Intervention de Frédéric Manon

Réunion du lundi 15 avril 2024 à 9h30
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Frédéric Manon, ancien conseiller municipal de Lacroisille et ancien conseiller de la communauté de communes Sor et Agout :

Pour soutenir mon propos, j'ai élaboré un support de présentation qui me permettra d'être aussi précis que possible.

J'entreprendrai de démontrer dans quelles mesures l'autoroute Castres-Toulouse ne m'apparaît pas comme la réponse la plus adaptée pour assurer une mobilité complète entre ces deux villes et à l'objectif de répondre aux besoins de déplacements des employés des entreprises et des particuliers. Pour ce faire, je commencerai par un simple rappel historique, étant probablement l'un des rares à avoir suivi le projet depuis le début.

En juillet 2004, le cabinet Infraplan a produit une étude, pour le compte des laboratoires Pierre Fabre, sur le mode de financement requis pour accélérer l'aménagement de la RN 126. La mise en concession de l'itinéraire figurait parmi plusieurs propositions.

En octobre 2006, le ministère chargé des Transports adressait un courrier à la direction régionale de l'équipement (DRE) de la région Occitanie afin de lancer les études d'avant-projet sommaire pour la réalisation d'une liaison à deux fois deux voies. La concession de l'autoroute était donc actée dès 2006.

En juillet 2007, la DRE d'Occitanie a souhaité lancer une concertation sur l'autoroute Castres-Toulouse. Cet élément est très important car l'autoroute Castres-Toulouse était l'un des maillons du futur grand contournement autoroutier de Toulouse, lequel devait faire l'objet d'un débat public à la fin de 2007.

La commission nationale du débat public (CNDP) est donc intervenue pour demander à l'État de différer cette concertation de sorte à ne pas interférer avec le débat public sur le grand contournement. La question centrale du grand contournement était de savoir s'il devait être réalisé à l'Est ou à l'Ouest et le fait d'introduire l'autoroute dans le débat public a forcément biaisé le débat quant à ce choix.

En janvier 2008 s'est déroulée la concertation sur le projet de l'A69. Le projet était initialement chiffré à 289 millions d'euros pour une distance de 36 kilomètres, sachant que sur un projet de cette nature, les seuils de saisine de la CNDP étaient fixés à 300 millions d'euros et à 40 kilomètres. C'était la première illustration de l'intention de l'État de court-circuiter le débat public pour amorcer le projet d'autoroute au plus vite.

En décembre 2008, l'État a tout de même été contraint de saisir la CNDP pour lancer un débat public, lequel s'est tenu de septembre 2009 à janvier 2010. À ce stade, la question n'était déjà plus celle d'un aménagement raisonné de l'itinéraire Castres-Toulouse via la route nationale, mais de savoir s'il convenait de financer une autoroute sur fonds publics ou sur fonds privés. Le débat public a également été biaisé sur cet aspect, si bien que la question de l'opportunité de l'ouvrage n'a jamais vraiment été posée.

En janvier 2013, la commission Mobilité 21 a classé le projet d'autoroute en priorité 1 dans le scénario 2, alors que quelques jours avant, le même projet était classé en priorité 2.

Le mois de décembre 2016 a vu l'enquête publique sur l'autoroute Castres-Toulouse, avec une audition de France Nature Environnement et du collectif RN126. Les éléments fournis lors de cette enquête publique n'ont pas été mentionnés dans son rapport, en particulier l'analyse de la valeur actualisée nette socio-économique du projet. Ainsi avons-nous été les seuls à avoir procédé à une telle étude.

J'en viens précisément aux questions de madame la rapporteure.

