S'agissant des freins qui restent à lever, j'insisterai sur deux d'entre eux, en rappelant la multiplication par laquelle je concluais mon propos liminaire : dans l'ordre économique, l'Europe doit jouer la taille, multipliée par la puissance financière, multipliée par l'efficacité publique. J'ai parlé des deux derniers termes, et je souhaite dire un mot de la taille. Paradoxalement, le marché unique américain est considéré comme beaucoup plus attractif, une espèce de marché de référence mondial. D'ailleurs, alors que nous savons faire naître des start-up en Europe, celles-ci deviennent souvent américaines quand elles grandissent, par leurs financements et en raison de l'idée selon laquelle il faut absolument être sur le marché américain. Pourtant, le marché unique européen pèse encore aussi lourd que le marché unique américain, même si notre croissance est moins forte. Nous sommes de taille équivalente, mais nous ne sommes pas perçus comme aussi attractifs. Le rapport d'Enrico Letta avance des propositions pour approfondir le marché unique. Cet atout n'est pas qu'un héritage glorieux de Jacques Delors. C'est un atout dynamique, que nous pouvons encore renforcer. J'en veux pour preuve la démonstration par l'absurde qu'est le Brexit. Les estimations britanniques montrent que la sortie du marché unique a déjà coûté entre trois et cinq points de croissance à cette économie. Selon de nombreuses estimations, dont celle du Fonds monétaire international (FMI), en diminuant de 10 % des obstacles frontaliers qui demeurent à l'intérieur de l'Europe, nous pourrions gagner jusqu'à sept points de croissance. Il existe donc un vrai potentiel si nous jouons l'atout de la taille.
Nous pesons aussi lourd que le marché américain, mais nous sommes moins rapides. Cela renvoie au potentiel d'innovation. Sans doute existe-t-il une composante culturelle. Si l'économiste de l'innovation qu'était Schumpeter est mort aux États-Unis, il est né en Europe : il n'y a aucune fatalité à ce que notre continent, avec son modèle social, ne soit pas innovant ! Les pays du Nord de l'Europe figurent parmi les plus innovants et ont un modèle social fort. Je ne vois donc pas de contradiction. Nous devons dégager davantage de moyens, notamment en matière de fonds propres, et nous devons accélérer.
Concernant les dépôts des banques, ceux à la Banque de France représentaient 883 milliards d'euros à la fin 2023. Ce montant est sans doute plus bas aujourd'hui. Nous versons des intérêts à ce titre. Mais les banques ont elles-mêmes des frais liés à la remontée des taux, en particulier pour l'épargne réglementée. En France, les passifs des banques sont plus coûteux qu'ailleurs, en raison du choix de rémunérer le livret A à 3 % et le livret d'épargne populaire (LEP) à 5 %. Je relève au passage le grand succès du LEP, puisque nous en comptons 11,5 millions. En 2023, les résultats des banques françaises ont plutôt diminué par rapport à l'année précédente. Autrement dit, le coût de la remontée des taux pour la Banque centrale, que nous avons vu dans nos résultats, ne se retrouve pas en profits supplémentaires pour les banques françaises, qui elles-mêmes ont eu des coûts liés cette remontée.
S'agissant des réserves obligatoires, nous avons, en zone euro, le régime le plus contraignant de toutes les grandes banques centrales. D'une part, nous sommes parmi les rares à avoir encore des réserves obligatoires. D'autre part, nous sommes les seuls pays à les rémunérer à zéro. Ce régime est relativement peu favorable aux banques européennes, mais je l'assume. J'ai soutenu cette réforme de juillet dernier.
Cet équilibre permet la bonne transmission de la politique monétaire. La meilleure solution pour aller dans le sens que vous souhaitez sera la baisse progressive des taux dont j'ai parlé.