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Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 15 mai 2024 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Je vous remercie de m'accueillir pour cette audition. Rendre compte aux élus de la nation fait partie des devoirs de la Banque de France, qui est au service de nos concitoyens.

Je commencerai par la situation économique, qui est en phase de transition. Nous sortons progressivement de la crise inflationniste et nous allons inverser le cycle des taux. Toutefois, à mesure que la marée inflationniste se retire, les défis structurels de fond réapparaissent. Je parlerai, à ce titre, des besoins de financement, privés et publics, de l'économie française.

S'agissant de la conjoncture, la première bonne nouvelle est que la victoire contre l'inflation est en vue. En France, celle-ci est redescendue de son pic de 7,3 % en février de l'an dernier, pour s'établir à 2,4 % en avril 2024. Je raisonne selon l'indice européen harmonisé, tandis que l'indice national est à 2,2 %. Cette décrue tient d'abord à des facteurs extérieurs comme le recul des prix de l'énergie et de l'alimentation, déterminés par les cours mondiaux. Mais elle est aussi due aussi aux effets bien réels de la politique monétaire. Outre l'effet traditionnel de la hausse des taux directeurs sur le canal du crédit, il existe ce que l'on pourrait appeler un canal des anticipations. En l'occurrence, les anticipations d'inflation ont été mieux maîtrisées, ce qui a joué un rôle très positif. C'est la grande différence avec les années 1970 : nous avons évité des spirales durables prix-salaires-marges.

Je veux confirmer notre engagement : il y aura peut-être des variations de court terme de l'inflation dans les mois à venir, mais nous allons ramener cette dernière à 2 % d'ici l'an prochain au plus tard. Nous suivons de près l'évolution des cours du pétrole ; ces derniers ne montrent pas de mouvements significatifs et le prix du Brent reste, à ce stade, sous le seuil des 90 dollars. Nous surveillons également l'évolution des prix des services, composante essentielle de l'inflation sous-jacente. Même si elle est traditionnellement plus lente à refluer, nous sommes descendus d'un pic de 4,3 % il y a un an à 3,3 % en avril.

Concernant la politique monétaire, dès lors que nous avons confiance en notre capacité à arriver à destination, nous devons choisir la trajectoire des taux qui en minimisera le coût économique. Aussi le temps est-il venu de décider la première baisse des taux courts ; ce sera selon toute probabilité début juin. Ensuite, le rythme des baisses sera décidé à chaque réunion en fonction des données et des prévisions européennes –c'est l'un des avantages d'avoir fait l'euro : grâce à notre vaste marché intérieur, nous sommes désormais moins dépendants des décisions américaines. En effet, les variations du dollar pèsent pour moins de 10 % de l'inflation européenne. Nous aurons une marge de manœuvre significative avant de revenir à une politique trop accommodante, les estimations récentes de la Banque de France évaluant le taux neutre – ou taux d'équilibre – entre 2 % et 2,5 % en termes nominaux.

La seconde bonne nouvelle est que la désinflation soutiendra l'activité. Nous avons évité la récession redoutée, avec une croissance de 0,9 % l'an dernier et de 0,2 % au premier trimestre – comme l'avait prévu la Banque de France, je le souligne au passage. Nous avons publié ce matin notre enquête mensuelle de conjoncture, laquelle confirme une bonne résilience en avril, en particulier dans les services, le mois de mai étant plus incertain à cause des ponts. Désormais, les salaires croissent en moyenne plus vite que les prix. Cela signifie du pouvoir d'achat, donc de la consommation ; celle-ci redeviendrait le premier moteur de la croissance, tandis que c'était le commerce extérieur l'an dernier.

Pour l'ensemble de l'année 2024, l'acquis de croissance se monte déjà à 0,5 % après le premier trimestre. Les prévisions s'étagent entre 1 % pour le Gouvernement, 0,8 % pour la Banque de France en mars et 0,7 % pour certaines organisations internationales. À ce stade de l'année, ces écarts relèvent de la marge d'incertitude légitime. Si une petite musique de la reprise commence à s'entendre à travers certains indicateurs européens, la Banque de France en reste à un constat de résilience. En revanche, une reprise plus vigoureuse est attendue en 2025 et 2026, la baisse des taux soutenant plus fortement l'investissement.

J'en viens aux besoins de financement de l'économie française et européenne.

À mesure que nous sortons de l'urgence inflationniste, nous devons retrouver ce que j'ai appelé dans ma lettre annuelle une ambition de plus long terme, pour muscler la croissance française et européenne. Depuis dix ans, en ce qui concerne les faiblesses structurelles, nous avons beaucoup progressé en matière d'emploi. Entre 2015 et 2023, le taux d'emploi est passé de 64,7 % à 68,4 %. Parallèlement, le taux de chômage, bien qu'en hausse temporaire à 7,8 %, est bien inférieur à son pic de 2013, qui dépassait 10 %. En outre, plus de 50 000 emplois privés ont été créés au premier trimestre. Ces progrès encourageants constituent une raison supplémentaire de garder collectivement le cap du plein emploi, atteignable dans cette décennie.

Mais, si nous avons progressé en matière d'emploi, nous avons peu progressé pour ce qui est des finances publiques ; or, nous avons devant nous des besoins d'investissement très importants pour les transitions écologique et numérique.

