Je souhaitais remercier Steve Chailloux, Frédéric Maillot et les collègues du groupe GDR de nous donner l'occasion d'échanger sur le sujet des identités et de nos communs. Merci à eux de mettre au cœur du débat la question des langues, qui est intimement politique. Cette discussion est précieuse à un moment politique où les liens de colonialité en Nouvelle-Calédonie-Kanaky sont sur le devant de la scène – j'ai d'ailleurs une pensée particulière pour le peuple kanak.
Au-delà du contexte, cette discussion permet d'allier respect, justice et dignité de tous les Français et de toutes les Françaises, de nos parents, enfants et petits-enfants sur tous les territoires de la République. Cela paraît incroyable, mais force est de constater que proposer un enseignement des langues régionales pendant la période d'enseignement scolaire dans les académies d'outre-mer marque une rupture. Il y a quelques années, c'était encore inimaginable.
Cette proposition de loi se pose comme un refus de l'exotisation des langues régionales qui ne sont ni des langues mortes ni un divertissement pour touristes. La France a longtemps refusé la diversité linguistique pourtant réelle et très ancienne. Si cette stratégie a parfois été invoquée au nom d'une nécessaire compréhension commune, d'une volonté d'unification et d'égalité, elle a été aussi un outil de domination et d'effacement des identités singulières. Dans une tribune parue dans Le Monde, l'écrivain Patrick Chamoiseau disait : « Si nous restons à patauger dans l'imaginaire colonial, la guerre des langues restera en vigueur. »
Cette guerre s'exprime dans la hiérarchie façonnée et induite par notre histoire coloniale. Patrick Chamoiseau, encore lui, parle de « l'imaginaire monolingue », comme si notre langue officielle – celle de la République, de l'école, de l'administration, des services publics –, le français, était la seule protégée de remparts contre la langue de l'autre. Cet imaginaire n'est qu'un mythe, une pauvre croyance qui ne reflète pas la réalité des territoires de la France et de la diversité des identités qui les traversent. Le philosophe sénégalais Suleymane Bachir Diagne proposait de décoloniser l'universel. Alors, allons-y !
Le premier chantier est de décoloniser nos imaginaires autour d'une langue française encore trop souvent perçue comme l'universelle, la bonne langue. Or la bonne langue est celle qui vit, qui est parlée et partagée. Il existe donc de bonnes langues : celles qui sont transmises et sont chevillées au corps, celles qui construisent les identités à travers les soubresauts de l'histoire, celles qui sont parlées dans les foyers, dans la rue, et parfois dans les cours d'école. Il est essentiel qu'elles s'installent désormais sur les bancs de l'école des territoires ultramarins afin de célébrer et de mettre à l'honneur les identités multiculturelles qui font les forces de notre pays. Nos identités passent par les langues qui existent sur les territoires de France.
La langue est considérée comme un enjeu politique, notamment par le Président de la République qui a inauguré la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts en octobre dernier. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous soutenons ce texte. Mais la langue représente aussi un enjeu éducatif pour les enfants. Selon toutes les connaissances neurocognitives, le plurilinguisme est bénéfique au développement du cerveau de l'enfant, permettant d'améliorer ses capacités de compréhension et de mémorisation. Il ne manque pas d'études neurocognitives pour démontrer que le bilinguisme est une richesse et un facteur de réussite pour les enfants qui parlent français et une autre langue comme le tahitien, le créole martiniquais, le shimaorais, le créole réunionnais, le nemi ou le shibushi. C'est un instrument de lutte contre le décrochage scolaire et l'illettrisme, qui permet de respecter les aspirations et les choix de vie de ces enfants. Le bilinguisme est précieux, un avantage pour chacun et chacune.
Cette proposition de loi vient s'ajouter aux progrès considérables qui ont été accomplis au cours des dernières années en faveur de la reconnaissance des langues régionales. Il y a quelques décennies, il était inimaginable de parler créole à l'école. Cette dynamique doit être poursuivie, mais aussi accompagnée de moyens et de changements concrets et profonds quant à l'enseignement des langues régionales dans les territoires ultramarins. Nous devons créer des filières, des licences, des masters, des doctorats et des concours dédiés à ces langues. Sans moyens, ce texte restera lettre morte.