J'ai passé plus de deux heures à lire le rapport. Il contient des propositions intéressantes ; j'en approuve plusieurs, j'en considère certaines comme stimulantes ; avec d'autres, je suis en total désaccord.
Au-delà du fond, vous m'autoriserez un peu de solennité : le rôle d'une commission d'enquête est d'irriguer le débat public, à partir des auditions – publiques – et du travail d'un rapporteur à qui la commission délègue le soin de produire un document qui donne des orientations. Ce sont celles du rapporteur : un rapport de commission d'enquête n'est pas coconstruit ; il n'est pas corédigé. Sinon, nous serions tous, stylo à la main, en train de discuter chaque phrase, chaque mot, chaque virgule.
Nous sommes face à une nouveauté : une forme d'ultimatum, ou de chantage. Vous dites, monsieur le président, que neuf propositions vous posent problème. Si elles sont retirées, êtes-vous prêts à adopter le rapport ? Pouvez-vous préciser si vous parlez des neuf propositions encadrées, ou bien également des quelques pages qui exposent le raisonnement et citent les personnes entendues pour appuyer la proposition ?
Cette logique d'ultimatum constitue un précédent fâcheux. Toute commission d'enquête y sera soumise : le rapporteur n'écrira plus ce qu'il veut.
Il y a déjà eu un rapport de commission d'enquête dont la publication a été interdite : c'était le rapport de la commission d'enquête sur les mécanismes de financement des organisations syndicales d'employeurs et de salariés, dont Nicolas Perruchot était le rapporteur, en 2011. Hasard de ma vie professionnelle, j'avais été auditionné par cette commission en tant que membre de l'Inspection générale des affaires sociales ; j'ai le souvenir que les syndicats eux-mêmes – dont le rapport était pourtant censé pointer les faiblesses – avaient regretté qu'un document qui participait du débat public soit soustrait à l'attention publique de manière aussi brutale.
Le signal serait désastreux. Nos concitoyens se sont intéressés à cette commission d'enquête : tant mieux, nous aimons tous la politique et le débat public. Le rapporteur formule des propositions, dont on s'accordera à dire que ce sont les siennes : ce n'est pas une injonction au Gouvernement, ce n'est pas une obligation de faire ; ce sont des éléments versés au débat. Si nous faisons la démonstration que nous avons peur du débat et des conclusions qui peuvent être tirées par tel ou tel, alors il n'y aura plus de commission d'enquête.
Et, quoi qu'il en soit, l'effet Streisand aura lieu : le rapport fuitera, sera publié.
Je souhaite qu'il y ait des propositions de loi qui reprennent des propositions. Chacun précisera alors que les propositions du rapporteur n'engagent pas l'ensemble de l'Assemblée. Je voterai pour certaines de ces propositions de loi, contre d'autres.
Le groupe Socialistes place donc le débat sur le terrain des principes. La décision que nous allons prendre est essentielle pour le fonctionnement parlementaire de la Ve République, a fortiori en ce temps de majorité relative : un pan entier de notre mission, le contrôle de l'action gouvernementale, risque d'être dévitalisé par le précédent que nous pourrions créer.
Si le seul problème de la majorité, ce sont ces neuf propositions, alors je suggère au rapporteur de les retirer pour les insérer dans la contribution du groupe La France insoumise – ou d'autres groupes qui voudraient y souscrire – afin que nous puissions avoir la totalité du débat. Et ce serait, malgré tout, un fonctionnement très dégradé.