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Intervention de Hervé Berville

Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Hervé Berville, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la mer et de la biodiversité :

J'ai toujours plaisir à revenir à l'Assemblée nationale, en particulier à la commission des affaires étrangères. Outre que la probabilité que j'aie le plaisir d'y siéger à nouveau est élevée, je crois pouvoir dire que cette commission est utile en ce qu'elle fait le lien entre les grands sujets internationaux et nos concitoyens. Si les premiers semblent éloignés des seconds, ils ont en réalité des impacts sur leur quotidien : nos débats sur l'accord BBNJ le démontreront s'agissant des littoraux. Bien entendu, ma présence ne vise pas à exercer une quelconque pression sur le Parlement ; elle démontre, au contraire, le respect particulier que je lui porte.

Mesdames, messieurs les députés, vous êtes les premiers parlementaires de l'Union européenne saisis de la ratification de ce texte, qui est une avancée majeure pour lutter collectivement contre la triple crise environnementale – du climat, de la biodiversité et des pollutions – et qui s'inscrit dans l'ambition que nourrit le Gouvernement, notamment depuis 2017, de réduire nos émissions à gaz à effet de serre (GES) et de mettre en œuvre la planification écologique. Si nous avons tout fait pour étudier ce texte dans des délais records, c'est parce qu'il est essentiel dans notre stratégie environnementale aux échelons international, européen et national.

L'accord comporte principalement trois volets : la protection des espaces en haute mer, situés à plus de 300 kilomètres des côtes, par la création d'aires marines protégées ; l'obligation de réaliser des études d'impact environnemental de toute activité humaine en haute mer ; un accès aux ressources marines génétiques ainsi que le partage juste et équitable des avantages économiques induits, notamment au profit des pays en développement. Ce texte est un tournant majeur pour la protection de l'environnement, une avancée décisive pour l'océan et sa biodiversité, ainsi qu'une victoire du multilatéralisme dans laquelle la France et l'Europe ont joué un rôle décisif.

J'ai eu l'occasion de me rendre à New York à trois reprises, pour y porter la voix de la France et de l'Union européenne et tenter de parvenir le plus rapidement à une version définitive du texte, qui était en négociation depuis vingt ans.

Le contexte géopolitique tendu qui prévaut depuis le début de la décennie, en raison notamment de la guerre en Ukraine, des conséquences de la crise du Covid-19 et de la compétition stratégique sino-américaine, en faisait douter plus d'un de la possibilité d'une issue favorable à court terme. Nous y sommes pourtant parvenus l'an dernier, obtenant même une innovation capitale : pour la première fois dans l'histoire des négociations internationales, les décisions seront prises à la majorité qualifiée et non par consensus. Concrètement, un État ne pourra pas bloquer seul une décision.

L'intéressant, c'est que les négociations ne se sont pas déroulées selon le clivage traditionnel entre pays du Nord et pays du Sud, pays développés et pays en voie de développement, en dépit de la tentative de certains États de les y enfermer. Grâce à la coalition de la haute ambition pour le traité sur la biodiversité en haute mer bâtie par la France depuis l'inauguration par le président de la République du One Ocean Summit, nous avons réuni de nombreux pays dits du Sud très favorables à la conclusion de l'accord, alors même que certains pays du Nord se montraient très réticents. La France, soutenue par l'Allemagne à partir de 2022, a pesé de tout son poids pour rallier de nombreux pays du G77 et ne pas se laisser enfermer dans une lecture Nord-Sud du texte. Cela a permis de bâtir un consensus, notamment avec les pays émergents, et de parvenir à la conclusion de l'accord. À force de conviction, nous sommes même parvenus à embarquer sur le navire les États-Unis et la Chine, d'abord réticents.

Ce texte est un tournant majeur pour la protection de la biodiversité et du climat ainsi que pour la lutte contre la pollution. Il nous donne les outils pour protéger 50 % de la surface du globe, la haute mer représentant 70 % de la surface des océans, et les 2,2 millions d'espèces qui peuplent les océans – nous en connaissons 1,4 million sur la terre ferme. Il permet de lutter contre le changement climatique dans la mesure où l'océan est un extraordinaire puits de carbone. Il permet aussi de lutter contre les pollutions : nous pourrons désormais réguler le Far-West sans règles qu'était la haute mer en sanctionnant ceux qui se rendent responsables des pollutions chimiques, industrielles et plastiques, puisque l'accord BBNJ a une portée juridique contraignante.

