Je vous remercie pour votre lecture de ma lettre au Président de la République. Je souligne à nouveau l'indépendance de la Banque de France, dont le rôle n'est évidemment pas de distribuer les bons ou les mauvais points politiques.
Monsieur le président, vous m'avez soupçonné d'optimisme. Je me méfie toujours de ce mot : « optimisme » et « pessimisme » renvoient à des attitudes psychologiques. Or le devoir de la Banque de France est d'être du côté de la lucidité et de la confiance. En l'occurrence, il existe des éléments de confiance, mais aussi des éléments de vigilance – je crois les avoir soulignés. Plusieurs indicateurs à court terme ne vont pas dans le bon sens, je vous rejoins sur ce point. C'est vrai de l'emploi, du crédit immobilier et des faillites d'entreprises. Cela étant, la perspective est plutôt dans le sens de la reprise. Notre degré de confiance est ici significatif, tant pour la France que pour l'Europe – la confiance n'est pas la certitude : il serait ridicule d'afficher une certitude dans l'environnement très incertain qui est le nôtre.
Depuis quarante ans, la France n'a jamais été aussi près d'atteindre l'objectif de plein emploi, que l'on pourrait définir par 5 % de taux de chômage et environ 72 % de taux d'emploi. J'ai dessiné l'horizon de la décennie, car le ralentissement conjoncturel joue ; sans se focaliser sur telle ou telle date, conserver ce cap me paraît important, car cela changerait tout, sur le plan de la cohésion sociale et du potentiel de croissance économique dans notre pays.
S'agissant des faillites d'entreprises, elles étaient en moyenne de 59 000 par an avant le covid. Leur nombre actuel est inférieur à cette moyenne, mais je vous donne acte que nous allons probablement la rattraper, en partie en raison d'un phénomène de rattrapage. Nous restons vigilants concernant les entreprises en situation difficile. À cet égard, la médiation du crédit de la Banque de France est à disposition des entreprises, gratuitement et efficacement, dans chaque département. Elle n'est pas submergée de dossiers, mais nous restons mobilisés, avec les services publics de l'État.
À propos des salaires et des prix, vous avez relevé à juste titre que nos concitoyens sont très sensibles à l'augmentation des prix, notamment alimentaires, qui ont connu une inflation à deux chiffres au début de l'année dernière. Nous sommes revenus à une inflation plus modérée, puisque le dernier indice de l'Insee est à 1 %, mais j'ai conscience que la perception n'est pas celle-là. Le mauvais souvenir du prix de l'essence à la pompe en 2022 ou du caddie en hypermarché en 2023 reste fort, et c'est normal. Mais je crois que les choses vont dans le bon sens.
Nos concitoyens sont également sensibles – c'est légitime – au niveau des prix, et pas seulement à leur évolution. La victoire contre l'inflation, qui ralentit, ne veut pas dire qu'on revient au niveau antérieur des prix. Mais l'on ne revient pas non plus, heureusement, au niveau antérieur des salaires et des retraites : ils ont aussi monté. Une baisse des prix entraînerait une déflation douloureuse pour l'économie.
Concernant les déficits et la dette, nous avons déjà eu une partie de ce débat, monsieur le président, et je ne prétends pas le purger aujourd'hui. Je relève qu'il existe un lien entre le financement en partie public des investissements écologiques et la maîtrise de la dette héritée du passé. Le poids des intérêts de la dette mange de plus en plus notre marge de manœuvre. La charge d'intérêt de toute la dette publique, dont la dette de l'État constitue l'essentiel, était de 30 milliards d'euros en 2020 – ce qui constituait un point bas. Elle est attendue à 55 milliards cette année et à plus de 80 milliards en 2027. Près de 50 milliards sont ainsi mangés par l'augmentation de la charge de la dette. C'est autant de marge de manœuvre en moins pour les dépenses d'avenir, en particulier pour le climat ou l'éducation.
