Je vous remercie de m'accueillir à nouveau dans votre commission pour débattre des questions agricoles et plus précisément de la politique agricole commune (PAC), sujet auquel j'ai consacré une grande partie de mes recherches en tant qu'enseignante chercheuse.
J'évoquerai les articles du projet de lois qui entrent le plus directement en résonance avec les politiques de l'Union européenne. Trois sujets ont retenu plus particulièrement mon attention : la souveraineté alimentaire, l'aide aux candidats à l'installation ainsi que la question des infrastructures agroécologiques, dont les haies.
En propos liminaires, je me dois de rappeler que le PJLOA a suscité beaucoup d'attentes et d'espoirs dans le monde agricole. À mon sens, le texte présenté reste très insuffisant pour répondre au défi de la souveraineté alimentaire et du renouvellement des générations en agriculture. Il ne permet pas non plus de répondre à la revendication principale des agriculteurs, exprimée lors de la mobilisation des dernières semaines : disposer d'un revenu digne.
Concernant la souveraineté alimentaire, la définition retenue par le texte reste malheureusement dans la même ligne que la conception et l'orientation des politiques européennes qui réaffirment l'importance du marché intérieur et des engagements internationaux. Cette conception se trouve être à l'opposé de la définition proposée, pour la première fois, en 1996, par le syndicat agricole, Via Campesina, dans le cadre du Sommet mondial de l'alimentation des Nations Unies. En effet, cette conception reconnaît un droit pour chaque pays à maintenir et développer sa propre capacité à produire son alimentation de base.
Or, les politiques européennes se trouvent en contradiction avec cette conception de la souveraineté alimentaire.
Il n'y a presque pas de moyens ciblés sur les secteurs les plus importateurs nets qu'ils soient français ou européens. En France, depuis 2013, pour ces secteurs, la balance commerciale s'effondre.
De manière plus générale, le nombre important d'accords de libre-échange mis en œuvre a eu de graves effets cumulés sur la souveraineté alimentaire. Le maintien de dérogations temporaires décidées dans le cadre de la crise ukrainienne, avec ouverture totale des frontières commerciales agricoles, fragilise certaines grandes productions européennes telles que les volailles et les céréales.
S'agissant plus précisément de la PAC et des dispositions du projet de loi qui la concernent, je tiens à rappeler le rôle absolument crucial de cette politique pour l'agriculture française. La PAC représente environ dix milliards d'euros d'aides par an soit vingt-cinq mille euros par bénéficiaire. Ce montant correspond parfois à la totalité du revenu agricole d'une exploitation. Sans la PAC, beaucoup d'agriculteurs ne survivraient pas.
Concernant l'installation des nouveaux agriculteurs, le dispositif mis en œuvre dans le cadre du plan stratégique national de la PAC est-il efficace ? Les aides à l'installation, qui relèvent du second pilier de la PAC, sont depuis le 1er janvier 2023, entièrement décentralisées, avec les régions comme autorité de gestion. Or, selon les acteurs, sur le terrain, de nombreuses inégalités existent entre régions car ces dernières sont autonomes pour compléter les conditions d'éligibilité ainsi que les montants versés. En conséquence, l'égalité d'accès aux aides entre agriculteurs est remise en cause. Il me paraît absolument essentiel de renforcer les aides à l'installation mais également de mettre en place, a minima, un système de péréquation pour rendre la distribution des aides sur le territoire égalitaire.
Concernant la question des infrastructures agroécologiques, je tiens à rappeler que la transition agroécologique pour une adaptation de nos systèmes agricoles aux dérèglements climatiques est incontournable. L'agriculture doit prendre sa part pour répondre aux crises liées au changement climatique, à la diminution de la biodiversité ainsi qu'à la pollution des milieux naturels. J'ajoute que les infrastructures agroécologiques jouent un rôle positif dans les systèmes de production tels que la protection du vent, le maintien de l'hygrométrie et des températures ainsi que la lutte biologique contre les nuisibles.
Depuis les années quatre-vingts, le volet environnemental de la PAC s'est beaucoup développé. Ce texte arrive à un moment de rupture puisqu'un certain nombre d'États membres, dont la France, ont été à l'initiative pour remettre en cause certaines avancées environnementales à l'échelle européenne. En effet, les bonnes conditions agroenvironnementales (BCAE), qui sont des conditions environnementales de base pour percevoir les aides du premier pilier, font l'objet d'un certain nombre de remises en cause inquiétantes. L'obligation d'avoir au moins 4 % de la surface agricole utilisée (SAU) avec des éléments d'infrastructures agroécologiques tels que les haies, les bosquets ou les jachères, par exemple, a été à nouveau interrogée.
En conséquence, une minorité d'agriculteurs ne respectant pas ces règles, tels les grands céréaliers du plateau de la Beauce, sont favorisés par rapport aux agriculteurs qui les respectent et qui devront continuer à maintenir les infrastructures agroécologiques existantes dont les haies. Ce phénomène est particulièrement grave lorsque l'on sait que vingt-cinq mille kilomètres de haies disparaissent chaque année et que soixante-dix pour cent ont déjà disparu.
Enfin, le projet de loi présente sous la forme d'une simplification administrative ce qui relève en réalité d'un torpillage du droit de l'environnement. L'évolution de l'échelle des peines à l'article 13 s'apparente davantage à de la dépénalisation et de la déjudiciarisation d'une partie des délits alors même que la magistrature s'inquiète d'une insuffisance présence du droit pénal dans le domaine de l'environnement.
De même, le principe de compensation posé à l'article 14, qui facilite la destruction des haies, n'apporte pas de garanties suffisantes. En effet, en déplaçant une haie ancienne, de cinquante ans d'existence, cent mètres plus loin, on porte préjudice aux écosystèmes.
Ainsi, ce texte comporte trop de lacunes pour pouvoir répondre aux défis contemporains que sont la rémunération des agriculteurs, l'aide à l'installation pour faciliter le renouvellement des générations et la transition agroécologique.