L'océan occupe 70 % de la planète. Particulièrement important pour la France, deuxième puissance maritime économique mondiale, il est une énorme source de richesse : on y trouve notamment le plancton, au commencement de la chaîne alimentaire.
Je vous remercie, Monsieur le secrétaire d'État, de vous être investi très rapidement dans la défense de cet accord sur la haute mer. BBNJ est l'acronyme de Biodiversity Beyond National Jurisdiction ; cet accord traite donc de la biodiversité dans les eaux internationales, qui n'appartiennent à personne, au-delà de notre zone économique exclusive (ZEE), laquelle s'arrête à 200 milles nautiques – soit environ 360 kilomètres – de nos côtes. La haute mer commence donc bien plus loin que nos eaux territoriales, dont la largeur est limitée à 12 milles, mais elle n'est pas si loin !
Il m'appartient ainsi de vous présenter aujourd'hui cet accord se rapportant à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, un texte dont il vous est demandé d'autoriser la ratification. Il s'agit là d'un moment diplomatique très important, et même historique.
Historique, d'abord, parce qu'il acte la réussite de négociations longues et difficiles, récompensant la ténacité de toutes les parties et le maintien d'un niveau élevé d'ambition. Dès le début des années 2000, alors que l'érosion massive de la biodiversité marine était déjà dénoncée, l'Assemblée générale des Nations Unies a commencé à s'interroger sur la nécessité de compléter la convention de Montego Bay sur le droit de la mer, qui encadre le transport maritime et l'utilisation professionnelle des océans. Les premières signatures de l'accord sont intervenues plus de vingt ans après, le 20 septembre 2023 ; on en compte quatre-vingt-neuf aujourd'hui. C'est dire que le débat a été soutenu ! De toute évidence, il n'a pas été vain. L'aboutissement de cet accord prouve une fois de plus que le multilatéralisme, mis à mal sur bien des sujets, fonctionne encore, heureusement, dans le domaine environnemental.
Permettez-moi de souligner combien l'investissement de la France et de l'Union européenne a été décisif pour trouver une issue positive à ces négociations. Je tiens d'ailleurs à saluer le professionnalisme et l'engagement sans faille de nos équipes de négociateurs, sans qui rien n'aurait été possible. À trois reprises, monsieur le secrétaire d'État, vous vous êtes déplacé en personne à New York pour soutenir la conclusion de cet accord. L'Assemblée nationale s'est aussi mobilisée en adoptant à l'unanimité, le 25 novembre 2021, la résolution pour la conservation et l'utilisation durable de l'océan que j'avais défendue avec notre collègue Maina Sage. Je sais que cette impulsion politique a grandement contribué au succès final des négociations, et je m'en félicite. Je veux enfin saluer l'engagement de la communauté maritime française, de ses acteurs économiques, scientifiques et environnementaux qui œuvrent au quotidien en faveur de la protection de l'océan. Il était essentiel que la France, grande puissance maritime qui accueillera la prochaine conférence des Nations Unies sur l'océan, à Nice, en juin 2025, montre l'exemple.
Historique, cet accord l'est également par son contenu. Il complète en effet la convention de Montego Bay en prévoyant une protection effective de la biodiversité de la haute mer et des grands fonds marins. Les avancées technologiques et scientifiques des vingt dernières années ont montré que ces espaces n'étaient pas vides mais qu'ils abritaient au contraire des écosystèmes riches, uniques et fragiles. Si la haute mer représente 99 % de l'espace maritime habitable, elle est aussi directement affectée et parfois menacée par les activités économiques qui s'y développent. Je pense à la pêche illégale, à la surpêche, à l'exploration et peut-être bientôt à l'exploitation des ressources des grands fonds marins, au transport maritime, ou encore aux pollutions plastiques, pour ne citer, hélas, que quelques exemples. Il devenait donc urgent de réglementer ces activités.
L'accord BBNJ devrait permettre de prendre pleinement en compte ces nouvelles menaces, là où la convention de Montego Bay se limitait surtout à la lutte contre les pollutions aux hydrocarbures. Il devrait également mettre fin à l'extrême fragmentation du cadre juridique applicable à la haute mer et aux grands fonds marins, soumis à des instruments juridiques négociés en dehors de la convention de Montego Bay, aux niveaux régional et sectoriel. Sa force tient cependant au fait qu'il n'obère pas l'action de ces instruments juridiques mais compose avec ces derniers. L'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) reste compétente pour l'encadrement de l'exploration et de l'exploitation des grands fonds marins. L'Organisation maritime internationale (OMI) reste chargée de la sécurité et de la sûreté du transport maritime, de même que les organisations régionales de gestion de la pêche (ORGP) continueront de réglementer les activités de pêche. L'accord BBNJ organise la coopération entre ces différentes instances et crée de nouveaux outils là où cela est nécessaire. L'effort conjugué de ces différentes organisations permettra, nous l'espérons, une meilleure protection des océans.
