une femme rencontrée à Nancy, dont l'époux était en fin de vie, et qui me disait être passée d'aimante à aidante : une seule lettre avait changé, le d de « difficile ».
La mort est inscrite en nous. C'est notre destinée : elle n'épargne personne. De toutes les peurs, celle de mourir, indissociable de la peur de souffrir, l'emporte chez la plupart d'entre nous. Omniprésente, cette angoisse profonde est paradoxalement devenue invisible. On la contourne. On l'esquive. Ce n'est pas un sujet rassembleur, alors qu'il devrait nous rapprocher. Jean d'Ormesson disait : « La vie est belle parce que nous mourons. » N'est-ce pas cela, le fil de la vie ? Comment refuser de soulager un proche touché par une maladie qui pourrait lui réserver d'atroces souffrances ? Qui n'y a pas été confronté ne peut répondre à cette question. Il nous faut du courage pour anticiper la fin de vie et définir ensemble le chemin, la ligne de crête, la possible voie éthique permettant à certains patients qui vont mourir d'accéder au droit de mourir.
Frédéric Worms expose que le choix de légaliser l'aide à mourir reste une façon résolue de défendre la vie : « S'il y a une manière de justifier cette mort choisie dans des situations de fin de vie, c'est pour éviter ce que des philosophes ont appelé le pire que la mort. […] Et cela peut entraîner le choix douloureux (et sidérant) de la mort, elle-même, comme moindre mal. » C'est pourquoi soulager par la mort les personnes que des souffrances intolérables ont extraites de leur vie relève d'une démarche de solidarité qu'il faut savoir faire avec l'ensemble des soignants consentants, après que tous les soins ont été prodigués, dans le respect des préférences du patient. Le modèle français de fin de vie que nous présentons n'est donc pas la conséquence d'une rupture anthropologique, comme l'affirment certains : il s'inscrit au contraire dans un continuum marqué depuis plus de vingt ans par la conviction que le respect de l'autre ne peut être réel que lorsque nous faisons preuve à la fois de solidarité et de respect de son autonomie. Ces valeurs nourrissent tout autant notre volonté de consolider la médecine palliative, qui fait l'objet du titre Ier du texte, que celle de légaliser l'accès à une aide à mourir, objet de son titre II.
Ce projet de loi est difficile parce qu'il touche à l'intime, parce qu'il nous oblige à regarder en face – responsabilité immense – des malades qui souffrent atrocement et vont mourir, à les écouter vraiment, sans les juger, sans interpréter ce que nous croyons qu'elles ressentent, en respectant leur décision. Les Français sont de plus en plus nombreux à s'interroger au sujet de la fin de vie : les attentes qu'ils expriment requièrent pédagogie et engagement.
Après trente-cinq heures d'auditions et cinquante consacrées aux amendements, nous entamons la discussion en séance publique du texte issu des travaux de la commission spéciale que j'ai eu l'honneur de présider : je remercie sincèrement ses soixante-dix membres d'avoir rendu possible un travail sérieux et un débat respectueux. Je remercie également Mme la ministre de sa présence tout au long de l'examen des 1 700 amendements. À titre personnel, je soutiendrai en séance les amendements suivant cette ligne de crête qui fera la force du modèle français de la fin de vie : le respect du choix du malade allié à la considération de ce que les soignants peuvent accepter. C'est par cette alliance que nous rendrons possible l'aide à mourir.
Je voudrais citer, pour conclure, le grand dirigeant sportif Charles Biétry. Cette force de la nature lutte contre la maladie de Charcot, avec le soutien admirable et sans faille de sa famille. Voici ce qu'il m'a dit, il y a quelques mois : « Lorsque j'ai su que d'atroces souffrances m'attendaient, lorsqu'il m'est devenu évident que les miens souffriraient tout autant de me voir dans un lit, inerte, sans échange possible, guettant, longtemps peut-être, un dernier souffle, alors la famille s'est réunie. Non sans émotion, non sans quelques larmes, non sans quelques mains serrées, nous avons décidé que nous ne laisserions pas la mort décider pour nous. » À ceux qui ne pensent pas comme lui, et qui sont majoritairement en bonne santé, il répond : « Laissez-moi mourir tranquille. »
Au moment où nous commençons nos travaux en séance, c'est avec émotion et gratitude que je remercie le Président de la République d'avoir ouvert ce dossier de la fin de vie, en rappelant que le développement des soins palliatifs et d'accompagnement est une priorité absolue. Je remercie les membres de la Convention citoyenne de leur travail remarquable, exemple de la démocratie participative venant nourrir la démocratie représentative.