Nous ne menons pas une politique monétariste et d'austérité. Je crois avoir assez insisté quant au fait que dès lors que nous étions efficaces contre l'inflation, ce qui est la première attente de nos concitoyens et notre mandat, nous nous devions d'avoir les taux les plus bas possibles pour soutenir l'activité. C'est le sens de la première baisse de taux. Je relève, au passage, que les taux en Europe, à 4 %, sont significativement inférieurs à ceux des États-Unis, à 5,5 %.
Le débat budgétaire en Allemagne pourrait être un point de convergence entre nous. La France sera d'autant plus en situation de peser en faveur de politiques budgétaires équilibrées dans toute l'Europe qu'elle aura elle-même avancé dans ce domaine.
Concernant les dépenses publiques, la Banque de France ne plaide pas l'austérité ou la baisse générale des dépenses. Nous devrions viser un objectif plus modeste et réaliste : aller progressivement vers une quasi-stabilisation des dépenses publiques en volume, déduction faite de l'inflation. Or celles-ci continuent à augmenter de 1 % à 1,5 % par an. Nous avons les dépenses publiques les plus élevées d'Europe et de tous les pays avancés dans le monde, et elles continuent de croître. L'un de premiers leviers du redressement consiste non pas à faire baisser ces dépenses, mais à ralentir leur croissance.
Des mesures fiscales ciblées peuvent aussi jouer un rôle complémentaire. La France n'a plus les moyens d'appliquer de nouvelles baisses d'impôts non financées. Depuis dix ans – je choisis une date neutre –, la baisse des impôts a représenté 2 % du PIB. La baisse des impôts est une attente forte de nos concitoyens, mais nous n'en avons plus les moyens.
Concernant la cotation verte, je vous remercie d'avoir salué l'engagement de la Banque de France. Nous le devons au Parlement, puisque c'est dans la loi « industrie verte » que vous nous avez confié ce mandat. Il n'y aura pas de contrainte, mais ce sera un outil efficace : dès 2027, des dizaines de milliers d'entreprises disposeront, à côté de leur cotation financière, d'un indicateur climat qui leur permettra de mesurer leur progression et de se comparer à la moyenne de leur secteur. Cet outil sera également utilisé par les banques, et jouera certainement un rôle pour la qualité des financements.
Concernant le verdissement de la politique monétaire, la Banque centrale européenne, est pionnière et la plus avancée de toutes les grandes banques centrales, sous l'égide de Christine Lagarde – votre serviteur y a contribué. Vous m'autoriserez un petit moment d'autosatisfaction et de fierté nationale : parmi les banques centrales du G20, la Banque de France est classée comme la banque centrale la plus verte par un panel d'ONG internationales.
S'agissant de la situation de la Banque de France, nous sommes attentifs au bien-être des collaborateurs. Ainsi que nous en avons régulièrement parlé ici, la Banque de France s'est transformée, heureusement, pour rendre aux Français des services encore meilleurs au meilleur coût. Le statut protecteur dont bénéficient les hommes et les femmes de cette institution est pleinement justifié par la qualité de leur travail, que je veux saluer. Mais le changement nous impose d'être encore plus attentifs à la qualité de vie au travail. Aussi avons-nous lancé, depuis octobre, un programme Bien-être au travail. Nous avons diffusé un questionnaire interne, auquel plus de 60 % des collaborateurs ont répondu. Il fait ressortir des points positifs mais aussi des points d'attention. Il est complémentaire des recommandations du rapport commandé par les organisations syndicales. Les actions que nous retenons ont été partagées avec le personnel et les organisations syndicales, depuis janvier. Nous avons deux boussoles : rendre les meilleurs services au meilleur coût à nos concitoyens – c'est notre premier devoir – et améliorer encore la qualité de vie au travail des hommes et des femmes de la Banque de France que je salue.
Monsieur le rapporteur général, notre lettre annuelle reprend des chiffres intéressants concernant la performance de la France par rapport à l'Allemagne et à la moyenne de la zone euro. Depuis 1999, notre inflation moyenne annuelle s'établit à 1,9 %. Elle est moindre que celle de la zone euro, qui se situe à 2,1 %, et très proche de l'objectif de 2 %. Cela a aidé le pouvoir d'achat, même si ça n'est pas la seule composante. Quitte à surprendre – car je sais que ce n'est pas l'impression des Français –, je souligne que les gains cumulés de pouvoir d'achat ont représenté 25 % en moyenne en France depuis 1999, contre 17 % pour la moyenne de la zone euro. S'ajoute à cela la baisse sensible des taux d'emprunt – qu'il s'agisse des emprunts d'État, des crédits immobiliers ou des crédits aux entreprises.