À cet égard, je voudrais revenir sur trois impératifs, le premier étant le redressement des finances publiques.

Notre dette publique s'élève à 111 % du PIB, soit vingt points de PIB de plus que la zone euro. Quelles sont les voies d'un redressement des finances publiques françaises ? C'est, bien sûr, au débat démocratique qu'il revient de choisir les différentes mesures d'économie et de recette nécessaires. Néanmoins, la Banque de France veut mettre à disposition du débat son analyse économique globale et indépendante. Il n'existe pas de solution simple et univoque. C'est à la fois un problème ancien, qui n'est pas l'affaire d'un seul gouvernement, et un problème collectif, qui n'est pas l'affaire du seul État, et moins encore d'une seule mesure de redressement. Toutefois, la reprise économique et l'assouplissement monétaire attendus constituent un contexte plutôt favorable pour le redressement budgétaire. Nous devons, je crois, agir en premier lieu sur les dépenses, car l'accélération de la croissance et de l'emploi ne peut à elle seule suffire. La cause profonde du problème français, c'est la croissance continue des dépenses publiques.

Ainsi que je l'ai souvent dit devant cette commission, je suis un fervent défenseur du modèle social européen, avec des services publics forts et une redistribution fiscale et sociale. Mais nous devons constater que ce modèle nous coûte, en France, près de dix points de PIB de plus qu'à nos voisins européens. Cet écart n'est pas qu'une mauvaise nouvelle : c'est une invitation à la comparaison et à l'action, pour nous inspirer des solutions publiques les plus efficaces en Europe. Cela suppose un effort de choix de priorités et d'efficacité, juste et partagé par tous – État, collectivités locales et prestations sociales. En complément de mesures en matière de dépenses, des mesures fiscales ciblées ne peuvent être exclues. Elles pourraient porter sur des élargissements d'assiette, notamment pour certaines niches, ce qui irait par ailleurs dans le sens de la justice.

Le deuxième impératif, concernant nos besoins de financement, est de veiller au bon financement bancaire des ménages et des entreprises.

Les financements aux ménages, qui sont en grande majorité les crédits immobiliers, sont sensibles au cycle de taux. Après les niveaux exceptionnellement élevés de 2021 et du début 2022, la production de nouveaux crédits à l'habitat s'est établie à seulement 6,7 milliards d'euros en mars. C'est le résultat, pour l'essentiel, de la demande de ménages attentistes. Cependant, plusieurs indicateurs avancés montrent des évolutions encourageantes, et les conditions semblent favorables à une reprise progressive. Les prix de l'immobilier ont baissé et les taux du crédit se stabilisent, voire se replient. Dans les mesures de la Banque de France, nous sommes passés d'un taux moyen de 4,2 % au début de l'année à 3,9 % en mars. Les banques sont à nouveau en posture d'offre et à même de satisfaire la demande de crédit ; nous y reviendrons.

Du côté des entreprises, dans un contexte de stabilisation des coûts, l'accès au crédit reste globalement bien assuré – ce qui n'empêche pas la vigilance individuelle –, avec une croissance des encours en hausse de 1,5 % en mars sur un an, dont 1 % pour les PME ; cette croissance est tirée notamment par des crédits à l'investissement qui restent dynamiques. Le troisième impératif est de mobiliser l'épargne privée en Europe, pour financer les transitions écologique et numérique : d'autres sources de financement sont nécessaires pour couvrir les besoins substantiels d'investissement dans le climat et les dépenses porteuses de croissance potentielle comme l'innovation numérique. La transition climatique à elle seule nécessitera, selon les estimations, des investissements nets supplémentaires chaque année d'ici 2030 en Europe de l'ordre de 500 à 600 milliards d'euros. En face de ces besoins, nous avons une ressource trop peu connue : l'excédent net d'épargne privée, soit plus de 300 milliards d'euros qui, chaque année, s'investissent hors d'Europe, notamment aux États-Unis. Pour libérer ce potentiel de financement, il existe un projet concret, ancien, d'union des marchés de capitaux. Il faut redonner sa finalité à cette union : Enrico Letta, l'ancien Premier ministre italien, vient de proposer de la rebaptiser « union pour l'épargne et l'investissement ».

Nous devons aussi concentrer nos efforts et activer, plutôt qu'une myriade de mesures techniques, quelques leviers choisis, dont je donnerai ici deux exemples en renforcement du rapport Noyer. Le premier est le développement du financement par fonds propres, indispensable pour l'innovation. Dans ce domaine, l'Europe est très en retard par rapport aux États-Unis. Le deuxième levier possible est la titrisation verte, dès lors qu'elle est suffisamment sûre. Je suis conscient des questions légitimes que soulève la titrisation. Des solutions existent qu'elle soit à la fois sûre et affectée à la transition verte.

Ces exemples illustrent une conviction : il n'existe pas de fatalité au déclin de l'Europe. Notre continent a su réunir ses forces pour réussir l'euro. Dans un monde plus dur, plus fragmenté, l'Europe doit combiner, sur le plan économique, trois leviers partagés : la taille – le marché unique –, multipliée par la puissance financière, ou le muscle, – l'union pour l'épargne et l'investissement –, multipliée par une meilleure efficacité publique. Alors elle pourra dépasser ses doutes et affirmer durablement son modèle social et environnemental.

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