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Intervention de Philippe Bizien

Réunion du mercredi 10 avril 2024 à 15h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Philippe Bizien, président de l'interprofession nationale porcine (Inaporc) :

Monter un dossier ICPE dans l'élevage, c'est grosso modo la même chose que dans l'industrie. Il faut constituer un dossier très redondant et remplir des formulaires Cerfa. Quand on essaie de les remplir soigneusement, on nous dit parfois qu'ils sont illisibles, mais si on ne les remplit pas bien, cela peut nous être reproché devant le tribunal administratif. C'est un imbroglio fou !

Le dossier à remplir est très volumineux. Une fois qu'on l'a monté, il faut le déposer à l'administration, qui doit ensuite donner un avis de recevabilité : le délai de réponse peut être assez long. Pour vous donner un ordre d'idée, entre le moment où un éleveur décide d'un projet et celui où son dossier est jugé recevable, deux ans peuvent s'écouler – si tout se passe bien. Vient ensuite le temps de l'enquête publique, qui nécessite d'être costaud psychologiquement. Je l'ai vécu et je sais ce que c'est : on se retrouve tous les jours dans les journaux, il peut arriver que nos enfants, à l'école, se fassent harceler. Or les agriculteurs sont souvent seuls pour supporter cela – même si leur coopérative peut les accompagner.

Après le ramdam de l'enquête publique et l'avis du commissaire enquêteur, le dossier passe ensuite en conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST), puis le préfet donne son avis. Si je prends l'exemple des derniers dossiers déposés dans ma coopérative, il a fallu trois ans pour obtenir l'autorisation du préfet. Les projets sont presque systématiquement attaqués par des associations : lorsque l'affaire est portée devant le tribunal administratif, cela prend deux ans en première instance, puis deux ans de plus s'il y a un recours, ce qui fait quatre ans. On en est donc déjà à sept ans depuis le moment où le projet a été décidé. En sept ans, des choses ont pu se passer et, bien souvent, le projet de départ n'est plus adapté à la situation. Celui qui l'a lancé a lui-même sept ans de plus et n'est plus forcément en âge de contracter un prêt sur dix ou quinze ans. Tout cela fait que les éleveurs se découragent. Ce que nous proposons, c'est que le seuil à partir duquel une enquête publique doit avoir lieu soit porté à 3 000 places, comme ailleurs en Europe. Cela permettrait d'englober de très nombreux éleveurs, qui pourraient à nouveau avoir des projets.

Un élevage dans lequel on a investi n'a plus rien à voir avec un élevage d'il y a vingt ou trente ans, à tous points de vue. Investir, c'est inscrire son élevage dans la durée et favoriser le bien-être animal, l'environnement et la décarbonation. Il faut aussi accepter que les élevages grossissent, ce qui n'est pas un gros mot. Puisque certains élevages disparaissent, il faut que ceux qui restent puissent grossir. Cela doit permettre de faire des économies d'échelle, mais aussi de contribuer à l'acceptation sociale du métier : j'entends par là que les personnes qui travaillent dans les élevages ne doivent pas être des esclaves. Tenir un élevage, quand on est seul, c'est de l'esclavage : on travaille sept jours sur sept et il est très difficile de prendre des vacances. C'est aussi ce qui fait que certains éleveurs jettent l'éponge et ne transmettent pas leur élevage. Il y a certes des jeunes qui décident de s'installer seuls, et c'est tant mieux, mais beaucoup ont envie de vivre comme le reste de la société, et leurs salariés aussi, lorsqu'ils en ont.

Entre le délai de traitement des dossiers, les délais de recours et la guérilla administrative menée par les associations, les projets ont bien du mal à voir le jour.

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