Monsieur le vice-président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation.
Sans être un spécialiste de la relation entre infrastructures et développement économique, je répondrai d'abord aux questions 1 à 4 du questionnaire, d'un point de vue strictement théorique.
D'où viennent les bénéfices attendus d'un investissement autoroutier ? Les bénéfices sont les gains monétaires qui sont, en fait, des gains de temps, des gains de sécurité, de confort et de fiabilité. Ces gains de temps se traduisent, selon la situation, en suppléments de déplacements et/ou en extensions de zones de logement, par des gains de productivité et des créations d'emplois lorsque, précisément, ils entraînent des changements de localisations et des externalités d'agglomération.
L'amélioration des communications permet une meilleure information des entreprises (sur les procédés de production et sur les technologies à disposition), ce que l'on appelle des « effets de réseau ». Un représentant qui vient visiter un client potentiel, en supportant les frais de transport, apporte finalement au client, même si ce dernier n'achète pas, des informations sur le marché et les nouveaux produits ; et lui-même retire de ce contact infructueux des informations sur le marché. Ces effets de réseau, qui sont donc importants, passent aussi par d'autres mécanismes, à commencer par l'augmentation de la taille des marchés sous l'effet des économies d'échelles.
Pour résumer, il existe deux types d'effets d'une infrastructure de transport : des effets directs en termes de gain de temps et des effets indirects, extrêmement importants, appelés « effets d'agglomération » et sur lesquels les économistes ont récemment travaillé. Il existe désormais toute une littérature sur ces éléments.
J'ai personnellement travaillé sur les effets d'agglomération dans la région toulousaine, qui sont de trois ordres. Une concentration d'activités plus grande facilite le partage des infrastructures et des biens publics, facilite l'appariement entre les offres et les demandes d'emploi et permet un apprentissage beaucoup plus rapide des technologies et des informations.
Les économistes traduisent techniquement ces effets en établissant une relation entre la productivité du travail et la densité des emplois. Ainsi, pour une densité des emplois augmentant de 1 %, l'élasticité a été déterminée à 3 % : 1 % d'augmentation de la densité des emplois augmente la productivité du travail de 3 %. Je précise que cette relation n'a de sens que s'il existe une vraie accessibilité aux zones d'emploi, ce qui complique extrêmement l'analyse.
Ces effets d'agglomération, au-delà de raisons plus anthropologiques, expliquent la concentration des activités. C'est ce qui fait dire aux économistes de l'économie urbaine et de l'espace que, si la plupart des activités peuvent être installées n'importe où, peu d'activités sont représentées partout. Cela se vérifie aisément à l'échelle nationale où une très petite partie du territoire français (la région Île-de-France en l'occurrence) produit la majorité du PIB. Les effets d'agglomération augmentent la probabilité d'avoir un emploi. Très concrètement, on a plus de chances de trouver un emploi à Paris qu'à Toulouse ou à Castres.
L'équilibre entre les activités économiques est le résultat de ces forces entre ces effets d'agglomération et les gains de temps et/ou les baisses de coûts de transport. Cet équilibre est donc très délicat.
Il faut ajouter à cela deux effets d'importance. Les individus privilégient généralement les déplacements courts aux déplacements longs (gains de temps), comme ils préfèrent avoir plus que moins d'espace. En d'autres termes, il est préférable de vivre à Toulouse pour trouver un emploi, mais au prix d'un espace plus petit : un logement plus petit et beaucoup plus de temps passé dans la congestion sur les rocades toulousaines. C'est aussi se heurter à des problèmes d'artificialisation plus importants. Il peut être est préférable, a contrario, de vivre à Castres pour bénéficier de plus d'espaces, mais avec un risque plus grand de chômage et un coût de transport direct peut-être plus élevé.
Quelle est la conclusion ?
Tout le monde s'entend pour dire qu'il n'existe pas de loi intangible en matière d'économie spatiale. Une décision publique ne peut se baser que sur une analyse coûts/bénéfices des impacts d'une infrastructure. C'est en ce sens que l'on peut dire qu'il n'existe pas de relation automatique entre le transport et le développement économique ; je dirais plutôt qu'il n'existe pas de relation causale unidirectionnelle entre les deux. Les infrastructures de transport contribuent au développement économique, parce que le développement économique permet les infrastructures de transport. Il ne faut pas oublier les deux sens de cette causalité.