Sur le fond, que prévoit précisément cet accord ?
Il organise le partage juste et équitable des avantages monétaires et non monétaires – principalement le transfert de savoirs et de compétences – qui découlent de l'utilisation des ressources génétiques marines.
Il ouvre la possibilité de créer des outils de gestion par zone, y compris des aires marines protégées (AMP) en haute mer. Celles-ci existaient certes, mais uniquement dans le cadre d'accords régionaux n'engageant de facto que les États parties. Désormais, des aires marines reconnues par l'ensemble de la communauté internationale pourront voir le jour, à la demande des États parties à l'accord BBNJ. Il s'agit là d'une avancée majeure. Quelques projets sont d'ailleurs déjà envisagés : le dôme thermal, dans l'océan Pacifique tropical oriental, ou encore la mer des Sargasses, dans l'Atlantique Nord.
L'accord innove pour éviter de reproduire en haute mer les blocages observés au niveau régional pour la création de nouvelles aires, qui relève d'un consensus entre parties souvent difficile à trouver. Il permet ainsi la mise en place d'un nouvel outil de gestion à la majorité qualifiée. Il s'agit là d'une innovation remarquable et courageuse, qui s'éloigne de la pratique en vigueur dans les institutions onusiennes. En contrepartie, les États disposeront d'un droit d'objection leur permettant de ne pas être liés par une décision prévoyant la création d'un outil de gestion par zone qu'ils n'ont pas souhaité, à la condition cependant qu'ils le justifient. On peut espérer que la pression des pairs et le souci de faire bonne figure au niveau international dissuaderont les États les moins ambitieux de recourir trop souvent à ce mécanisme d' opt-out.
Il reviendra aux États de définir, lors des futures conférences des parties (COP), le processus de création de ces AMP. Tout reste à construire, à partir de l'accord que nous nous apprêtons à ratifier. Les COP devront aussi préciser comment les États imaginent contrôler le respect de ces aires éloignées de tout. Assurément, le contrôle satellitaire jouera un rôle prépondérant, de même que l'intelligence artificielle. Je veux ici faire le lien avec l'audition le 15 mai, par notre commission, de M. Charles Thibout et Mme Asma Mhalla, qui préconisaient de trouver une niche dans laquelle nous pourrions exceller et devenir incontournables au lieu d'être à la traîne des Américains. La France dispose déjà d'une telle niche en matière de contrôle satellitaire : il nous arrive même de poser des balises sur des albatros, dans les mers du Sud, pour repérer les zones de pêche illicite.
En haute mer comme dans les zones économiques exclusives, je souhaite la création d'aires marines sous protection stricte ou intégrale, excluant par principe toute activité extractive. La communauté scientifique internationale nous dit que seul ce niveau de protection est à même de protéger ou restaurer les écosystèmes marins. Il ne s'agit pas de mettre sous cloche la haute mer, encore moins nos eaux côtières, mais de garantir un niveau de protection optimale des zones les plus fragiles. La France s'est fixée l'objectif d'avoir au moins 10 % de ces aires protégées. Nous y parviendrons assez facilement car les eaux internationales qui nous entourent, notamment au large des Kerguelen, sont susceptibles de constituer des AMP étendues. Peut-être aussi devrons-nous chercher à en avoir un peu plus le long de la bande côtière hexagonale. Les quelques exemples existants, en France comme à l'étranger, montrent que les premiers à bénéficier de ces zones sont les pêcheurs, parce qu'elles favorisent une abondance nouvelle de la ressource.
L'accord impose, en outre, aux États parties de réaliser une étude d'impact environnemental chaque fois qu'une activité engagée sous leur juridiction, ayant un impact en haute mer ou menée directement en haute mer, peut entraîner une modification importante et néfaste du milieu marin. Le grand intérêt de cette disposition tient au fait qu'elle prend en compte l'impact cumulé et écosystémique des activités humaines.
Enfin, l'accord BBNJ prévoit le transfert de technologies marines, notamment des États développés vers les pays en développement, dans le but d'accroître et de mieux partager les connaissances sur la conservation et l'utilisation durable des zones ne relevant pas de la juridiction nationale. Je sais, monsieur le secrétaire d'État, que ce sujet vous tient particulièrement à cœur.
Il importe désormais que cet accord ambitieux soit ratifié le plus rapidement possible pour assurer son entrée en vigueur prochaine. Évitons de reproduire le scénario de la convention de Montego Bay, qui n'a pu être appliquée qu'après de longues années. Les Palaos, le Chili, les Seychelles, le Belize et Monaco ont déjà ouvert la voie. Faisons en sorte d'avoir ratifié cet accord avant la réunion de l'UNOC ! Vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'État, notre objectif est que soixante pays aient déposé leur instrument de ratification avant cette échéance.