Je vous remercie de nous avoir conviés à cette audition. Je veux souligner la pertinence de cette enquête sur la souveraineté alimentaire, même si je ne partage pas tout à fait la définition que certains experts en ont donnée.
La souveraineté alimentaire n'a pas toujours existé en France et en Europe. Nous appartenons à des générations qui ont eu la chance non seulement de ne jamais connaître de conflit en métropole, mais également de ne pas avoir eu à subir de manque. Les restrictions alimentaires ne sont pourtant pas si anciennes dans notre pays. Deux éléments ont permis d'y mettre fin : la Politique agricole commune (PAC), qui a contribué au développement de l'agriculture, et la capacité d'adaptation des agriculteurs, qui sont passés en deux générations des bœufs et des chevaux à la robotique. Cela a donné des résultats spectaculaires puisque nous sommes passés en quarante ans d'un déficit à une production performante – parfois de façon excessive, l'Europe ayant connu des surproductions dans les années 1980. Les mesures qui ont été prises, fondées sur l'incitation plutôt que sur la contrainte, ont permis de faire évoluer l'agriculture à une vitesse importante.
Certains pays utilisent l'agriculture et l'alimentation comme une arme économique : pour nos générations qui n'ont jamais connu le manque, il serait très risqué de l'oublier. C'est pourquoi je tiens à souligner l'importance des travaux que mène cette commission d'enquête.
J'en viens à l'UNELL. Les organisations de producteurs (OP) sont très récentes : car elles ont été créées par un règlement européen datant de 2012. Elles sont mandatées par leurs adhérents – pour nous, les producteurs laitiers – pour négocier les conditions de vente de leurs produits auprès des acheteurs. L'UNELL, agréée en 2017 par le ministère de l'agriculture, est une AOP, une association d'organisations de producteurs, qui regroupe onze OP adhérentes réparties sur l'ensemble du territoire français. Elle représente un peu plus de 5 200 exploitations agricoles et négocie une production annuelle de 3,1 milliards de litres de lait, soit près de 15 % de la production française. Notre particularité est que nous négocions avec un client unique, le groupe Lactalis, dont nous assurons 62 % de l'approvisionnement en France.
S'agissant de la souveraineté alimentaire, je souhaite commencer par les raisons de la déprise laitière et de la fragilité des exploitations laitières en France ces dernières années. D'abord, le prix du lait est soumis à une forte volatilité, qu'il est quasiment impossible de répercuter sur les charges en élevage. Cette volatilité a été à l'origine de nombreuses crises, notamment en 2009 puis en 2016. Cette dernière, due à une surproduction, a été amplifiée par l'embargo russe sur les produits laitiers.
Cela tient ensuite à l'absence de visibilité sur le prix de vente, sauf à court terme, alors que l'élevage laitier demande des investissements lourds et un engagement sur un temps long – on ne construit pas un troupeau, on ne change pas de type de production d'une année sur l'autre, voire d'une décennie sur l'autre. En outre, la rentabilité est plutôt faible, voire très faible eu égard aux besoins d'immobilisation capitalistique, ce qui peut mettre en difficulté les exploitations souhaitant se moderniser.
Par ailleurs, l'ambiance régnant autour de l'agriculture, en particulier l'élevage, met à mal la filière laitière française. La stigmatisation de l'élevage fait beaucoup parler, même si le bruit médiatique amplifie certainement le phénomène. Dans le meilleur des cas, « on veut bien de l'élevage, mais pas chez nous » ; on lui reproche des nuisances olfactives et sonores. Dans les cas extrêmes, on entend qu'il faut abolir l'élevage parce que cela pollue. Cette stigmatisation pèse sur les éleveurs laitiers.
Les contraintes réglementaires pèsent également. L'agriculture a toujours évolué très vite, et encore plus aujourd'hui – je vous invite à vous renseigner sur la proportion de techniciens supérieurs et d'ingénieurs chez les agriculteurs. La France et l'Europe ont certes connu des excès ces cinquante dernières années, parce qu'elles devaient nourrir leur population. Mais ne nous faites pas payer les excès de nos grands-parents alors que nous faisons évoluer nos pratiques. Les nouvelles générations ont besoin de messages positifs et non de stigmatisation.
Pour prendre un exemple d'ordre réglementaire, on prône aujourd'hui, pour remédier aux pertes de surfaces, la sanctuarisation des prairies. Mais est-ce la sanctuarisation des prairies qui les sauvera, ou plutôt le développement de l'élevage ? Il ne faut pas se tromper sur la cause et les conséquences.
Les aspirations sociétales ont aussi un impact important. Les contraintes de l'élevage laitier sont assez fortes : il faut travailler sept jours sur sept, toute l'année, pour nourrir et traire nos vaches. Alors que les 35 heures sont la norme, il y a un vrai décalage entre la société et la filière laitière. Nous aussi, nous avons besoin de vacances et de week-ends, mais il faut une juste rémunération de la main-d'œuvre pour trouver les relais qui nous permettraient d'avoir un rythme de vie comparable à celui du reste de la société. Les futurs éleveurs et ceux qui se sont installés récemment aspirent aussi au bien-être animal, à la préservation de la biodiversité et à l'amélioration de notre bilan carbone. Mais pour cela, il faut des moyens, qui ne nuisent pas pour autant à notre compétitivité.
S'agissant des relations entre l'amont et l'aval, nous observions jusqu'à présent une forte volatilité des cours des produits laitiers et des commodités – beurre et poudres de lait. Le maillon le plus fort, à savoir le transformateur, se protégeait de la volatilité en la transférant presque intégralement à la partie la plus faible, autrement dit les producteurs. Ces derniers subissaient donc quasiment entièrement la volatilité. Cela s'atténue un peu depuis la loi Egalim (loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous), qui permet de limiter ces variations, mais nous devons rester vigilants car le naturel revient au galop.
Les produits laitiers restent des produits d'appel dans les magasins. Il y a toujours une guerre des prix, ce qui est très destructeur pour la reconnaissance du métier d'éleveur. Il n'y a rien de pire pour des éleveurs que de voir des affiches de promotion expliquant qu'il faut venir dans un magasin parce que c'est là que le lait est le moins cher. C'est très dévalorisant et je pense que cela participe à l'ambiance globale qui explique la baisse de la production laitière en France.
Je m'en tiens là pour mon introduction, sachant que nous avons beaucoup d'éléments à vous communiquer sur la contractualisation et les OP, ainsi que sur l'application de la loi Egalim, qui est un élément important dans les relations entre les OP, les transformateurs et les éleveurs.