Intervention de Marina Carrère d'Encausse

Réunion du mardi 30 avril 2024 à 16h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie

Marina Carrère d'Encausse, médecin échographiste :

Je ne suis ni juriste, ni philosophe, ni éthicien ; je ne fais pas de politique. Je suis médecin, journaliste, femme, citoyenne, mère de famille, et fille de mes parents. Je défends ce sujet, je porte ce combat pour les malades que j'ai connus en tant que médecin, journaliste et ancienne compagne. J'ai mesuré l'importance des lois Leonetti et Claeys-Leonetti, mais aussi la nécessité de les faire évoluer.

Je suis fière de vivre dans un pays où la Convention citoyenne a existé, où ce modèle de démocratie a pu aboutir et être respecté. 75 % de ses membres se sont prononcés en faveur d'une aide à mourir, considérant que le cadre légal en vigueur était insuffisant, ce qui correspond au souhait des Français si l'on en croit les sondages réalisés. Ces derniers sont souvent contestés, un peu à raison, répondre par l'affirmative à la question « Voulez-vous une fin de vie digne ? » étant assez naturel. La majorité des Français qui répondent à ces sondages n'ont pas forcément tous les tenants et aboutissants de cette question si complexe, au contraire des membres de la commission citoyenne.

Je souhaite que cette loi soit votée, mais je souhaite aussi que cela heurte le moins possible. J'aimerais que l'on pense avant tout aux malades et à leur dignité. Je voudrais que les termes « droit », « choix » et « liberté » restent pour ceux qui souhaitent être aidés dans leur fin de vie, mais aussi pour les autres malades et pour les soignants. Le mot « obligation » ne doit pas exister.

J'aimerais voir évoluer quelques points du texte. Concernant les soins palliatifs, j'approuve profondément la stratégie décennale des « soins d'accompagnement », notamment ce dernier mot. La volonté semble être là, mais ces soins sont dotés de moyens insuffisants. Ils doivent être accessibles à tous ceux qui en ont besoin. 81 % des Français souhaitent mourir chez eux, mais à peine un quart y parvient. Nous devons entendre cette volonté.

L'accès à la sédation profonde et continue est également une nécessité. Celle-ci doit être mieux connue des malades et bien appliquée par les médecins. Les réticences à l'appliquer ne sont pas acceptables. Au nom de quoi un malade en fin de vie, à qui il reste au mieux quelques jours à vivre et qui demande cette sédation, devrait-il « tenir encore un peu » ?

Des soins suffisants et une sédation bien utilisée devraient résoudre le cas de plus de 95 % des patients en fin de vie, ainsi que celui des patients qui n'entrent pas dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti, dont le pronostic vital n'est pas engagé à court terme, même s'ils sont atteints d'une maladie grave et incurable, qu'ils présentent des souffrances physiques et/ou psychologiques réfractaires, et qu'ils sont en capacité de manifester leur volonté de façon libre et éclairée.

Les exemples de Vincent Humbert d'Anne Bert illustrent bien cette spécificité. C'est pour de tels patients que les mots « court ou moyen terme » figurant à l'article 7 doivent être modifiés. Chaque malade est unique, et chaque maladie est unique pour chaque malade.

L'implication des professionnels de santé – infirmiers, aides-soignants, psychologues – dans l'accompagnement de l'aide à mourir est importante. Les soignants non-médecins connaissent souvent autant voire mieux les patients que leurs médecins. Leur présence en différents points de ce texte est une grande avancée.

Je crains que des médecins réticents à l'aide à mourir ne freinent voire bloquent le processus. La demande du patient doit être primordiale. Il serait donc souhaitable que la décision ne soit pas prise à l'unanimité mais à la majorité, et que le patient, en cas de refus, puisse formuler une nouvelle demande auprès d'un autre médecin.

S'agissant de l'administration de la substance létale, je ne comprends pas pourquoi refuser à un patient qui le souhaite que le médecin qui l'accepte puisse faire ce geste, même si le patient peut encore le faire. Pourquoi refuser l'aide du soignant aux malades qui ne souhaitent pas faire ce geste difficile, même à celui qui veut mourir ? Il faut entendre les patients, ainsi que les médecins qui souhaitent assurer ce geste.

Les médecins qui considèrent l'aide à mourir comme contraire à leur déontologie doivent également être écoutés, entendus et respectés. Cette aide à mourir ne pourra jamais être imposée à aucun médecin.

J'espère que dans les débats domineront les mots « respect », « écoute », « droit », « liberté », « dignité », ainsi que la volonté de les défendre.

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