Éleveur de porcs dans le Finistère et nouveau président d'Inaporc depuis septembre dernier, je suis également directeur d'Evel'up, deuxième coopérative française, réunissant plus de 600 éleveurs.
Interprofession longue, Inaporc représente toute la chaîne, de l'alimentation animale jusqu'à la distribution. Elle fêtera bientôt ses vingt et un ans. La présidence alterne entre l'amont et l'aval : un abatteur présidait l'interprofession avant moi.
La viande de porc est la première consommée dans le monde ; elle l'est aussi en France, à raison de 32 kilogrammes par an et par habitant. Elle a pour particularité d'être consommée sous forme de charcuterie pour les trois quarts de la production, ce qui implique une activité de transformation en aval – nos 450 recettes constituent d'ailleurs un patrimoine gastronomique exceptionnel, même d'autres pays où l'on en mange beaucoup n'en comptent pas autant. Autre particularité, tout est bon dans le cochon, mais tous les morceaux ne sont pas appréciés de la même façon dans le monde, ce qui rend les échanges commerciaux nécessaires. Quelque 25 % du poids de la carcasse sont exportés en Europe ou ailleurs, notamment en Asie, où l'on est assez friand de morceaux que nous mangeons peu ici, tels les pieds de cochon, les oreilles ou d'autres abats. Ainsi valorisés, ces morceaux nous permettent d'équilibrer notre filière et de vendre les autres à un prix attractif.
L'année dernière, notre taux d'autosuffisance se situait à 102 %, contre un peu plus de 105 % les années précédentes. En tendance, la production diminue plus vite que la consommation : la seconde baisse à peu près d'un point par an, quand la première a perdu près de 10 % en trois ans – ce qui est énorme.
De taille assez modeste pour l'Union européenne, nos élevages comptent en moyenne 250 truies qui mobilisent le travail de deux personnes, contre 600 voire 700 truies au Danemark et jusqu'à 2 000 truies pour les élevages les plus récemment installés en Espagne. Le modèle diffère complètement de celui des élevages français, dont même les plus gros reposent encore sur des capitaux familiaux.
L'interprofession représente tous les maillons, la consommation particulière de cette viande supposant une filière forte pour que tous puissent travailler. La baisse de 10 % de la production a entraîné dernièrement des fermetures d'abattoirs, en particulier du groupe Bigard. Les entreprises de salaison connaissent également des difficultés : vingt-sept d'entre elles, généralement petites, se sont retrouvées en défaillance. Avec la baisse continue des volumes de production, ces difficultés s'aggravent : alors que, l'année dernière, les défaillances étaient surtout le fait de petites entreprises au chiffre d'affaires situé entre 5 et 10 millions d'euros, celles de l'année en cours concernent des structures un peu plus grosses, réalisant entre 10 et 30 millions d'euros de chiffre d'affaires. La filière se fragilise.
Quand j'ai pris la présidence, on m'a fixé pour objectif d'arrêter cette hémorragie de la production, dont toute la filière pâtit. Notre analyse du problème est que, faute d'investissements, les élevages vieillissent, perdent en compétitivité et finissent par fermer au lieu d'être transmis, ce qui explique la perte de 10 % de production en trois ans. Nous arrivons à un tournant : sans un électrochoc pour redonner des perspectives à la production – 40 % des cochons sont détenus par des éleveurs de plus de cinquante-cinq ans –, le sort de la filière volaille nous guette, les importations européennes puis extra-européennes risquant de se substituer à une production nationale déclinante. Nous n'en sommes pas encore là mais, alors que nous pensions avoir été entendus du Gouvernement, une partie de nos propositions, déjà anciennes, ayant paru trouver un écho dans le plan pour l'élevage, la traduction qui en est donnée dans les textes n'est pas à la hauteur des enjeux et la production risque de continuer à diminuer.
Pourquoi les éleveurs n'investissent pas ? Le problème n'est pas tant financier : la production porcine connaît des hauts et des bas, mais même la conjoncture actuelle, plutôt favorable, ne débouche pas sur des investissements. Ce qui freine les éleveurs, c'est d'abord le poids des démarches pour obtenir les autorisations administratives : plus strictes que celles de l'Union européenne, en particulier en matière d'installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), les normes auxquelles nous sommes soumis pénalisent nos élevages – qui restent de petites, voire de très petites entreprises. À cela s'ajoute l'opposition locale à laquelle se frotte tout projet, agricole ou non. Les éleveurs ne veulent plus faire bouger leur élevage et l'adapter aux enjeux de demain s'ils doivent pour cela en passer par l'enquête publique. Sur le temps long, l'amortissement de bâtiments comme les nôtres prenant une quinzaine d'années, la production s'est érodée et, depuis trois ans, elle commence à s'écrouler, avec toutes les conséquences que l'on sait.
Nous préconisons deux choses. Premièrement, une simplification administrative forte pour pouvoir rénover, structurer et agrandir nos élevages. Nous ne demandons évidemment pas d'assouplir les normes environnementales elles-mêmes : c'est la lourdeur administrative qui les entoure qu'il faudrait supprimer. Deuxièmement, la sécurisation des autorisations : délivrées au terme d'un long parcours semé d'obstacles, la plupart de celles de mon département finissent au tribunal administratif et ne seront jamais mises en œuvre tant cela prend de temps.
Cela est d'autant plus regrettable que notre interprofession élabore un plan de responsabilité sociale des organisations (RSO). De l'élevage à la charcuterie en passant par les abattoirs, tous les maillons de notre filière sont prêts à prendre des engagements assez forts, tant en matière de bien-être animal que d'environnement ou d'alimentation animale, par exemple à propos du soja – les ONG rencontrées ont salué notre plan. Or celui-ci ne pourra être déployé que si nous sommes à même d'investir dans nos élevages. Faute de quoi, notre souveraineté en cochon – dont j'aurais dû commencer par vous dire qu'elle est la seule qui reste encore en France en matière de viande – sera compromise.
Il y a des choses assez simples à faire pour redonner aux éleveurs la confiance nécessaire pour investir. Nous sommes des entreprises comme les autres, avec cette particularité de travailler sur du vivant : chaque fois que nous investissons, le bien-être animal, l'environnement et l'attractivité du métier y gagnent, et nous améliorons notre compétitivité globale, qui est notre principal enjeu. Notre filière évoluant sur le temps long, j'ai peur, au vu de la pyramide des âges, qu'elle ne s'écroule si des décisions ne sont pas prises très rapidement.