Intervention de Marie de Hennezel

Réunion du mardi 30 avril 2024 à 16h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie

Marie de Hennezel, psychologue clinicienne :

Aider à mourir, c'est s'engager à ce que la personne en fin de vie ne souffre pas, puisse effectuer son travail du trépas, c'est-à-dire se préparer à mourir, rester vivante jusqu'au moment où le désir de mourir l'emporte sur la faim de vie, et puisse mourir doucement, apaisée. À aucun moment, cette aide à mourir n'a nécessité un geste létal, ni un suicide assisté.

Mon équipe et moi avons affronté tout ce que notre société jeuniste rejette : la mort d'autrui, la dégradation physique, la vulnérabilité extrême, le sentiment d'échec et d'impuissance. Nous avons découvert une humanité à laquelle nous ne nous attendions pas. J'ai rendu compte de cette expérience dans mon livre La Mort intime, préfacé par un président de gauche qui avait à cœur le respect de la dignité de la personne et d'une fraternité excluant tout geste radical.

Je sais ce qu'aider à mourir veut dire, et m'attriste de comprendre que le soin d'accompagnement englobera l'assistance au suicide et l'euthanasie.

Si les pouvoirs publics avaient pris la mesure de l'enjeu, nous n'en serions pas là et nous n'aurions pas à voter une loi qui n'a rien de fraternel ni de rassembleur, et qui inquiète les personnes les plus fragiles et les personnes très âgées.

Ce projet de loi séduit une frange de « jeunes vieux » encore autonomes et en bonne santé. Plus l'on vieillit, plus l'on entre dans l'âge cassant, et plus l'on s'inquiète d'une loi qui fera de l'acte de donner la mort un soin ultime. Les personnes qui entrent dans un âge avancé souhaitent mourir dignement, sans avoir recours à un geste radical. Pourquoi ne pas exiger que la loi actuelle soit mieux connue du public et appliquée par les médecins ? Pourquoi ne pas couvrir le territoire français de structures de soins palliatifs avant d'envisager d'aller plus loin ?

Mme la ministre Catherine Vautrin s'est engagée à combler le retard dans l'accès aux soins palliatifs avant que l'aide à mourir ne soit votée. N'y a-t-il pas là une contradiction avec le fait que l'aide à mourir sera votée en 2025 ?

Cette loi par défaut va créer des inégalités. Les vieux qui en ont les moyens, qui ont des familles ou des amis solidaires, des relations médicales, pourront espérer vieillir et mourir dignement ; mais quel sera le choix de ceux qui sont pauvres, esseulés, maltraités ?

Les concepteurs de ce projet de loi ont-ils réfléchi aux conséquences de cette assistance au suicide pour celui qui sera convoqué pour l'assumer ? Ont-ils anticipé les pressions qui seront exercées sur la personne âgée dès qu'elle émettra la moindre plainte par un entourage lassé ou des héritiers pressés ?

Je vous demande instamment que la loi ne soit pas votée avant que le territoire français soit entièrement couvert en termes de ressources palliatives, et que ceux qui seraient sensibles à mon propos déposent un amendement prévoyant un délit d'incitation au suicide assisté, qui compléterait l'interdit d'abus de faiblesse déjà prévu par la loi.

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