Intervention de Christine Arrighi

Réunion du mercredi 10 avril 2024 à 15h30
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Arrighi, rapporteure :

Merci, monsieur le vice-président, merci à messieurs Crozet et Ivaldi de leur présence devant notre commission d'enquête.

L'A69 constitue une réponse de l'État à la demande des élus locaux de dynamiser le bassin d'emploi de Castres-Mazamet, qui avait souffert d'une lourde désindustrialisation, à la suite du déclin des industries textiles.

Nos auditions sur la genèse de cet ouvrage ont montré qu'un élargissement de la route nationale, la RN126, avait d'abord été souhaité par ces élus locaux, mais que faute de crédits budgétaires, ils avaient finalement pris acte de la décision de l'État de recourir à une concession autoroutière ; la charge de son utilisation basculant ainsi sur l'usager, au lieu de reposer sur la solidarité nationale au travers du budget.

Monsieur Ivaldi, vous vous souvenez certainement que vos trajets vers Toulouse en 2 CV étaient gratuits, comme c'est encore le cas. Demain, il vous faudra payer pour vous y rendre.

Nous sommes donc en présence d'une autoroute subie plutôt que désirée et je dirais même qu'elle a été « subie et non combattue » par ces mêmes élus locaux, sur les points environnementaux, sociaux et financiers. Pour cause, tous ceux qui ont tenté d'alerter sur ces sujets n'ont reçu aucune réponse aux multiples questions que se pose également cette commission d'enquête, au motif que le contrat de concession serait couvert par le secret des affaires.

Ainsi, toutes les projections qui ont pu être établies, à commencer par le bilan socio-économique, reposent uniquement sur des éléments consultables sur internet, mais en aucune façon sur les éléments contractualisés entre l'État et la société Atosca. C'est uniquement en vertu de nos prérogatives officielles, en tant que membres de la commission d'enquête, que nous disposons désormais de ce contrat et de ses annexes. Sur cette base, nous avons pu élaborer différents questionnaires en tenant compte des éléments concrets et factuels du contrat de concession et en dehors de tout ce qui avait été écrit jusqu'à présent.

Les opposants à l'A69 n'ont pas eu de réponses à leurs questions et ceux qui y sont favorables n'ont tout simplement posé aucune question et l'ont mise en œuvre.

Je tenais à le rappeler, car dans les années 1980-1990, une sorte de mantra circulait encore dans l'administration française, à savoir qu'une autoroute apporte systématiquement de la prospérité, en vertu du principe d'élasticité dégagé par les économistes. Ce mantra n'aura toutefois résisté ni aux analyses économiques et sociales, ni aux statistiques de l'Insee. La prospérité d'un territoire repose avant tout sur un projet dont une infrastructure routière n'est qu'un élément et non une condition première.

L'A66 reliant Toulouse à Pamiers en est la parfaite illustration, tout comme le barreau de Pau-Langon, combattu en son temps et qui se révèle finalement être déficitaire, si bien qu'on se retourne évidemment vers les usagers, puisqu'elle n'est pas gratuite. Albi, Tarbes et Perpignan sont quelques exemples parmi d'autres de villes desservies par des autoroutes alors que le PIB par habitant n'y est guère élevé (ceux de Tarbes et de Perpignan étant significativement moins élevés que celui de Castres).

Par votre audition, nous aimerions connaître le dernier état des réflexions des économistes sur l'apport des infrastructures routières à un territoire donné. L'économie n'étant pas une science exacte, il va de soi que nous ne nous attendons pas à la vérité absolue. Il s'agit de nous faire part de vos réflexions, qui nous permettront de donner une orientation prospective à ce rapport, en vue d'éviter que ne se renouvellent les mêmes erreurs comme celles que nous avons déjà commencées à révéler grâce à cette commission d'enquête.

Parmi ces erreurs, je ne citerai que celles relatives aux contrats conclus en 2006 par M. Dominique de Villepin, qui arriveront à terme en 2031 et dont on sait désormais très bien qu'ils ont été conclus selon des conditions qui ne sont aucunement au bénéfice des usagers et de l'État, au point que le Gouvernement, au titre du projet de loi de finances pour 2024, a mis en place une taxation des concessions autoroutières afin de compenser le manque à gagner de l'État pendant des années.

Par ailleurs, la notion du temps est particulièrement importante dans ce dossier, à l'image de son argument récurrent : « on va gagner du temps » ; argument que monsieur Ivaldi a d'ailleurs repris pour soutenir le projet de l'A69 dans une tribune de presse.

Il se trouve que les organismes publics ne sont pas vraiment d'accord sur le temps réellement gagné. La direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) d'Occitanie l'estime à quinze minutes, le contrat de concession à trente-cinq minutes, là où l'arrêté départemental du 1er mars 2023 évoque vingt-cinq minutes.

Que vaut ce gain de temps aujourd'hui, socialement et économiquement, face à la part grandissante du télétravail dans les activités tertiaires et sachant que la vitesse provoquera des émissions de gaz à effet de serre dans un département où les revenus moyens ne permettront pas, dans l'immédiat, un passage massif à la voiture électrique ?

Y a-t-il un sens économique à gagner du temps si ce gain provoque des externalités négatives qui, in fine, se retrouveront à la charge de la société, des usagers, de la biodiversité et, 55 ans après, à la charge du contribuable ?

Le questionnaire que je vous ai adressé a été communiqué à l'ensemble de mes collègues, afin que tous aient le même niveau d'information quant au sens que je souhaite donner à votre audition. Vous pouvez y répondre ultérieurement par écrit, mais il peut tout à fait servir de fil conducteur à vos réponses de ce jour, en ajoutant tout élément utile qui vous semblera intéressant de porter à la connaissance de cette commission.

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