Je vous remercie, madame la présidente, de m'accueillir pour l'examen de cette proposition de loi. Le département du Nord est effectivement très bien représenté ce matin.
Je démarrerai cette intervention par des mots qui ne sont pas les miens, mais ceux de Véronique, une ancienne patiente que nous avons auditionnée et qui est aujourd'hui guérie de son cancer du sein. « Lorsqu'une femme est opérée, qu'on lui enlève une partie du sein ou le sein entier, et qu'elle se découvre mutilée dans le miroir, sans cheveux, le teint livide, épuisée, les soins de support sont un moyen de retrouver de l'énergie, de se réapproprier son corps et d'aller de l'avant. Faire bonne figure, ne pas se laisser aller devant les enfants pour ne pas les effrayer ! »
Véronique, comme une femme sur huit au cours de sa vie, a eu un cancer du sein. S'il s'agit du cancer des femmes, ce n'est pas seulement parce que seul 1 % des diagnostics concernent les hommes, mais surtout parce qu'il a une incidence particulière sur le corps d'une femme, sur son image, sur sa féminité : à la perte des cheveux et des ongles, s'ajoute l'ablation des seins.
Ce cancer est diagnostiqué à 60 000 femmes chaque année. En 2023, la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) recensait plus de 700 000 femmes vivant avec un cancer du sein actif, c'est-à-dire en phase de traitement ou de surveillance post-traitement. Cancer le plus meurtrier chez les femmes, il tue encore plus de 12 000 d'entre elles chaque année.
Alors que cette pathologie relève du statut protecteur des affections de longue durée (ALD), qui permet une prise en charge dite « intégrale » du traitement par l'assurance maladie, le reste à charge moyen pour les patientes est, dans la pratique, très important et en augmentation, ce qui est source de précarité et ce qui les conduit parfois à renoncer aux soins. Ce type de cancer se distingue en effet par un niveau variable, mais souvent très élevé de dépenses non remboursées. Les malades, ainsi que la Ligue nationale contre le cancer, font état d'un montant compris entre 1 300 et 2 500 euros.
Si le reste à charge moyen est difficile à établir, c'est parce qu'il dépend de la capacité des femmes à se faire soigner dans le secteur public et à accéder aux soins de support grâce à une association de patients, de leur niveau de couverture complémentaire, et des soins auxquels elles décident de renoncer, faute de moyens. Vous l'aurez compris : les femmes ne sont pas égales face à la maladie. Selon une étude menée en 2019 par la Ligue nationale contre le cancer, plus de la moitié des femmes de moins de 40 ans atteintes d'un cancer du sein éprouvent des craintes pour leur budget.
Le reste à charge résulte d'abord de participations forfaitaires et des franchises. Celles-ci ne font d'augmenter, qu'il s'agisse des franchises médicales sur les médicaments ou sur les transports sanitaires, qui ont doublé, du forfait journalier hospitalier, ou encore du forfait patient urgences.
Il est également le fruit des dépassements d'honoraires pour des soins réalisés dans le secteur privé en l'absence d'offre accessible dans le public. Les dépassements relatifs à la chirurgie de reconstruction après l'ablation du sein, par exemple, atteignent la somme de 10 000 euros pour les deux seins avec un résultat symétrique. Est-ce aux patientes de payer le prix de l'absence de régulation de l'offre sur le territoire ? Rappelons que 15 % d'entre elles renoncent à la reconstruction mammaire pour des motifs financiers.
Le reste à charge provient aussi des achats de produits qui ne sont pas inclus dans le panier de soins, bien qu'ils soient prescrits et souvent indispensables. C'est le cas des brassières post-opératoires ou compressives, des mousses mobilisatrices utilisées en cas d'œdème du sein, d'œdème du thorax ou de lymphœdème au niveau du bras, ou encore des manchons pour le lymphœdème chronique, qui peuvent coûter jusqu'à 100 euros. En cas de reconstruction mammaire, les soutiens-gorge post-opératoires, indispensables et obligatoires, ne sont pas non plus pris en charge. Comme ils sont à porter vingt-quatre heures sur vingt-quatre le premier mois, il faut s'en procurer au moins deux, pour un coût total pouvant s'élever à 140 euros.
J'y insiste : les patientes les plus précaires renoncent à certains soins ou produits qui, non pris en charge ou insuffisamment remboursés, s'avèrent trop onéreux. À titre d'illustration, en 2021, seules 50 114 personnes sur les 347 000 traitées par chimiothérapie ont bénéficié d'une prothèse capillaire remboursée.
