Intervention de Marc Ivaldi

Réunion du mercredi 10 avril 2024 à 15h30
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Marc Ivaldi, professeur d'économie à la Toulouse School of Economics :

Je m'emploierai naturellement à vous répondre, mais je tenais d'abord revenir sur la déclaration d'utilité publique (DUP).

Je n'ai pas connaissance des différents exemples dont vous parlez à la question n° 5. Les effets d'une infrastructure peuvent aboutir au déplacement des activités et il peut effectivement arriver qu'une grosse agglomération finisse par aspirer toute l'activité d'une plus petite.

De nombreuses questions portent sur la notion d'enclavement et pour ma part, je ne connais pas de définition économique d'une telle notion. Je sais qu'il en existe une définition légale, mais substantiellement différente de celle qui serait utilisée en économie. Si l'enclavement est perçu comme un manque de développement, on peut alors dire que la zone de Castres-Mazamet n'est pas particulièrement enclavée, et ce, pour plusieurs raisons. Le taux de chômage se situe plutôt dans la moyenne, la population augmente légèrement, le territoire héberge une entreprise comme Frayssinet (l'une des plus importantes sur les ensemencements) et une équipe de rugby du top 14.

En somme, il existe beaucoup d'activités sur cette zone et un projet de territoire, de mon point de vue, justifie l'infrastructure qui en est le moteur.

Le problème est que les effets d'agglomération n'ont pas été calculés sur le bassin d'emploi ; ils sont approximatifs et ne sont apparemment pas négligeables. Si je peux tout à fait admettre une possible surévaluation des gains de temps dans les études socio-économiques, il est aussi clair que les effets d'agglomération sont importants. Pour avoir effectué un travail de recherche sur les effets d'agglomération de la troisième ligne de métro de Toulouse, il me semble qu'une augmentation de 30 % des gains de temps, par effets d'agglomération, est loin d'être négligeable. C'est un point important.

Sur la DUP, au-delà du chiffre de 500 millions d'euros, je tenais ici à rappeler l'existence des pages 100 et 101 de l'annexe G, sur l'analyse socio-économique, qui font état de tests de sensibilité. Il existe une hypothèse plus pessimiste, en PIB et en gain de temps, soit 100 millions d'euros. Aussi le CGI n'a-t-il pas procédé à une contre-expertise à proprement parler, mais a plutôt rendu un avis considérant que cette hypothèse pessimiste était la meilleure. De surcroît, la DUP va beaucoup plus loin en évoquant le risque d'un coût de projet de 15 % supérieur et une VAN-SE à 67 millions d'euros. En considérant une baisse de 20 % de la valeur du temps, la VAN-SE ne serait plus que de 19 millions d'euros, soit 0,70 euro à 2,03 euros de VAN-SE par euro investi. Les analyses de sensibilité sont donc cruciales en termes d'analyse socioéconomique.

Le CGI a donc indiqué que l'hypothèse de PIB était trop élevée et qu'il valait mieux se situer à 100 millions d'euros, estimant que les hypothèses les plus pessimistes de la DUP devaient être privilégiées. C'est ainsi que je le comprends du moins, tout en sachant que le CGI n'a pas refait tous les calculs. Mon propos est de dire que la DUP avait bel et bien envisagé des hypothèses inférieures de croissance. Je constate simplement que les experts ont du mal à sortir une VAN-SE négative, et c'est bien tout ce que je peux dire sur ce point.

C'est pourquoi je pense qu'il faut faire attention à ne pas négliger le travail préparatoire à la DUP, qui me paraît très honnête en ce qu'il indique bien que la VAN-SE pourrait se situer entre 19 et 500 millions d'euros. Ensuite, il revient aux politiques, à vous, d'apprécier le réalisme des différents scénarios.

Concernant vos questions sur les tarifs et sur l'article de presse, dont je vous confirme ne pas être l'auteur du titre, mon calcul a évidemment été effectué entre Castres et L'Union, car je considère qu'après L'Union, tout le monde paie et que la plupart du temps, il faut payer pour entrer dans Toulouse.

Je me suis donc basé sur les prix annoncés par la concession (16 euros) et sur un prix de l'essence à deux euros le litre, ce qui n'est pas sous-évalué. Ce prix devrait d'ailleurs être beaucoup plus élevé. Si toutes les taxes portant sur l'utilisation de l'essence, comme la taxe carbone, avaient été appliquées, on serait certainement sur des prix beaucoup plus élevés, mais le choix a été fait de ne pas prendre en compte les coûts du carbone. Il ne s'agit évidemment que d'ordres de grandeur, mais qui montrent tout de même que l'autoroute ne va pas être si chère et je m'étonne d'entendre dire l'inverse ; si on voulait vraiment lutter contre le carbone, elle devrait être beaucoup plus chère.

J'ajoute qu'en cas d'incitations à l'utilisation de la voiture électrique, comme les concessionnaires risquent de le faire, l'autoroute ne sera pas si chère.

Pour toutes ces raisons, je pense que mon calcul est assez honnête.

Vous m'interrogiez par ailleurs sur l'opportunité de calculer la valeur du temps en se basant sur le salaire médian et je dirais que c'est une façon assez classique d'y procéder. Cette mesure sous-estime la valeur du temps. Je rappelle néanmoins que le temps libre (pour récupérer ses enfants à l'école, ne plus être pressé, avoir plus de temps pour lire un livre) peut être valorisé beaucoup plus que le temps de travail, qui est un temps contraint. En conséquence, je dirais que ma valorisation du temps, en se basant sur le salaire médian, se situe plutôt en dessous du gain réel.

Je ferais enfin remarquer que ma tribune évoquait aussi le train, bien que je sois quelque peu dubitatif sur ce qu'il sera possible d'effectuer par ce biais, surtout dans le cadre des futurs services express régionaux et en raison des difficultés inhérentes à ce mode de transport.

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