J'entends votre confiance dans le modèle social européen et votre discours teinté d'optimisme s'agissant de la situation économique. J'ignore si c'est du volontarisme ou de l'optimisme fondé sur des études.
Je ne souhaite pas que vous vous trompiez, car je ne souhaite pas du malheur pour mon pays. Mais vous évoquez la tendance vers un retour au plein-emploi ; j'observe, pour ma part, que les chiffres de l'Insee sont plutôt mauvais pour la fin de l'année. Quant à vos propos concernant le logement et le crédit, ils me semblent aussi relever du vœu pieux et ne pas correspondre à la réalité, notamment dans le domaine de la construction. S'agissant des entreprises, les chiffres de la Banque de France montrent que 2023 a été une année record depuis 2017 en nombre de faillites : il y en a eu 55 000. Enfin, si l'évolution des salaires, supérieure à l'inflation depuis quelques mois, peut être perçue comme une bonne nouvelle, il sera difficile de rattraper l'écart creusé par le phénomène inverse qui s'est étalé dans le long terme. Qui plus est, il est ici question de l'inflation moyenne, mais c'est moins vrai au regard de l'augmentation des prix alimentaires, qui affecte davantage les ménages disposant de faibles salaires. Je prends donc avec des pincettes le cadre global que vous avez présenté.
Par ailleurs, j'estime que la maîtrise des déficits et de la dette publique ne devrait pas être une question prioritaire et que la dette est, pour de nombreuses raisons, encore supportable. En tout cas, cette question me semble moins prioritaire que celle des investissements nécessaires en matière de transition écologique. Vous indiquez que les conditions sont réunies pour maintenir le modèle social européen et investir dans la transition écologique. Nous observons pourtant plutôt un retour, après le « quoi qu'il en coûte » lié au covid, à une politique monétariste et d'austérité, avec de nouvelles contraintes affirmées par Bruxelles. M. Draghi s'est lui-même récemment montré critique quant à la politique de baisse des dépenses publiques et à celle de l'offre, qui s'attaque principalement au prix du travail. La politique écologique n'est pas au rendez-vous, et je suis donc moins optimiste que vous – sans compter qu'on peut craindre un décrochage par rapport à d'autres blocs du monde.
On cite souvent les chiffres du déficit public national comme la preuve d'un décrochage français. Mais, si l'an dernier nous avons pu nous féliciter d'avoir une croissance bien meilleure que les Allemands, c'était aussi dû aux dépenses publiques et au modèle social français, plus protecteur face au risque de récession que les politiques monétaristes. Un débat s'ouvre d'ailleurs en Allemagne, à ce sujet.
Les annonces du Gouvernement au sujet de la baisse de la dépense publique dans les années à venir me semblent problématiques, à la fois pour la transition écologique, pour les besoins sociaux des Français et même pour l'activité économique.
Voilà pour nos désaccords, ou en tout cas nos différences d'approche.
En revanche, je note avec satisfaction que nous partageons un même constat : la question n'est pas tant de savoir comment augmenter les impôts, mais comment arrêter de mal les baisser. Ces six dernières années, ils ont été mal baissés, de manière inégale et favorable aux dividendes mais pas à l'activité économique.
Certaines niches profitent majoritairement au CAC40 et aux ménages les plus favorisés, et elles sont nombreuses à être encore antiécologiques. Vous soulignez les effets négatifs de cette politique qui contribue au déficit et nous coûte deux points de PIB, et vous préconisez non seulement de couper dans les dépenses publiques, mais aussi d'augmenter les recettes en revoyant certaines niches, en taxant les rentes, en améliorant le ciblage des allégements de cotisations sociales et en élargissant des assiettes « pour aller dans le sens de la justice ». Nous pouvons nous retrouver dans cette préoccupation : notre fiscalité doit être plus juste et plus efficace. Pourriez-vous préciser vos préconisations ? Concernant les élargissements d'assiettes, notamment, quelles impositions pourraient être concernées – la taxe sur les transactions financières, par exemple ?
La Banque de France s'est lancée dans une cotation climatique des entreprises, une notation verte. C'est une bonne idée, en particulier quand on sait que les banques continuent à financer massivement les énergies fossiles. Je regrette, toutefois, qu'elle n'intervienne que maintenant et ne s'accompagne d'aucune contrainte – ou, au contraire, que les entreprises vertueuses ne bénéficient pas de meilleures conditions de financement. N'est-il pas nécessaire d'aller plus loin, en mettant à contribution la politique monétaire pour accélérer la bifurcation écologique et en recrutant les agents nécessaires à son application ?
Enfin, je ne peux pas passer sous silence le rapport sur les risques psychosociaux qui a été présenté au comité social et économique (CSE) de la Banque de France le 23 avril et qui révèle les conséquences des transformations menées dans cette institution. Je sais que vous considérez que les constats sont essentiellement à charge et vous apparaissent difficilement exploitables. Il n'empêche que ce rapport évoque une transformation conduite « au pas de charge » : réduction des effectifs de 26 % depuis 2015, expérimentation de la rémunération à la performance, augmentation du point d'indice de 7,9 % entre 2013 et 2023 – alors que l'inflation a été de 19 % –, perte de sens et externalisation de certaines fonctions. Cette transformation n'est d'ailleurs pas achevée, puisqu'il est encore prévu de fermer neuf caisses, avec une inévitable dégradation des conditions de travail à la clé. L'application d'une logique de baisse des dépenses dans la gestion des services publics n'est-elle pas l'une des causes de l'augmentation du mal-être des agents, et une menace pour nos services publics ?