Vous avez également évoqué les États-Unis. Je ne commenterai pas la politique monétaire de nos collègues, mais l'inflation est plus résistante aux États-Unis et l'activité y est plus forte. Le calendrier de la baisse des taux de la Federal Reserve semble donc plus éloigné que ce qui était prévu il y a quelques mois. C'est la raison pour laquelle j'ai insisté sur l'un des grands avantages de la zone euro : son autonomie accrue de décision. De fait, la zone euro est moins soumise à des influences extérieures, notamment américaines, que ne le serait chaque pays individuellement. Christine Lagarde l'a dit, nous sommes dépendants des données, mais pas de la Federal Reserve. Je ne peux que le confirmer. Nous prendrons nos décisions futures de baisse, après celle très probable de juin, en fonction des données européennes et pas américaines.
Merci pour votre confiance. J'y suis très sensible, de même que les hommes et les femmes de toutes institutions que vous avez citées. Notre devoir est de veiller à ce qu'à un environnement très turbulent ne s'ajoute pas une crise financière et bancaire. La France et l'Europe ont été efficaces en la matière. Je rappelle qu'en mars 2023, il y a eu une crise bancaire aux États-Unis, mais aussi en Suisse, sans contagion à la zone euro grâce à la réglementation de Bâle III et à la surveillance efficace de l'union bancaire dont nous marquons le dixième anniversaire. J'apprécie donc ce que vous avez exprimé, qui nous vaut obligation d'action.
Concernant la monnaie numérique de banque centrale, ce qui se joue là, c'est la liberté de choix de nos concitoyens en matière de moyens de paiement et d'accès à la monnaie, notamment de banque centrale. La distinction n'est pas toujours perçue par nos concitoyens : ils ont le choix de payer avec de la monnaie de banque commerciale – carte de crédit, chèque, virement à partir de leur compte bancaire – ou avec de la monnaie de banque centrale que sont les billets et les pièces, que nous conserverons. Nous voulons simplement enrichir le choix, en proposant une monnaie numérique à côté de la monnaie de banque centrale papier ou métallique. Ce sera probablement un moyen de paiement minoritaire. Je veux rassurer les banques commerciales : notre idée n'est pas de gagner des parts de marché par rapport aux moyens de paiement en monnaie commerciale, mais de garantir l'accès des citoyens à la monnaie de banque centrale. C'est à la fois un enjeu de confiance dans la monnaie et un enjeu démocratique.
J'en viens, pour finir, à l'union des marchés de capitaux et au rapport Noyer. Pour citer un ancien Premier ministre, dans « union des marchés de capitaux » il y a peut-être au moins deux mauvais mots. En tout cas, cet intitulé renvoie à la technique et pas à la finalité : mobiliser l'épargne pour l'investissement climatique et d'innovation en Europe. Je soutiens les propositions du rapport Noyer. Je mets également l'accent sur un renforcement de la titrisation, pour lequel deux conditions doivent être réunies. D'abord, la titrisation doit être absolument sûre, car on sait les excès qui ont contribué à la crise de 2007 aux États-Unis. Ensuite, la titrisation doit être verte. L'idée, prometteuse, est la suivante : alors que la Commission européenne vient d'ouvrir la possibilité d'utiliser le label EuGB – green bonds, c'est-à-dire obligations vertes européennes –, dès lors que les fonds dégagés au bilan des banques, par exemple par la titrisation de crédits immobiliers, seraient affectés à des activités durables au sens de la taxonomie européenne. Ce pourrait être un levier important pour augmenter la capacité de financement de projets verts par les banques, de plusieurs centaines de milliards d'euros par an. La titrisation verte est sous-développée en Europe. Paradoxalement, elle l'est davantage aux États-Unis. Il y a là un levier nouveau et prometteur pour l'union pour l'épargne et l'investissement.