J'adresse des remerciements vifs et chaleureux au secrétariat, aux administrateurs et aux agents qui ont permis la bonne tenue de la commission d'enquête. Je dis avec sincérité et plaisir que de les voir œuvrer avec le dynamisme et l'excellence dont ils sont capables est une source de satisfaction, et même de joie. Je remercie également ceux de nos collègues qui ont pris le temps d'y participer dans un esprit responsable, sérieux et constructif, et de consulter le projet de rapport pour une durée parfois non négligeable, m'a-t-on dit.
En dépit des désaccords qui ont pu se manifester à la fin de nos travaux, il me paraît nécessaire et utile de signaler que nous avons travaillé sur la base d'une méthode de travail négociée, qui a bien fonctionné l'essentiel de la commission d'enquête. Une commission repose sur le travail coopératif d'un rapporteur et d'un président. L'un et l'autre, nous avons manifesté, en tout cas dans les premiers mois, notre coopération et notre volonté de trouver une règle de travail. En tout état de cause, le rapport est donc le fruit de cette négociation. Le choix des auditionnés reflétait aussi cette volonté de travailler en bonne intelligence et de ne pas nous heurter à chaque instant, ce qui a mené à des compromis de part et d'autre. Je tiens à ce que chacun sache que le président et moi-même avons fait des compromis dans l'organisation de cette commission d'enquête. C'est dans cet esprit que j'ai cherché à travailler et à rédiger ce rapport.
Les quarante-sept propositions du rapport couvrent l'ensemble des sujets abordés par la commission d'enquête : elles touchent à la déontologie, à l'économie des médias et au respect des obligations figurant dans les conventions passées entre les éditeurs et l'Arcom, à la fois avant, pendant et après l'attribution des autorisations. Elles sont, pour la plupart, le reflet de propos tenus explicitement devant la commission d'enquête. Je n'ai pas souhaité multiplier les propositions personnelles ; toutefois, certaines d'entre elles le sont, et je suis prêt à les assumer devant vous.
Le président m'a fait savoir par courriel, hier soir à vingt heures, que les groupes de la majorité et le groupe Les Républicains demandaient la suppression de dix-neuf de ces propositions. Je ne saurais accéder à une telle demande. Outre qu'il me semble cavalier d'exiger la suppression de 40 % des propositions, ma conviction est que l'examen du rapport porte sur la cohérence intellectuelle de celui-ci et qu'un lecteur attentif saura faire la part des choses entre les faits établis par la commission d'enquête et l'opinion du rapporteur. C'est sur cette base que je souhaite ouvrir la discussion. Nul n'imagine que l'adoption d'un rapport engage l'ensemble de la commission et que chacun de ses membres y souscrive en totalité, sans quoi aucun rapport ne serait jamais publié dans les cas où le rapporteur n'appartient pas à un groupe de la majorité.
Il y a deux heures, le président m'a fait savoir que, finalement, seules neuf propositions posaient problème au point de mettre en péril la publication du rapport. Je souhaite passer en revue ces propositions pour expliquer leur cohérence.
À première vue, la proposition « Interdire la diffusion de programmes jeunesse les matins avant l'école, ou à défaut, obliger les chaînes à afficher un message sanitaire de prévention durant l'intégralité des programmes concernés » a de quoi surprendre. En réalité, elle a été formulée en audition par le Défenseur des enfants, qui a souligné combien l'exposition des enfants à la télévision avant l'école posait problème. Il ne s'agit pas d'interdire les programmes jeunesse. Au contraire, je suis favorable à la création dans ce domaine qui me semble le parent pauvre de la production télévisuelle et pour lequel des perspectives intéressantes ont été évoquées en audition par les responsables des chaînes du service public, dont les groupes privés feraient bien de se saisir. Néanmoins, il convient au moins d'obliger les chaînes à signaler les effets néfastes de l'exposition précoce des enfants à la télévision. Beaucoup d'entre vous partagent plus ou moins cette appréciation dans la mesure où le Président de la République lui-même a commandé un travail sur l'exposition aux écrans ; si j'étais taquin, je dirais que le Premier ministre, si soucieux de la réussite scolaire, souscrirait, lui aussi, à cette recommandation.
Je peux entendre que certains considèrent la proposition « Assurer une source de financement dynamique, spécifique, universelle et progressive comme la contribution à l'audiovisuel public et préserver les identités des sociétés le composant en renonçant au projet de rapprochement au sein d'une même holding » comme hors sujet, dans la mesure où l'audiovisuel public n'entrait pas dans le champ de la commission d'enquête. Toutefois, notre collègue Constance Le Grip, membre de la majorité, a interrogé tous les ministres en audition à ce propos, et le président n'a pas cru devoir lui signaler que sa question était hors sujet. Je partage entièrement l'appréciation des ministres et je ne vois pas de raison de censurer leur parole en retirant cette proposition.
