L'examen de la présente proposition de résolution est très attendu des habitants de nos territoires ultramarins. Je veux porter avec honneur la voix des dizaines de milliers d'Ultramarins frappés de plein fouet par la crise du logement, particulièrement du logement social.
Nous devons nous prononcer sur la création d'une commission d'enquête visant à déterminer les responsabilités des différents acteurs dans la crise du logement social que les outre-mer traversent depuis de nombreuses années. Cette proposition fait l'objet d'une demande forte de nos concitoyens, mais également des différentes parties prenantes à la politique du logement social.
La création d'une commission d'enquête devant être soumise à plusieurs règles, voici les informations qui m'ont été transmises par les services de l'Assemblée nationale sur la recevabilité de cette proposition. Selon l'article 137 du règlement de l'Assemblée, les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ». En l'occurrence, les faits sur lesquels la commission d'enquête devra enquêter semblent définis avec une précision très largement suffisante : selon l'article unique de la proposition de résolution, la commission serait notamment chargée d'enquêter sur le phénomène de non-décence du logement social neuf et réhabilité dans les départements et régions d'outre-mer (Drom) régis par l'article 73 de la Constitution.
Pour approfondir ce sujet majeur, je propose, en vous invitant à voter mes amendements CE2 et CE3, d'élargir le champ de la commission d'enquête à la recherche des causes du déficit de construction et de livraison de logements sociaux dans les territoires ultramarins concernés. En effet, il me paraît crucial de parvenir à identifier l'origine des défaillances constatées au sein de la chaîne de production et de livraison du logement social afin de mieux les résorber.
Dans ces conditions, l'objet des investigations de la commission d'enquête serait déterminé avec une précision suffisante et sans ambiguïté, rendant la proposition de résolution conforme à l'article 137 précité.
Par ailleurs, par un courrier reçu en date du 21 mai 2024, le Garde des sceaux a fait savoir qu'à sa connaissance, aucune poursuite judiciaire n'était actuellement en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition de résolution.
La proposition de résolution paraît donc satisfaire les différents critères de recevabilité juridique prévus par le Règlement de notre assemblée.
Pourquoi lancer une telle commission d'enquête ?
L'un des plus pressants des défis auxquels les Français d'outre-mer sont confrontés est sans aucun doute celui du logement. La situation actuelle apparaît en effet alarmante et mérite notre attention la plus vive ; nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les réalités du terrain.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Alors que plus de 80 % des ménages ultramarins sont éligibles au logement social et près de 70 % au logement très social, seuls 15 % d'entre eux résident effectivement dans le parc social. Ce taux extrêmement faible dissimule d'importantes disparités entre les différents territoires dits d'outre-mer. Plus de 10 000 demandes de logement social sont en attente en Guadeloupe, plus de 12 000 en Guyane et près de 44 000 à La Réunion. Ces retards chroniques dans la livraison des logements sociaux sont inacceptables et appellent des mesures fortes et immédiates.
Le projet de loi pour développer l'offre de logements abordables, qui vise à inclure la construction de logements intermédiaires dans les objectifs de production de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), soulève des interrogations légitimes. Compte tenu du niveau de vie des populations ultramarines, leurs besoins se concentrent principalement sur le logement social, voire très social. Inclure les logements intermédiaires dans les objectifs de production pourrait ainsi freiner la construction et la réhabilitation des logements sociaux, alors même que ces territoires souffrent déjà de retards conséquents dans leur livraison.
De plus, bien que l'annonce d'une livraison de 150 000 logements en dix ans puisse sembler ambitieuse, les crédits alloués à la ligne budgétaire unique (LBU) n'ont pas évolué proportionnellement pour permettre la réalisation de cette politique.
En outre, une fois livrés, les logements sociaux s'avèrent souvent inabordables pour les Ultramarins. Le niveau de vie de ces derniers est en effet structurellement inférieur à celui des populations vivant dans l'Hexagone, comme l'a montré le rapport de la commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution. Au 1er janvier 2022, le prix de location mensuel d'un logement social par mètre carré de surface habitable y était en moyenne supérieur au coût de 6,05 euros observé dans l'Hexagone et atteignait même 8,76 euros à Mayotte. Seule exception notable : la Martinique, où les loyers restent inférieurs, mais où le taux de pauvreté n'a rien de comparable.
