Intervention de Jean-Luc Gibelin

Réunion du lundi 15 avril 2024 à 9h30
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Jean-Luc Gibelin, vice-président de la région Occitanie en charge des transports et des mobilités :

Madame la rapporteure, nous avons bien reçu votre questionnaire auquel je répondrai en ma qualité de vice-président de la région, membre de la majorité régionale, en charge des mobilités pour toutes et tous, et en fonction depuis janvier 2016.

J'ai eu dans ce cadre l'occasion d'agir avec un volontarisme fort afin de développer les mobilités, notamment les mobilités ferroviaires, de sorte que les populations de nos territoires ne soient pas assignées à résidence. C'est un point très important auquel s'est attachée la majorité régionale et qui mobilise régulièrement nos politiques régionales.

En matière de transport ferroviaire, nous avons signé une convention de longue durée avec le groupe SNCF et cela explique nos relations importantes avec SNCF Réseau puisque, dans d'autres régions, le conventionnement est signé réglementairement et uniquement avec SNCF Voyageurs. Je pense que nous aurons l'occasion d'évoquer ce plan rail dans nos échanges. Il concerne non seulement les lignes de desserte fine du territoire, mais également le soutien aux lignes à grande vitesse, une ambition pour le ferroutage qui, bien qu'il ne relève pas d'une compétence de la région, faisait partie des différentes actions du plan issu des états généraux du rail et de l'intermodalité. Ce plan contient également, bien sûr, un plan vélo, une stratégie de covoiturage et des voies ferrées portuaires.

Bref, nous réservons une place vraiment centrale au transport ferroviaire dans la région, dans le cadre d'un budget vert dont l'objectif consiste à devenir le plus rapidement possible une région à énergie positive, notamment en ce qui concerne les mobilités.

Nous travaillons dans un contexte difficile, avec un investissement gouvernemental que nous jugeons insuffisant. En 2021, cet investissement représentait quarante-cinq euros par habitant et par an en France, alors qu'il s'élevait à cent trois euros en Italie, cent vingt-quatre euros en Allemagne et quatre cent treize euros en Suisse. Ce constat a conduit les présidentes et les présidents des régions de France à publier une tribune, il y a plusieurs mois, afin d'obtenir un choc d'investissements qui permette un choc d'offres, puisque c'est bien de cela dont il s'agit. Plusieurs chiffres avaient été annoncés, notamment cent milliards d'euros, qui ne se sont pas concrétisés à notre niveau, ce qui nous préoccupe vivement.

Nous sommes convaincus du besoin d'infrastructures. Dans le cadre des échanges relatifs au volet mobilité des contrats de plan État région (CPER), la part consacrée aux infrastructures routières s'élève à 20 % de l'ensemble des engagements régionaux alors que nous totalisons deux mille quatre cents kilomètres de voies ferroviaires et globalement cinquante-trois mille kilomètres de routes départementales, nationales ou autoroutes à l'échelle régionale.

En réponse à votre première question, il nous apparaît évidemment que la ligne concernée appartient au réseau ferroviaire national ouvert au trafic et elle est soumise à une maintenance assurée par SNCF Réseau. S'agissant de sa rénovation, cette ligne a bénéficié d'investissements du plan rail de la région Midi-Pyrénées et du plan rail Occitanie. Elle présente des enjeux de renouvellement comparables à un grand nombre de lignes de desserte fine du territoire.

Des travaux lourds de renouvellement ont été réalisés au cours des quinze dernières années. Je précise d'ailleurs que, contrairement à d'autres lignes d'Occitanie, la pérennité de cette ligne n'est absolument pas menacée, notamment parce que les opérations ont été menées en leur temps. En effet, la ligne bénéficie d'opérations de régénération régulières avec ou sans fermeture de ligne. D'ailleurs, les derniers travaux sur le secteur, réalisés en 2023, portaient sur la mise au gabarit des lignes au niveau des gares de Lavaur et de Castres, ainsi que sur un traitement de la voie permettant de lever les limitations de vitesse précédemment mises en place sur cette ligne. Des opérations sur les ouvrages hydrauliques sont programmées en 2024, ainsi que des opérations de renouvellement de voies.

La situation de la ligne Toulouse-Castres est comparable à celle de lignes qui relèvent de la même classification et qui ont été renouvelées selon un calendrier similaire. C'est ainsi le cas de Toulouse-Albi, de Toulouse-Auch ou de Toulouse-Figeac.