La proposition « Dans les programmes des chaînes d'information, renoncer à la fonction d'éditorialiste, intrinsèquement liée à la presse écrite d'opinion, au profit d'experts disposant de compétences et titres pour analyser les faits » a déjà fait couler beaucoup d'encre. Notez que je n'ai pas employé le mot « interdire ». Je ne crois pas qu'il faille interdire la fonction d'éditorialiste ; je préconise que les chaînes y renoncent d'elles-mêmes afin de ne pas s'exposer à une sanction pour manquement aux règles de pluralisme, sujet sur lequel nous avons eu une longue discussion. La fonction d'éditorialiste est entièrement liée à l'existence d'une presse écrite, qui est une presse d'opinion, et c'est légal ; en revanche, nous devons prendre acte du fait que la presse télévisuelle n'est pas une presse d'opinion et qu'une fonction intrinsèquement liée à celle-ci n'y a pas sa place.
La proposition « Acter la fin de la TNT payante et prévoir la possibilité pour l'Arcom de ne pas réattribuer les cinq fréquences correspondantes » a été mal comprise, de ce que j'ai pu lire sur France Info. Il ne s'agit pas d'interdire les chaînes payantes, mais de prendre acte de leur échec économique. Dans la mesure où la viabilité économique des chaînes est l'un des critères d'attribution des autorisations, il faut reconnaître que le modèle payant a fait long feu et que les chaînes devraient plutôt se porter candidates sur la base de projets gratuits.
La proposition « Soumettre la délivrance de l'autorisation d'émettre sur la TNT à une redevance annuelle pour occupation du domaine public assise sur le chiffre d'affaires des éditeurs concernés », qui vise à réaffirmer un principe classique du droit public, a été défendue par Marcel Rogemont et Olivier Schrameck. J'ai cru comprendre que certains d'entre vous y étaient favorables, puisque des questions ont été posées en ce sens en audition. Qui plus est, dans le cadre de ma mission, j'ai consulté des documents des services du Premier ministre déposés aux Archives nationales, dans lesquels j'ai trouvé une note adressée au Premier ministre François Fillon et examinée en réunion interministérielle en 2011. Il arguait en faveur de ce principe, défendu également, à l'époque, par François Baroin. C'est une exclusivité que je vous livre là et je crois que personne ne m'en voudra de mettre cette archive à votre disposition. En tout état de cause, cette redevance ne présente pas un caractère révolutionnaire. Les modalités n'en sont pas arrêtées et je suis ouvert à la discussion concernant le montant et le mode de calcul.
La proposition « Insérer dans les conventions des chaînes proposant des émissions d'information des garanties en matière d'indépendance des rédactions vis-à-vis des intérêts et des interventions de l'actionnaire, notamment en prévoyant l'agrément du directeur de la rédaction proposé par l'éditeur » émane de Reporters sans frontières (RSF), mais aussi de Julia Cagé et de Claire Sécail. Elle fait écho aux propositions de notre collègue Sophie Taillé-Polian, que je reprends volontiers à mon compte.
La proposition visant à élargir la composition du collège de l'Arcom en prévoyant d'y faire figurer deux députés de l'opposition reprend un mode de fonctionnement qui a fait ses preuves à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et qui renforcerait la crédibilité et l'autorité des décisions de l'Arcom en garantissant la transparence de celles-ci. En outre, elle assurerait un va-et-vient entre l'autorité indépendante et les représentants du peuple. Même si cette proposition peut susciter des réserves, je ne vois pas en quoi elle remet en cause les principes démocratiques ; néanmoins, je suis prêt à réfléchir à l'appartenance à l'opposition des deux députés concernés.
Il aurait peut-être fallu dédoubler la proposition « Prévoir dans la loi du 20 septembre 1986 l'obligation pour les éditeurs de chaînes sur la TNT de respecter le principe de laïcité, incompatible avec la diffusion d'émissions à caractère religieux et prévoir de faire respecter par l'Arcom le principe d'une réfutation des théories pseudo-scientifiques », dont la formulation pourrait laisser croire que, par tropisme irréligieux, je considère les discours religieux comme relevant de théories pseudo-scientifiques. Toutefois, je ne suis pas un vieil anticlérical du début du XXe siècle et je fais une distinction intellectuelle entre les religions et les discours pseudo-scientifiques. L'obligation de respect de la laïcité, y compris pour les groupes privés, découle de la notion d'occupation du domaine public. Le deuxième versant de la proposition porte sur certaines émissions qui promeuvent massivement des théories pseudo-scientifiques : à une époque où se pose la question de l'honnêteté de l'information, de la manipulation des esprits et de la lutte contre les dérives sectaires, il convient de mener une action déterminée en ce sens à la télévision.
La proposition d'« attribuer à la rédaction des chaînes un droit d'opposition sur les décisions ayant des conséquences directes sur le contenu éditorial de l'information » fait, elle aussi, écho aux propositions de Sophie Taillé-Polian, lesquelles s'appuient sur les recommandations de Claire Sécail, de Julia Cagé et d'autres intellectuels. L'un des enjeux de la démocratie contemporaine est de donner la possibilité à ceux qui font l'information de contrôler la chaîne de bout en bout.