« Pourrez-vous résumer autant que possible, lors de votre audition, les critiques à l'encontre des gains de temps, de la surestimation des trafics et du bilan socio-économique que vous avez publié à l'encontre de l'A69 ? »

Je commencerai par les gains de temps. Selon le plan de réduction de la consommation énergétique initié par l'État en juin 2023, la limitation de la vitesse maximale sur autoroute serait a priori portée à 110 km/h. Le gain de temps serait alors de quatre minutes de Castres à Soual, de neuf minutes entre Soual et Verfeil et de deux minutes entre Verfeil et l'A68, soit un gain de temps total de quinze minutes, bien loin des trente-cinq minutes annoncées depuis le débat public de 2009.

Les vrais problèmes de circulation se concentrent entre la rocade de Castres et la déviation de Soual. À bien y réfléchir, le projet de l'A69 est finalement un projet autoroutier de 59 kilomètres, se chiffrant à près d'un demi-milliard d'euros, simplement pour régler un problème de mobilité en entrée et en sortie de Castres.

L'ensemble de ces éléments chiffrés figure dans le dossier rédigé par Atosca en réponse aux avis et recommandations de l'Autorité environnementale dans le cadre de l'enquête publique. Pour l'avoir vérifié, je précise ici que les temps et les distances de trajets retenus par Atosca sont exactement similaires aux données disponibles sur Google Maps.

Le report de trafic sur trois quarts de l'itinéraire a été estimé, par le maître d'ouvrage, sur une fourchette allant de 60 à 80 %. Autrement dit, six à huit véhicules sur dix se reporteraient de la route nationale vers l'autoroute, sachant que l'actuelle liaison entre Verfeil et Puylaurens ne pose aucun problème de fluidité. Un tel report apparaît irréaliste pour de nombreuses raisons : le coût du péage, les gains de temps bien plus faibles que ceux avancés et les emplacements des échangeurs de Soual et de Puylaurens, chacun n'étant doté que d'une entrée et d'une sortie.

De la même manière, le calcul de la valeur actualisée nette socio-économique a largement été surestimé, ce que l'Autorité environnementale et le CGI ont confirmé en indiquant que les gains de temps et les reports de trafics avaient effectivement été surestimés, mais aussi que le prix du péage avait, dès l'origine, été sous-évalué. Le dernier dossier d'Atosca, en réponse à l'Autorité environnementale, détaille les prix optimisés, en page 39. Sur la section allant de Verfeil au péage de L'Union, l'aller-retour serait facturé à 18 euros pour les non-abonnés, à 17 euros pour les abonnés et à 45 euros pour les poids lourds.

J'en viens à la deuxième question concernant le processus décisionnel : « Les défenseurs du projet de l'A69 estiment que les procédures de son instruction ont été strictement respectées, les différents recours à l'encontre des actes réglementaires ayant en outre été rejetés. Comment écarter un projet qui obéit au principe de légalité autrement qu'en opportunité, c'est-à-dire en considérant que les bases sur lesquelles il se fonde sont erronées ? Estimez-vous que c'est l'ensemble du processus décisionnel qu'il faudrait revoir pour les projets d'infrastructures ? »

Un projet d'infrastructure comme l'A69 s'inscrit dans un ensemble de territoires, en l'occurrence le Tarn et la Haute-Garonne. Les premiers concernés en sont les habitants, puisque le projet modifie leurs déplacements quotidiens, le projet de territoire, tout comme il modifie leur environnement. Certes, les habitants sont formellement consultés, au travers de débats et d'une enquête publique, sans toutefois qu'ils prennent part à la décision. L'État est à la fois porteur du projet et décideur ; en d'autres termes, il se fait juge et partie.

Mon rappel historique liminaire atteste bien du choix de l'État d'encourager au maximum le projet de l'A69. En tout état de cause, quand bien même le projet respecte le principe de légalité, comme le soutient monsieur le président Jean Terlier, il n'a pas été honnête eu égard au contenu du dossier et à la façon dont il a été instruit. Bien que le citoyen ait la possibilité de s'exprimer sur un projet concernant son territoire, l'État reste le décideur et in fine, le citoyen subit une décision qui lui échappe, d'où la situation de confrontation que nous vivons aujourd'hui. À mon sens, la seule issue possible, pour éviter ce type de confrontations sur de futurs dossiers, est de mettre en place des conventions citoyennes, avec intégration concrète des citoyens dans le processus de décision.