La première avancée fondamentale qu'il offre, qui a fait l'objet de longues batailles diplomatiques, est la production d'études d'impact préalablement à toute activité en haute mer. Pour chaque activité relevant de leur contrôle, les États parties à l'accord auront l'obligation d'en effectuer. Concrètement, toute entreprise souhaitant opérer dans les eaux internationales sera soumise à l'obligation de faire réaliser une étude d'impact par l'État dont elle relève, visant à prévenir toute forme de pollution ou de dommage aux écosystèmes marins et à permettre l'application du principe du pollueur-payeur.

La deuxième avancée est la possibilité de créer des aires marines protégées en haute mer. Elles sont essentielles pour deux raisons : elles favorisent la coopération entre États ; elles permettent, sur la base de l'état écologique de certaines zones, de se donner des règles permettant de lutter contre la dégradation des écosystèmes et de préserver ces espaces.

Grâce à la création d'aires marines protégées dans des zones entières des eaux internationales, nous tiendrons compte, pour la première fois, de critères tels que la santé des écosystèmes, les routes migratoires des cétacés et la préservation des ressources halieutiques, ce qui nous permettra d'arrêter des politiques ambitieuses en la matière. Si nous procédons ainsi, c'est parce que les scientifiques nous disent très clairement que les aires marines protégées font partie des outils les plus efficaces à notre disposition pour permettre à l'océan et à ses écosystèmes de se régénérer, d'être plus résilients et de jouer leur rôle de régulateur du climat.

La troisième avancée est l'accès aux ressources marines génétiques. Dans l'océan, notamment dans les abysses, se trouvent des molécules utilisées par la recherche pour mettre au point notamment des cures du cancer du cerveau, des traitements de la maladie d'Alzheimer et des vaccins à ARN messager (ARNm). Or moins de 20 % des fonds marins et 3 % des grands fonds marins ont été explorés. L'enjeu de l'exploration et de l'accès à ces espaces est donc central, notamment pour les prochaines découvertes médicales et pharmaceutiques, pour le progrès humain et pour la souveraineté.

Avec ce volet sur les ressources génétiques marines, nous refusons l'approche « premier arrivé, premier servi ». Les fruits financiers issus de la découverte des ressources génétiques devront être partagés, notamment avec les pays en développement, dans la mesure où l'océan, en tant que bien commun de l'humanité, ne doit pas être régi par la loi du plus fort.

Le texte en est à l'étape de la ratification. En France, nous en sommes à l'avant-garde. Cinq États l'ont d'ores et déjà ratifié : les Palaos, le Chili, le Belize, les Seychelles et Monaco. Le Parlement européen a récemment approuvé sa ratification à une très large majorité, ouvrant la voie aux pays de l'Union européenne. Pour que l'accord entre en vigueur, il doit avoir été ratifié par soixante États.

Compte tenu de l'urgence écologique, sa ratification est un sprint ; elle est aussi un marathon, dans la mesure où la mise en œuvre de ces mesures ambitieuses pour la protection des océans prendra du temps. L'objectif est d'en assurer l'entrée en vigueur à la prochaine conférence des Nations Unies sur l'océan (UNOC).

La France a pris de l'avance, non seulement en étant parmi les premiers États à entreprendre la ratification de l'accord BBNJ, mais aussi en travaillant avec plusieurs pays à l'ouverture, dès l'an prochain, d'aires marines protégées en haute mer, auxquelles elle consacre un financement de 80 millions d'euros, et en allouant 41,5 millions d'euros, dans le cadre de France 2030, à un vaste programme de collecte, de séquençage et de partage des ressources génétiques dans les eaux françaises. Dès avant la ratification du texte, nous nourrissons donc une forte ambition en la matière.

Nous vivons un moment, que je n'hésiterai pas à qualifier d'un mot dont j'ai pour habitude de me défier, « historique ». Le dernier texte d'une telle portée dont le Parlement a été saisi était le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de Paris adopté le 12 décembre 2015. Votre responsabilité est majeure. Vous pouvez être le premier Parlement d'Europe à ratifier l'accord BBNJ. Ce texte est essentiel pour protéger les océans et la biodiversité et pour garantir une politique environnementale efficace et universelle protégeant toutes les surfaces maritimes.

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