Intervention de Yves Crozet

Réunion du mercredi 10 avril 2024 à 15h30
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Yves Crozet, économiste, maire de Saint-Germain-La-Montagne :

Sur la rente autoroutière, il est possible de parler de rente lorsque, sur un marché donné, les consommateurs sont prêts à payer très cher. Un actionnaire de LVMH, par exemple, bénéficie d'une rente de par le fait que des touristes étrangers sont prêts à attendre des heures sur les Champs-Élysées et à payer des centaines d'euros pour acheter des sacs, de très bonne qualité au demeurant, en plus de créer de l'emploi en France.

Que s'est-il passé avec les autoroutes ? Depuis 2006, le péage par véhicule, au kilomètre, a augmenté deux fois plus vite que l'inflation. Les autoroutes ont pu procéder ainsi justement parce que les clients étaient prêts à payer, notamment les poids lourds. Bien sûr, tel n'est pas le cas de l'intégralité de la population française.

Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que l'État retire une grande partie de cette rente. Je rappelle que les privatisations (d'abord initiées par la gauche, puis par la droite du temps de Dominique de Villepin) ont rapporté 22 milliards d'euros à l'État. Le tarif du péage comprend le remboursement de ces 22 milliards d'euros, en plus des intérêts et l'impératif de remboursement de cette somme donnée à l'État explique l'obligation pour les concessionnaires de dégager de 40 à 60 milliards de profits sur 25 ans.

Aujourd'hui, l'État récupère annuellement 40 % du chiffre d'affaires des concessionnaires. C'est pour cette raison, madame Arrighi, que je ne puis vous rejoindre sur le sentiment que l'État a fait une mauvaise affaire. Je ne vous dis pas qu'il fallait privatiser, étant personnellement hostile à la privatisation.

Pourquoi ce choix a-t-il été fait ? Tout simplement parce qu'il constitue la solution de facilité pour l'État. Même si la réponse n'aura pas l'effet d'une baguette magique, l'État se garantit des recettes pour les années suivantes, en espérant évidemment que le concessionnaire ne fasse pas faillite. L'idée d'un rachat des concessions par l'État induirait l'idée que les concessionnaires puissent être des voleurs et impliquerait de les indemniser à hauteur de 20 ou 30 milliards d'euros, ce qui serait assez mal perçu par les électeurs et les usagers.

Comme je l'indiquais à l'Assemblée nationale en 2015, la renationalisation est un rêve, sauf à considérer de nationaliser sans indemniser, ce qui poserait quelques problèmes constitutionnels.

En revanche, en fin de concession, il ne faudra assurément pas renouveler le système actuel. C'est un système qu'il faut modifier, en évitant surtout une gratuité qui porterait à trouver des milliards d'euros à d'autres endroits. Certains acteurs, notamment les poids lourds, ont une réelle disposition à payer et il faut maintenir cette disposition, mais organiser les choses différemment. Sur ces aspects que je ne développerai pas, je vous renvoie aux travaux menés par l'association TDIE.

Je reviens sur la question du ferroviaire. Si la solution de la concession autoroutière est à mon sens datée, c'est parce qu'il convient de prendre en compte l'évolution actuelle de l'ensemble du réseau routier français, à l'échelle des départements et des métropoles. Ce n'est pas le temps des individus qui est le bien le plus rare, aujourd'hui, mais l'espace collectif de circulation. Sur cet espace, il faut faire passer des camions, des voitures, si possible du covoiturage, des vélos et des autocars et c'est toute cette gestion de la route qui est en train de changer. Par exemple, la gestion des autocars a été privilégiée sur la nationale 4, si bien qu'à chaque fois que vous entrez dans un village, vous devez désormais laisser passer l'autocar que vous aviez doublé quelques minutes auparavant. Ce changement très important s'accentuera d'autant plus que la pression sur les routes augmentera du fait du télétravail et de la voiture électrique.

Parallèlement, le train présente un double-problème. Le premier est que là où l'autoroute rapporte de l'argent à la collectivité, le train en coûte ; il y a donc un sujet de financement. Tout le monde dit qu'il faudrait investir 100 milliards d'euros sur le ferroviaire. Voilà une très bonne idée, que les ressources financières actuelles sont loin de permettre. Pour financer le Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest, il faudrait créer de nouvelles taxes sur des personnes qui n'utiliseront jamais le TGV.

Le second problème du ferroviaire est qu'il n'est pas un substitut pertinent à la voiture, sauf pour l'infime partie de la population habitant près d'une gare et travaillant près d'une autre. Aujourd'hui, les déplacements sur Toulouse, Lyon ou Marseille, ne se font pas de centre à centre, mais de périphérie à périphérie et les transports collectifs ont beaucoup de mal à s'adapter à cette réalité.

À mon sens, les années qui viennent présentent plutôt un risque de thrombose sur les routes, d'où la nécessité de les gérer différemment. Tel est changement principal. On rêve beaucoup du développement du ferroviaire. Il faut assurément le faire et investir, mais cela ne changera pas fondamentalement les choses.

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