Votre question n° 3, madame la rapporteure, portait sur l'alternative ferroviaire à l'autoroute A69.

La carte de situation que j'ai présentée relève bien l'inadaptation de la desserte ferroviaire sur les secteurs de Puylaurens, Soual et Verfeil, car elle oblige à rejoindre la gare de Lavaur ou d'autres gares situées entre Lavaur et Castres. Le temps de trajet nécessaire pour rejoindre ces différentes gares joue manifestement en défaveur du ferroviaire.

Toutefois, l'autoroute a précisément été vendue comme étant le moyen d'améliorer les trajets domicile-travail entre Castres et Toulouse et à cet effet précis, la solution ferroviaire permettrait d'atteindre le centre de Castres beaucoup plus vite que l'itinéraire de l'autoroute tel que proposé. À mon sens, le mode ferroviaire est donc la meilleure des réponses possibles aux déplacements entre Castres et Toulouse.

Aussi l'intérêt du projet d'autoroute Castres-Toulouse apparaît-il fortement limité entre Soual et Verfeil, en particulier pour accéder au Sud et à l'Est de Toulouse ; l'itinéraire le plus pratique devant permettre d'accéder à une zone d'activité commerciale très importante et au complexe scientifique de Rangueil.

Votre dernière question, madame la rapporteure, était la suivante : « Vous avez indiqué vouloir vous exprimer sur les rétrocessions de Soual et de Puylaurens. Merci d'exposer vos critiques à la commission d'enquête. »

Les deux déviations rétrocédées deviendront payantes et ne joueront plus leur rôle de déviations, n'étant dotées que d'un accès (une entrée et une sortie). En conséquence, le report du trafic local se fera vers les centres-villages, provoquant une dégradation du cadre de vie des habitants concernés et une dégradation des temps de parcours pour les usagers de la RN126 qui n'emprunteront pas l'autoroute ; ladite dégradation pouvant s'estimer à plus de cinq, voire dix minutes par rapport à la situation actuelle.

Ce qui devrait être défendu, à mon sens, est le maintien des deux déviations par l'ajout d'une entrée et d'une sortie à chacune d'entre elles. Cela serait relativement simple, d'autant que les barrières de péage prévues sont des péages en flux libre (free-flow), c'est-à-dire qu'il serait très facile de différencier les utilisateurs qui utiliseront la déviation pour contourner les villages des utilisateurs ayant emprunté une section payante de l'autoroute. Le surcoût lié à l'ajout de ces deux péages en flux libre serait très faible au regard de celui de l'ouvrage complet. Au demeurant, si le concessionnaire n'était pas en capacité de financer ces deux barrières supplémentaires, les collectivités territoriales comme l'État pourraient tout à fait y procéder.

J'en viens à la question de la subvention d'équilibre.

Dans son dossier d'enquête publique, l'État écrivait qu'une « simulation de la subvention d'équilibre a toutefois été effectuée par l'État en tenant compte des dernières études et des éléments de coûts connus à ce jour, en fonction des conditions de financement observées actuellement sur le marché pour ce type d'opérations ». En d'autres termes, l'État a estimé que l'équilibre financier d'une opération de 460 millions d'euros impliquait une subvention d'équilibre de 220 millions d'euros.

Alors, je pose la question. Comment expliquer que le candidat NGE ne demande aucune subvention d'équilibre, alors que des experts de l'État estiment que l'équilibre financier ne peut être obtenu que par une subvention de 220 millions d'euros ? Comment parvient-il à financer lui-même ces 460 millions d'euros d'investissement ? Je ne comprends pas bien…

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