En guise de complément, tout dépend de ce que l'on entend par acteurs privés. L'attention est focalisée sur les géants technologiques américains, à juste titre. Encore une fois, il ne s'agit absolument pas de les diaboliser mais de comprendre, pragmatiquement, les intérêts convergents que nous pouvons avoir.
De plus, le vocable « géants numériques » ou « acteurs privés » recouvre des réalités différentes. Certains se sont « normalisés », sont devenus vraiment des industries en tant que telles. Ils sont devenus des partenaires et des stakeholders dans cette discussion, comme Google, Meta dans une certaine mesure, Microsoft, Amazon. D'autres, les « nouveaux entrants », évoluent avec une plus grande immaturité, y compris industrielle.
En matière d'IA, il faut toujours comprendre la chaîne de valeur, qui commence en amont par les data centers. À ce titre, la question du cloud renvoie à celle de l'extraterritorialité du droit américain, qui a été totalement hystérisée en France. Je pense notamment au Cloud Act et au Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA), les deux textes problématiques d'un point de vue juridique sur la protection de la souveraineté des données, en particulier des données sensibles. Google a par exemple annoncé récemment un cloud complètement déconnecté : en cas de crise géopolitique extrêmement majeure entre la France et les États-Unis, dans un scénario catastrophe, il est possible de tout couper et de recentraliser l'infrastructure, même si elle est d'origine étrangère, américaine en l'occurrence. C'est la raison pour laquelle je recommande de ne pas diaboliser les acteurs et d'éviter les analyses génériques pour se concentrer sur les détails.
Ensuite, que vaut la souveraineté, au-delà de l'incantation politique, si l'on ne dispose pas de la couche de cybersécurité ? Par ailleurs, des entrepreneurs ou des hommes d'affaires français investissent dans ces sujets, même si les montants – quelques centaines de millions d'euros – sont incomparables à ceux des big players. Pourquoi ne travaillent-ils pas avec l'État ? La réponse est très simple : il n'existe pas de fléchage ; la bureaucratie est très pesante. L'intégration des bonnes volontés du secteur privé avec le secteur public n'a pas encore eu lieu en France, faute de culture et d'agilité suffisantes, même si des progrès ont été accomplis.
Dans ce domaine, des pays sont beaucoup plus avancés, qu'il s'agisse de la Chine, des États-Unis ou d'Israël, qui ont dans leur ADN cette culture des allers-retours entre le public et le privé. Dès lors, il est nécessaire de s'interroger sur notre culture entrepreneuriale, notre culture du risque et notre culture technologique au sens large.
Il s'agit d'inverser la question, la proposition de valeur et de se demander avant tout quel est notre projet de société, l'objectif politique que nous cherchons à atteindre et, en fonction de la réponse, de voir en quoi les systèmes technologiques, les logiciels, peuvent nous aider à atteindre cet objectif politique.