La ligne Toulouse-Montauban, que vous évoquez dans votre question, n'est pas comparable puisqu'elle ne relève pas de la même catégorie du réseau structurant. Elle bénéficie d'installations plus performantes parce qu'elle ne correspond pas au même classement. Elle est composée d'une double voie et d'un passage à quatre voies entre Toulouse et Saint-Jory. Elle est parcourue par un nombre plus important de trains et pas uniquement de trains régionaux, contrairement à la ligne Toulouse-Castres. Enfin, elle est deux fois plus courte que la ligne Toulouse-Castres-Mazamet.

S'agissant de la fréquentation quotidienne, elle varie entre mille quatre cents et deux mille voyages par journée, du lundi au vendredi, et environ mille voyages par jour en week-end, sauf pour les week-ends à un euro. En effet, dans la région, le premier week-end de chaque mois est un week-end à un euro et la fréquentation est évidemment plus importante.

La desserte actuelle s'élève à douze allers-retours, du lundi au vendredi, et cinq et demi allers-retours le samedi et le dimanche, ce qui permet une fréquence d'environ un train par heure en heure de pointe et un train toutes les deux heures en heures creuses.

La desserte est plus dense sur le tronc commun Toulouse-Saint-Sulpice, également emprunté par les trains qui desservent Albi, Rodez et Figeac. Le doublement de vingt kilomètres de voies entre Toulouse et Saint-Sulpice dans le cadre du plan rail a permis d'augmenter la capacité de cette section de ligne, souvent citée comme la ligne de voie unique la plus parcourue d'Europe. Cette capacité supplémentaire a permis de développer le niveau de desserte et surtout d'en améliorer la fiabilité grâce à l'installation en parallèle d'une nouvelle signalisation.

Pour autant, il demeure encore certains obstacles à l'augmentation du nombre de trains et de la capacité d'emport de voyageurs sur la section Toulouse-Saint-Sulpice. Deux tunnels restent en voie unique et constituent dès lors des goulots d'étranglement dans l'organisation des circulations. Au-delà de la voie, le gabarit de ces deux tunnels ne permet pas l'utilisation de rames à deux niveaux avec de plus grandes capacités d'emport. En outre, la ligne n'est pas électrifiée ; seuls les trains thermiques peuvent circuler et ces trains sont moins performants que les trains électriques. À noter d'ailleurs, que l'électrification de la ligne est la deuxième condition nécessaire à la circulation des trains à deux niveaux puisqu'ils n'existent pas en traction thermique actuellement dans le parc. Enfin les capacités d'accueil de Toulouse-Matabiau sont contraintes et, sur un certain nombre d'horaires, nous approchons de la saturation.

S'agissant du prix moyen, le billet plein tarif pour un trajet entre Toulouse et Castres coûte 19,80 euros et 23,10 euros pour le trajet entre Toulouse et Mazamet. Cependant, en Occitanie, la notion de prix moyen n'est pas vraiment appropriée parce que la gamme tarifaire est très vaste et comporte de nombreuses propositions. La recette moyenne enregistrée par voyage ferroviaire sur la ligne Toulouse-Castres s'élève à 5,94 euros, à comparer au tarif plein de 19,80 euros. En fait, ce montant tient compte non seulement des ventes de billets à plein tarif, mais également de l'ensemble des voyages à tarif réduit, voire gratuit, proposés par la gamme tarifaire. C'est une concrétisation de la variété de la gamme proposée sur cette ligne et qui conduit à penser que, régulièrement, 85 à 90 % des usagers voyagent à tarif réduit. En outre, pour les usagers actifs entrant dans le cadre du trajet entre domicile et travail, les trajets peuvent être pris en charge à 50 % par l'employeur, voire 75 % pour les agents de la fonction publique.

Le réseau est évidemment d'abord et avant tout tourné vers l'intermodalité. J'ai précédemment évoqué les états généraux du rail et de l'intermodalité et la mise en place du service régional des mobilités, qui porte sur quatre piliers : la convention Transport express régional (TER), les transports interurbains et les transports scolaires régionaux qui concernent près de cinq mille véhicules tous les jours et cent quatre-vingt mille enfants transportés dans la région, les transports alternatifs comprenant le plan vélo, le covoiturage, et enfin, quatrième pilier, les pôles d'échanges multimodaux. Les aménagements déployés au niveau des points d'arrêt favorisent cette combinaison avec les autres modes de transport, notamment avec le plan vélo, le stationnement pour les véhicules légers, les emplacements de covoiturage. À partir du mois de septembre, sur deux lignes de la région, nous lancerons une expérimentation de location de longue durée de vélos pour les usagers du vélo et de vélo-train pour leurs trajets entre leur domicile et leur travail.

