La création des OP il y a une dizaine d'années a bouleversé les relations entre transformateurs et producteurs. Historiquement, les prix du lait étaient définis en interprofession et les industriels, qu'il s'agisse de privés ou de coopératives, avaient l'habitude de donner le mot d'ordre – les industriels privés représentent 45 % de la collecte et les coopératives 55 %. Lorsque ce système a pris fin, les OP n'étant pas encore installées, les industriels ont rapidement pris la main et imposé le prix du lait. Depuis, les OP se sont organisées pour regrouper les producteurs afin de négocier avec les industriels. Mais le naturel revient toujours au galop : la volonté de gérer le prix du lait en fonction de ses propres intérêts demeure.
À mon sens, la structuration n'est pas encore aboutie car nous ne faisons pas le poids face à un industriel. Jusqu'à présent, la collecte était stable et avait même augmenté avec la fin des quotas en 2015. Il n'y avait aucune concurrence entre industriels ou coopératives car toutes les usines étaient correctement approvisionnées et nous n'avions pas la possibilité de changer de client. Les industriels étaient donc en position de force pour gérer leurs volumes.
Cela a évolué ces dernières années : la collecte diminuant, il n'y a plus la même quantité de lait pour approvisionner les usines. Depuis deux ans, on constate que des producteurs changent de clients, ce qui est très nouveau dans la filière laitière. Ces derniers mois, le groupe Lactalis a souhaité renouer avec son ancienne stratégie, à savoir imposer des prix qui ne conviennent pas aux producteurs et qui, surtout, ne sont pas le reflet de nos discussions des cinq dernières années. En effet, depuis l'instauration d'Egalim et la signature de notre accord-cadre, nous avons toujours pu négocier, parfois de façon musclée mais sur la base de discussions concrètes et argumentées. Depuis juin 2023 et jusqu'à janvier 2024, il ne nous a plus été possible de débattre avec Lactalis, qui nous imposait, comme il y a dix ans, le prix du lait qu'il avait décidé, sortant du cadre qui résultait d'Egalim.
En septembre 2019, l'UNELL avait signé un accord-cadre avec Lactalis contenant une formule de prix qui intégrait, conformément à la loi Egalim 1, la notion de coût de production. Cette loi était relativement abstraite et peu directive, puisqu'il s'agissait de « prendre en compte » le coût de production. Le groupe Lactalis et l'UNELL ont eu à cette occasion un comportement modèle puisque les prix de revient ont été intégrés pour la moitié du marché intérieur des PGC (produits de grande consommation), ce qui avait un impact sur un quart du volume de lait collecté par Lactalis. Le problème est que, pendant quatre ans, nous étions les seuls à utiliser cette méthode, ou du moins à le faire aussi clairement, et qu'il n'y a eu aucune sanction dans la filière laitière lorsque le prix de revient n'était pas pris en compte dans la formule de prix. C'est aussi pour cela qu'Egalim 2 (loi du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs) a été promulguée. Mais, étant donné qu'il n'y a jamais eu de sanction, pourquoi le groupe Lactalis aurait-il dû continuer à être le modèle dans l'application des prix de revient ? L'origine de notre récent conflit est peut-être là, dans un défaut dans l'application et le contrôle de la loi Egalim chez les autres opérateurs.