Le groupe Les Républicains, auquel j'appartiens, a choisi de faire usage de son droit de tirage pour demander la création d'une commission d'enquête sur les raisons de la très forte croissance de la dette française depuis l'élection présidentielle de 2017 et ses conséquences sur le pouvoir d'achat des Français.
Je m'associe pleinement à cette initiative et je partage la conviction qu'il est nécessaire de faire la lumière sur les causes de l'évolution préoccupante de notre endettement en vue des débats à venir sur le prochain projet de loi de finances (PLF), qui promettent à juste titre d'être animés. Le ministre chargé des comptes publics, Thomas Cazenave, a affirmé il y a quelques jours qu'il était ouvert aux propositions du Parlement pour contenir l'évolution de la dette publique dans le cadre de l'élaboration du prochain PLF : nous prenons acte de cette volonté. Notre pays s'est en outre engagé, dans le programme de stabilité 2024-2027, à réduire significativement son déficit public dès l'année prochaine après le dérapage constaté en 2023.
Dans la droite ligne de cet engagement, auquel mon groupe a à cœur de contribuer, il s'agit de nous donner les moyens d'appréhender les causes de l'endettement massif de la France. Les crises sanitaire et inflationniste y ont certes eu leur part, mais ce ne sont pas les seules explications. Nous entendons donner les moyens à cette commission d'enquêter sur l'ensemble des causes de la contre-performance des finances publiques pour avancer des propositions étayées qui, je l'espère, sauront nous rassembler au-delà de mon groupe et retenir l'attention du Gouvernement. Il s'agit en effet d'un sujet d'intérêt national, pour aujourd'hui comme pour les générations futures. Il suffit pour s'en convaincre de parcourir la liste des missions d'information de la commission des finances, dont l'objet, pour beaucoup, est d'approfondir la question des dépenses fiscales inefficientes ou du pouvoir d'achat, ou encore de mesurer l'intérêt qu'ont suscité les auditions du ministre chargé des comptes publics et du Premier président de la Cour des comptes le 17 avril dernier.
Nous sommes face à l'évidence : l'endettement de la France n'est plus soutenable. Le déficit public a atteint en 2023 – véritable année noire en matière de gestion des finances publiques – un niveau record de 5,5 %. Il s'élève à 5,3 % retraité du changement de base, ce qui reste considérable. Le ratio de dette publique s'établit à 110,6 % du PIB en 2023 et devrait continuer à augmenter jusqu'en 2025. La France est le troisième plus mauvais élève en Europe, derrière la Grèce et l'Italie, et sa position dans ce triste classement ne devrait pas s'améliorer au cours des prochaines années compte tenu de la trajectoire des finances publiques.
Il n'y a pas de dette gratuite : cet état de fait a un coût pour tous les contribuables. Il nous met face à un arbitrage qui va peser sur le pouvoir d'achat des Français dans des domaines fondamentaux comme la santé, le logement ou les retraites. La charge de la dette de l'État devrait atteindre 46,3 milliards d'euros en 2024, soit plus que le budget du ministère des armées, et 72,3 milliards en 2027, soit un niveau correspondant à la somme des budgets de l'éducation nationale et de la sécurité intérieure. M. le Premier président Moscovici a d'ailleurs appelé notre attention sur ce sujet. Face aux crises à venir, la France doit reconstituer ses marges de manœuvre budgétaires pour aider les ménages modestes à faire face aux différentes transitions, notamment environnementale.
Nos partenaires européens, qui ont affronté les mêmes crises que nous, connaissent une situation budgétaire nettement moins dégradée que la nôtre. La situation est d'autant plus inquiétante que, compte tenu des engagements de la France et de la levée de la clause de dérogation générale, notre pays risque de voir sa crédibilité mise à mal, voire d'être sanctionné en raison de la violation des règles budgétaires européennes, qui sont en train d'être réformées. Celles-ci devraient fixer des objectifs moins ambitieux mais corrélativement plus sanctionnés. Elles pourraient être de nature à inquiéter les agences de notation, dont nous attendions le verdict avec inquiétude. Si nous avons échappé à une dégradation de la note de la dette française par les agences Fitch et Moody's, ce n'est que partie remise – l'agence Standard & Poor's se prononcera d'ailleurs à son tour le 31 mai. La décision est donc en sursis.
