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Intervention de Yves Crozet

Réunion du mercredi 10 avril 2024 à 15h30
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Yves Crozet, économiste, maire de Saint-Germain-La-Montagne :

La question des gains de temps est effectivement centrale en ce qu'elle sert de base au calcul des gains pour la collectivité.

Du point de vue économique, les gains de temps font partie de ce que l'on appelle le « surplus du consommateur » et ne sont donc pas inclus dans le PIB. Ce sont deux choses bien différentes, ce qui invite à une certaine prudence lorsqu'on entreprend de transformer ces gains de temps en gains de PIB.

Par exemple, nous avons tous bénéficié de gains de surplus lorsque les prix des téléphones portables ont baissé, c'est-à-dire que cette baisse a généré des gains de temps et d'argent. Le problème est celui de transformer des gains de temps en gains de PIB et d'un point de vue théorique, il me semble assez difficile de le faire automatiquement.

Les travaux sur les économies d'agglomération (ou wider economic benefits ) se sont récemment développés en Angleterre, comme en France d'ailleurs, pour la raison simple qu'on ne pouvait plus justifier les grands projets par les seuls gains de temps.

Prenons l'exemple bien connu du Grand Paris Express, dossier que je connais bien dans la mesure où le commissariat général à l'investissement m'a demandé d'en faire la contre-expertise. Selon les études économiques réalisées, les gains de temps ne représentaient finalement que la moitié du coût du projet. Il a donc fallu trouver de nouveaux arguments. C'est à ce moment que sont intervenus les wider economic benefits sur la base desquels on nous a expliqué que le Grand Paris Express générerait finalement des gains d'emploi et des gains de productivité. Tout le monde reconnaît aujourd'hui que ces gains étaient à l'évidence exagérés, mais il fallait bien justifier le projet.

Deux collègues anglais, Tom Worsley et Gerard de Jong, ont justement travaillé sur les wider economic benefits. Selon ces derniers, bien que la création de nouvelles infrastructures engendre indéniablement des effets d'entraînement et d'agglomération, il convient toutefois de ne pas les surestimer. Selon une étude hollandaise, pour un gain de temps de 100, il n'est pas possible d'ajouter plus de 30 % de gains d'agglomération. Pour une croissance inférieure à 1 % par an, Tom Worsley estime qu'il n'y a pas d'effet d'agglomération. Si tel est le cas, le Grand Paris Express n'aurait pas dû être lancé.

Voilà l'essentiel. La transformation des gains de temps en gains de PIB est aujourd'hui fortement relativisée par de nombreux économistes, notamment anglais. Sans écarter la nécessité d'investir dans les transports, il ne faut plus en déduire des gains mécaniques de PIB et d'emplois, car ceux-ci sont essentiellement liés aux fluctuations macroéconomiques. En effet, les évolutions positives de l'emploi à Auch et à Albi, dont je parlais plus haut, s'expliquent plutôt par la phase de contre-chocs pétroliers, à la fin des années 1990 et par une croissance particulièrement dynamique, mais c'est moins le cas depuis.

Une étude ministérielle est d'ailleurs en cours sur la juste manière de valoriser les gains de temps dans le futur. Dans la nouvelle circulaire en préparation, les experts (dont je fais partie) recommandent de moins valoriser les gains de temps, qui ne sont pas finalement si importants pour les individus.

C'est donc un changement complet de paradigme. D'ailleurs, dans toutes les villes de France, le message est plutôt de dire aux passagers qu'ils perdront plus du temps en voiture, du fait de nouvelles limitations de vitesse et des réductions de voiries ; les gains de temps s'adressant désormais aux cyclistes.

Ce changement de paradigme est fondamental pour comprendre pourquoi le calcul économique ayant tout misé sur les gains de temps est aujourd'hui mis à mal, pour des sommes tout de même considérables. Le cas de l'A69 est très intéressant de ce point de vue, car il apparaît comme la dernière manifestation d'un mode de calcul aujourd'hui totalement remis en cause.

Sur la question de savoir pourquoi le ferroviaire n'a pas été valorisé, je rappellerais enfin que le peu de CO2 qu'il fait économiser ne pèse rien par rapport aux gains de temps.

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