Le plan d'échange multimodal de Castres a fait l'objet d'un accompagnement régional, avec une participation de 1,6 million d'euros sur un budget qui s'élevait à 3,9 millions d'euros. Sa mise en œuvre constituera un acte fondateur de la multimodalité de la ligne et permettra également de rediriger les lignes urbaines et régionales vers la nouvelle gare routière créée sur le même site que la gare ferroviaire, et qui comprend un parc de stationnement de cent places supplémentaires pour les voitures ainsi que des places pour que le covoiturage.

S'agissant des infrastructures, la plateforme ferroviaire entre Toulouse et Castres peut accueillir du fret ferroviaire, mais limité dans sa nature. La ligne est classée en charge C, classement national qui signifie que le fret ne peut pas excéder vingt tonnes par essieu. Le maintien de l'accès aux trains de fret avait d'ailleurs été une condition fixée en 2007 par la région, lors de la signature du plan rail.

La ligne bénéficie également à Castres d'une cour pour les marchandises, active et utilisable, ainsi que d'une installation terminale embranchée (ITE). Certaines voies de la cour précitée sont mutualisées avec des fonctions de la défense nationale, mobilisables par le ministère des armées. L'embranchement, particulier à Castres, continue de donner lieu au paiement de redevances annuelles d'usage, mais il semble non fonctionnel, car il est dénué d'aménagement sur sa partie privative.

Le développement des services de fret serait tout autant limité non seulement par le nombre restreint d'infrastructures logistiques fonctionnelles, mais également par des contraintes de sillons rencontrées par la ligne ainsi que par la charge à l'essieu.

Dans un passé récent, la ligne comprenait un centre de transport combiné à l'entrée de Mazamet ainsi qu'une cour pour marchandises et des embranchements particuliers entre Castres et Mazamet. À l'inverse, le site de la zone d'activités des portes du Tarn à Saint-Sulpice est traversé par la voie et pourrait faire l'objet d'un embranchement à la demande d'entreprises. Je rappelle que, depuis 2018, la région a voté le principe du cofinancement régional des embranchements pour les entreprises.

L'estimation du coût de la réhabilitation et du doublement la voie est basée sur un ratio au kilomètre issu des études de SNCF Réseau, appliqué à la ligne Toulouse-Castres-Mazamet, mais également en rapport avec ce que nous finançons aujourd'hui sur d'autres lignes. L'estimation a été ramenée aux conditions économiques courantes pour les hypothèses d'électrification.

L'enjeu de doublement de la voie ne pourrait être apprécié plus avant qu'en fonction d'un objectif de service précis, dans le cadre d'études spécifiques par des experts. La présidente l'a ainsi exprimé et confirmé dans un courrier adressé à des parlementaires et que nous mettrons à disposition de la commission d'enquête, si vous le souhaitez. Les études des experts ont abouti à une estimation de 669 millions d'euros aux conditions économiques de 2023, soit de l'ordre d'un milliard d'euros courants à la réalisation.

Vous nous interrogez quant à la prise en compte sérieuse de la possibilité de réhabilitation. Je suis en mesure de vous confirmer que les projets de régénération de l'ensemble de la ligne ont permis de la pérenniser. En outre, les enjeux de desserte, notamment la faible densité d'arrêts intermédiaires de la ligne ferroviaire ainsi que son tracé différent de l'autoroute, ont été correctement identifiés.

L'ensemble des autorités organisatrices de mobilité a été consulté, à savoir, à l'époque, les conseils départementaux de la Haute-Garonne et du Tarn. Je vous propose de partager un extrait du dossier qui, à la page 51, évoque la synthèse des effets du projet sur les autres modes de transport : « Sur le ferroviaire, l'impact du projet sera faible, car l'aire de desserte entre les deux infrastructures n'est pas la même. Les infrastructures sont toutefois complémentaires du point de vue de la couverture territoriale, ce qui conforte le développement de l'infrastructure ferroviaire engagé : doublement de la ligne Toulouse-Saint-Sulpice, rénovation des voies sur l'axe Saint-Sulpice-Castres-Mazamet ».

L'instruction ministérielle du 16 juin 2014 définit le cadre général de l'évaluation socioéconomique des grands projets d'infrastructures. Les gains de temps ne sont pas les seuls effets pris en considération parmi les effets monétisables et les effets non marchands. La caractérisation d'un projet, notamment en regard d'un autre, ne semble pas se résumer à l'unique comparaison des gains de temps. En revanche, faute de connaître les points de départ et d'arrivée des trajets en voiture, nous ne pouvons pas établir de comparaisons. Il ne relève d'ailleurs pas de notre compétence de juger la pertinence des modalités d'évaluation socioéconomique des grands projets d'infrastructures qui sont établies au plan national.

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