Évoquons enfin les soins de support, que sont l'activité physique adaptée (APA), les consultations de diététique, le suivi psychologique, ou encore les soins socio-esthétiques. Définis et listés par l'Institut national du cancer (Inca), ils sont indispensables aux patientes, mais eux non plus ne sont pas remboursés par l'assurance maladie.
L'APA, dont nous parlons régulièrement à l'Assemblée nationale, et dont l'efficacité pour réduire les risques de récidive est démontrée scientifiquement, n'est pas même prise en charge lorsqu'elle est prescrite par un médecin. Il faut ainsi compter un reste à charge de 400 euros pour les femmes suivant dix séances, soit le minimum recommandé. N'entrant pas dans le système de soins, les professionnels de ce secteur ne sont, par surcroît, pas agréés, ce qui ouvre la voie à des charlatans et à des pratiques sectaires, dont sont victimes des femmes déjà affaiblies par la maladie. « Si on avait une pilule dont il est démontré qu'elle réduit le risque de cancer, elle serait remboursée immédiatement. Alors pourquoi on ne rembourse pas l'APA ? », a demandé avec colère l'une des patientes que nous avons auditionnées.
Cette situation confine à une double injustice sociale. Alors que le cancer du sein touche principalement les femmes, celles-ci touchent en moyenne des revenus plus faibles et se trouvent plus souvent en situation de famille monoparentale ou de travail précaire, tout en ayant donc un reste à charge très élevé.
Je parle ici d'une réalité quotidienne pour de nombreuses malades. Isabelle, agricultrice à Saint-Amand-les-Eaux, diagnostiquée fin 2019 pour un cancer du sein très agressif et qui se trouve toujours sous traitement, a témoigné de sa situation très précaire lors de son audition. « La prise en charge par la Mutualité sociale agricole était au début de 19 euros par jour, avant de passer à 25 euros par jour pour faire tourner l'exploitation. En pratique, cela correspond à une heure de travail de mon salarié [qu'elle emploie à temps plein] , à qui j'ai demandé de s'occuper de mes bêtes, parce que je ne pouvais pas le faire ; je n'avais pas la force avec mes traitements. Même avec la complémentaire, qui m'a versé 65 euros d'indemnités par jour, j'ai dû puiser dans mes économies. Aujourd'hui, je suis très dépendante de mon état physique. J'ai été opérée il y a trois semaines et je ne peux pas me mettre en arrêt de travail, car je n'ai plus droit à rien. Heureusement, j'ai pu être opérée dans le secteur public. »
Pourtant, dans son rapport intitulé Stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030, paru le mois dernier, l'Inca rappelle que « cinq ans après un diagnostic de cancer, deux personnes sur trois souffrent de séquelles dues à la maladie ou au traitement ». Et d'ajouter que « l'accès à une offre [...] de reconstruction, la prévention, le repérage et le traitement des séquelles, le développement des soins de support et la facilitation des parcours de vie sont des leviers de progrès majeurs pour améliorer la qualité de vie de ces personnes et réduire l'impact des cancers dans notre pays ».
Voilà pourquoi il est urgent d'agir et d'envoyer un signal à toutes ces femmes, ainsi qu'aux associations qui se mobilisent tous les ans à l'occasion d'Octobre rose, afin de leur dire collectivement que nous les avons entendues, que nous allons réparer l'injustice, que nous allons les accompagner et que l'argent ne sera pas un frein à leurs chances de guérison et de reconstruction après le cancer.
L'objet de la proposition de loi est ainsi de garantir une prise en charge intégrale et effective de l'ensemble des dépenses liées au traitement du cancer du sein, aussi bien pendant qu'après le traitement. Cette prise en charge ne serait pas limitée dans le temps, couvrant même des années plus tard des soins consécutifs au traitement. Elle concernerait toutes les dépenses qui constituent actuellement le reste à charge des patientes, c'est-à-dire toutes les participations forfaitaires et les franchises, les dépassements d'honoraires, les soins de support, mais aussi tous les produits et dispositifs médicaux prescrits. Le texte vise à renouer avec la promesse de notre modèle social, de notre sécurité sociale : celle de l'égal accès de tous à des soins de qualité, grâce à une prise en charge intégrale par la sécurité sociale.
Cette proposition de loi résulte d'une promesse, que Yannick Monnet, député de l'Allier, et moi-même avons faite le 8 mars dernier à des femmes en colère, qui nous ont interpellés dans nos circonscriptions sur leurs terribles situations. À la détresse de la maladie, s'ajoutent l'angoisse financière et les difficultés pour se soigner, nous ont-elles dit. Nous leur avons promis d'agir et d'inscrire cette question à l'ordre du jour de nos travaux, de sorte que nous n'entendions plus à l'avenir, comme nous l'a confié une malade, qu'entre « se soigner et se nourrir, il faut choisir ».