Plutôt que de définir la souveraineté alimentaire, je voudrais alerter sur le fait que rien n'est acquis. Aujourd'hui, on veut tout réglementer. L'Union européenne rétablit des contraintes réglementaires et nous impose des surfaces agricoles improductives, dans une ambiance assez délétère vis-à-vis de l'élevage. Alors que le modèle français est plutôt vertueux, on le remet sans cesse en question. Mais nous mettre des bâtons dans les roues ne fera pas progresser l'innovation.
N'oublions pas qu'il y avait des tickets de rationnement en France il y a seulement soixante ans, même si nous avons la chance de ne pas avoir connu cette période. En Europe, l'agriculture a beaucoup évolué et a permis d'assurer une certaine souveraineté alimentaire. Il ne faudrait pas revenir en arrière et renoncer à cette indépendance, à un moment où d'autres pays ont compris l'importance vitale de ce secteur. Un manque de souveraineté alimentaire peut d'ailleurs favoriser les conflits – le mouvement des révolutions arabes a été lancé par des gens qui avaient faim. Nous l'avons oublié en France, où les dernières générations n'ont jamais connu le manque.
Oui, la biodiversité est importante, les compensations carbone sont primordiales face au changement climatique, mais pas à n'importe quel prix. L'agriculture, qui est en perpétuelle évolution, est source de solutions : elle peut aller dans la bonne direction, mais pas à marche forcée sous la pression réglementaire. En regardant les progrès accomplis depuis l'instauration de la PAC, on se rend compte que ce sont les incitations et non les contraintes qui ont permis aux agriculteurs d'évoluer.
Si nous voulons conserver notre souveraineté alimentaire tout en améliorant nos pratiques en matière de biodiversité et de bilan carbone, ce ne sera pas avec des contraintes et des interdictions, mais avec des politiques claires. Les agriculteurs, eux, se sont toujours adaptés à la demande, sachant qu'il ne sert à rien de produire des biens que le consommateur n'achètera pas. On peut être les plus vertueux du monde, on ne résistera pas sans acheteurs, comme le montre très bien le marché du bio. Ainsi, les producteurs ont développé une filière de lait bio parce qu'il y avait un marché. Mais on a voulu imposer un modèle bio et la filière se trouve maintenant en crise, comme malheureusement presque toutes les filières bio, parce que la production a été développée au-delà de la consommation.