Ce problème de crédibilité, lié à des prévisions de croissance trop optimistes, est soulevé par le Haut Conseil des finances publiques, qui évoque un « manque de cohérence » de la trajectoire du programme de stabilité. Le gouverneur de la Banque de France, pour sa part, met en avant, dans sa lettre annuelle, la nécessité de redresser les finances publiques. Graphique éloquent à l'appui, il souligne que jamais les prévisions des lois de programmation des finances publiques (LPFP) n'ont été respectées. Il y a lieu de s'inquiéter d'une possible dégradation de la qualité du suivi de la trajectoire adoptée dans la dernière LPFP puisque, je le rappelle, elle a été adoptée grâce à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. À peine quelques mois après son adoption, elle est déjà obsolète.
Mon groupe a la conviction que, pour endiguer la spirale infernale de l'endettement, qui menace à terme notre souveraineté budgétaire, nous devons en identifier les causes, le cas échéant les responsables, au-delà de la simple conjoncture, et détailler les mécanismes à l'œuvre. Notre endettement est bien, pour une part considérable, structurel.
Quels ont été les besoins et les nécessités avancés pour justifier cette débâcle ? Le sujet nous concernant tous, la charge de la dette s'aggravant, par ailleurs, au cours des épisodes d'inflation – pour ce qui concerne les OAT (obligations assimilables du Trésor) indexées –, quelles sont les conséquences concrètes, immédiates et futures, du niveau insoutenable de la dette sur le pouvoir d'achat des Français ? Leur bénéficie-t-il, au travers des politiques de bouclier budgétaire menées par exemple lors de la crise inflationniste, ou bien obère-t-il notre capacité à assurer une protection sociale juste pour tous les Français ? Je pense notamment aux annonces faites sur l'assurance chômage ou la franchise des médicaments.
Il me semblait nécessaire d'éclairer notre commission sur les raisons qui motivent la proposition de résolution de mon groupe, bien que l'unique objet de cette réunion soit d'en vérifier la recevabilité. Le groupe Les Républicains ayant fait usage de son droit de tirage, la commission d'enquête sera en effet créée de droit pour peu que les trois conditions de recevabilité sur lesquelles je m'apprête à revenir soient respectées – et elles le sont.
La première d'entre elles est l'exigence d'une détermination précise des faits donnant lieu à enquête. C'est très exactement le cas ici : les faits en question sont dûment constatés et quantifiés par tous les observateurs. L'objet de la création de la commission d'enquête est de s'intéresser à des faits datés, précis et à leurs effets sur le pouvoir d'achat des Français. Ces faits relèvent du champ le plus évident et le plus fondamental de notre contrôle.
Deuxièmement, la commission d'enquête ne doit pas porter sur un sujet pour lequel les pouvoirs d'enquête reconnus aux parlementaires ont été mobilisés au cours des douze derniers mois. En l'occurrence, aucune commission d'enquête ni aucune mission d'information dotée de pouvoirs d'enquête n'a porté de près ou de loin sur le champ de la dette publique depuis le début de la XVIe législature.
Enfin, la commission d'enquête ne doit pas porter sur des faits pour lesquels une procédure judiciaire est en cours. Le courrier du garde des Sceaux annexé au rapport fait état, sans surprise, de l'absence de procédure judiciaire sur ce sujet.
Toutes les conditions de recevabilité prévues par notre règlement sont donc remplies. Il me reste à accompagner de mes vœux le succès de ces travaux, dont j'attends avec impatience le rapport et qui permettront, je l'espère, d'éclairer l'ensemble d'entre nous en vue du prochain projet de loi de finances.