Ainsi, le droit au logement, bien que juridiquement garanti, reste lacunaire en pratique, alors que l'accession sociale à la propriété suscite de fortes attentes au sein des territoires ultramarins.
Les Drom se caractérisent par un double phénomène de prévalence de l'habitat insalubre – près de 147 500 logements sont concernés sur un total de près de 900 000, soit 16 % – et de développement de l'habitat illégal et spontané, en particulier en Guyane et à Mayotte.
La problématique de la non-décence des logements concerne à la fois l'insalubrité du bâti et sa dangerosité. Cette situation est humainement intolérable : nombre d'Ultramarins ne trouvent plus de solutions d'hébergement durable et sont contraints de vivre dans la rue ou de s'accommoder d'une qualité de vie médiocre et dangereuse pour leur santé mentale et physique.
Ce phénomène est également observé, bien souvent, à l'issue d'opérations de réhabilitation. L'âge moyen du parc social ultramarin s'établit à 19 ans, contre 39 ans dans l'Hexagone, mais les logements sociaux construits dans ces territoires nécessitent des réfections d'ampleur car ils sont plus rapidement touchés par l'obsolescence. Il est incompréhensible pour les habitants que leurs logements neufs se dégradent plus vite que certains logements anciens.
Cette commission d'enquête sera l'occasion d'analyser les données statistiques relatives à la non-décence du logement social, fréquemment sous-évaluée, de déterminer les causes des défaillances dans la chaîne de livraison des logements sociaux en outre-mer, et enfin de s'enquérir de l'existence de malfaçons, qui met en lumière le manque de contrôle a priori et a posteriori des constructions de logements sociaux.
En effet, alors qu'à La Réunion près de 45 % du financement des programmes de logements sociaux relève de subventions, contre 28 % dans l'Hexagone, les contrôles opérés par les services de l'État de la qualité des matériaux utilisés et des lots livrés une fois l'agrément accordé apparaissent lacunaires, sinon inexistants. Il est dès lors fréquent que des arrêtés de péril soient pris sur des logements neufs, obligeant parfois à décider la destruction de bâtiments nouvellement livrés en raison du risque imminent qu'ils représentent pour la sécurité des occupants. Or, en tant que contributeur principal, l'État se doit d'assurer pleinement le contrôle du respect des normes de construction ; le manque d'effectifs ne peut légitimer constamment cet état de fait.
La commission d'enquête s'emploiera donc à apprécier de manière objective, globale, détaillée et pragmatique l'ensemble des causes qui contribuent, directement ou indirectement, au désordre constaté dans le logement social neuf et réhabilité, afin d'apporter à ce problème des réponses à la hauteur des enjeux pour les populations ultramarines.
Les différentes réunions de travail avec les principaux acteurs concernés, notamment celle qui s'est tenue à La Réunion le 3 février 2024 avec la Confédération nationale du logement et des représentants d'usagers, mais également les rencontres avec le préfet et les bailleurs sociaux, ont témoigné d'un large consensus pour faire exister cette commission d'enquête. L'ensemble des acteurs locaux ont exprimé le besoin que des actions concrètes remédient à cette situation alarmante.
Dès lors, il est de notre devoir de répondre à cet appel. Nous ne pouvons plus ignorer les souffrances de nos concitoyens ultramarins. Nous ne pouvons plus tolérer que des familles vivent dans des conditions indignes, dans des logements insalubres et dangereux. Il est grand temps de prendre des mesures concrètes et efficaces pour améliorer la situation du logement social dans les départements et régions d'outre-mer.
La proposition de résolution tendant à la création de cette commission d'enquête chargée d'étudier et d'évaluer les causes du déficit de construction et de livraisons de logements sociaux, de la non-décence et de l'insalubrité du logement social dans les Drom apparaît à la fois recevable juridiquement et opportune politiquement. Elle est nécessaire pour comprendre les causes profondes de cette situation et pour instaurer des solutions durables. Il est de notre responsabilité de garantir à tous nos concitoyens le droit à un logement décent et abordable. C'est un droit fondamental, un droit humain, et nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour le concrétiser. Les Françaises et les Français d'outre-mer comptent sur nous.