Pendant mes quarante ans d'activité, le cheptel ovin a diminué de moitié et le nombre d'éleveurs de deux tiers. Depuis l'ouverture du marché européen, et donc français, dans les années 1980, la grande majorité des élevages et des brebis françaises occupent des territoires situés au sud de la Loire, dans des zones défavorisées où cette activité constitue le dernier rempart contre la désertification. La rémunération des éleveurs ovins, parmi les plus faibles du secteur agricole, est insuffisante. Les revenus annuels varient, selon les systèmes, entre 18 000 et 25 000 euros.
La production française assure 46 % de la consommation d'agneau en France : il est donc nécessaire d'importer. Pour autant, on constate une grande différence entre le prix de la viande importée et nos propres coûts de production. Pour une rémunération de deux SMIC, si l'on ne tient compte que de nos coûts de production, la variation est de 4,90 euros à 11 euros pour les cotations entrée abattoir ; si l'on intègre les coûts de revient, en tenant compte des aides de la politique agricole commune (PAC), l'écart entre le prix de vente et le prix de marché reste compris entre 1,60 euro et 4,24 euros.
L'interprofession a réagi en cherchant à assurer le renouvellement des générations à l'aide de fonds interprofessionnels. En vingt ans, nous avons réussi à inverser la tendance, grâce notamment à des programmes de redynamisation – Inn'Ovin étant le plus récent –, lesquels ont permis de compenser la quasi-totalité des départs par une nouvelle installation. En dépit de cet effort collectif, l'augmentation des volumes importés qui pourrait résulter, notamment, de la mise en œuvre des accords de libre-échange adoptés ou en cours de négociation est susceptible de mettre à mal ce renouvellement des générations et la transmission des savoir-faire dans des territoires particulièrement difficiles.
Le prix des agneaux d'importation pèse sur notre marché. En France, la consommation atteint un volume de 151 000 tonnes. À l'échelle de l'Union européenne, 115 000 tonnes proviennent de Nouvelle-Zélande, un pays auquel nous venons d'accorder un contingent supplémentaire à taux zéro de 38 000 tonnes. Alors que la production néo-zélandaise était principalement tournée vers la Chine, cette dernière a récemment accru sa production de porc et donc de protéines, rendant son marché moins porteur. Aussi la Nouvelle-Zélande se réoriente-t-elle désormais vers le marché européen, en particulier vers le marché français. Ces derniers jours, vous avez pu voir des promotions pour des agneaux de Pâques provenant de Nouvelle-Zélande, vendus entre 7 et 9 euros le kilo, alors que le même agneau originaire de France coûte autour de 23 euros le kilo parce que les coûts de production sont supérieurs, les exploitations plus petites et les normes plus nombreuses. Certes, ces dernières rassurent les consommateurs, mais elles grèvent notre capacité à produire à moindre coût.
La France est la première importatrice de viande ovine originaire de pays tiers, notre premier fournisseur étant la Grande-Bretagne, suivie de l'Irlande. Nous avons besoin de cet approvisionnement. Les Français n'ont pas l'habitude de consommer de l'agneau en dehors de Pâques, et la population des consommateurs est d'ailleurs vieillissante – 77 % d'entre eux ont plus de 50 ans, tandis que les 35-49 ans ne représentent que 17 % des volumes achetés. L'interprofession cherche à encourager la consommation chez les plus jeunes, notamment dans le cadre du programme « Nos clients changent, changeons l'agneau ! », qui présente cette viande de manière plus appropriée à leurs modes de consommation. Il ne suffit pas de renouveler nos éleveurs : il faut aussi renouveler les consommateurs.
Pour dépasser certains freins en matière de souveraineté alimentaire, la contractualisation est un levier important : elle assure une sécurité en matière de revenus et offre une perspective aux éleveurs qui s'engagent, de plus en plus nombreux malgré tout. Quand ils consultent leurs financeurs, notamment les banques, ils ont besoin d'une garantie de revenus, et donc de prix. La contractualisation intègre des coûts de production certes élevés, mais qui répondent à des attentes sociétales – je pense au bien-être animal, à la préservation de l'environnement et de la biodiversité, ou encore au dynamisme économique des territoires ruraux. Elle permettra de rassurer le citoyen et le consommateur, mais encore faut-il que nous avancions dans sa mise en œuvre, souhaitée par la profession et les filières.