Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du mardi 30 avril 2024 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges, président :

Mes chers collègues, nous avons l'honneur et l'immense intérêt de recevoir M. Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, chargé de la politique industrielle, du tourisme, du numérique, de l'audiovisuel, des industries de la défense et de l'espace.

Monsieur le commissaire, vous avez mené une carrière brillante, d'abord dans le monde des affaires – vous avez dirigé de grands groupes tels que Bull, Thomson Multimédias, France Télécom, Atos –, mais aussi dans les affaires publiques. Je rappelle ainsi que vous avez été ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de 2005 à 2007. Vous avez été classé à trois reprises, en 2010, 2017 et 2018 parmi les cent dirigeants d'entreprise les plus performants au monde par la Harvard Business Review. Vous avez ensuite été désigné en octobre 2019 pour siéger à la Commission européenne qui achève son mandat, dont vous êtes l'un des membres les plus éminents.

Il m'a paru utile et pertinent de prendre le temps de faire un bilan de toutes les actions et avancées réalisées depuis 2019 dans les secteurs, nombreux et essentiels, dont vous avez la responsabilité. Vous avez la charge d'un ensemble considérable de dossiers stratégiques liés à cette notion très particulière de souveraineté. Nous la redécouvrons très complexe, parce qu'il faut l'entendre essentiellement comme ce que le général de Gaulle appelait l'indépendance. Au sens juridique, la souveraineté est une autorité qui n'est liée que par elle-même. On ne peut pas dire que l'Union européenne (UE) soit, de ce point de vue-là, souveraine, puisqu'elle ne dispose que de compétences d'attribution. En revanche, la conception politique de la souveraineté européenne est l'indépendance de l'Europe, qui doit effectivement échapper à toutes les contraintes qui pèsent sur elle.

Lorsque l'on se retourne sur vos cinq années d'activité à Bruxelles, on ne peut qu'être saisi de vertige par l'ampleur de vos initiatives. Depuis votre prise de fonction, votre agenda s'est concentré sur l'élaboration d'une stratégie industrielle multisectorielle, l'affirmation de l'autonomie stratégique de l'Union et de ses États membres dans un contexte de nombreuses crises pointant l'émergence de ce que vous-même avez appelé une « ère géopolitique des chaînes de valeur ».

Je crois que l'on peut raisonnablement affirmer que votre action s'est trouvée à la charnière de tous les débats structurants qui animent aujourd'hui l'Union européenne, comme l'a illustré le dernier Conseil européen des 17 et 18 avril, qui a notamment débattu de l'enjeu capital de la compétitivité de l'Union et de l'avenir du marché intérieur sur la base du rapport de M. Enrico Letta, que cette commission recevra prochainement à ce sujet.

Au cours de votre mandat, vous avez été notamment chargé, lors de la pandémie de la Covid-19, de l'approvisionnement du continent européen en vaccins performants. Notamment grâce à votre implication personnelle, nos pays ont pu être fournis dans des délais excellents, ce qui a permis d'accélérer la sortie de crise. Dans le secteur du numérique, vous avez engagé la révision de la directive sur le commerce électronique et vous êtes ainsi à l'origine du Digital Markets Act (DMA) sur les règles de la concurrence dans le commerce en ligne et du Digital Services Act (DSA), qui précise les responsabilités dans la diffusion des contenus en ligne. Dernièrement, vous avez joué un rôle majeur dans l'aboutissement de la future législation européenne sur l'intelligence artificielle (IA), en vous efforçant de trouver le juste équilibre entre innovation et régulation.

Défenseur de la souveraineté européenne au sens où je le précisais précédemment, vous avez contribué activement à l'élaboration du règlement européen sur les semi-conducteurs, le Chips Act et mis sur pied un plan destiné à réduire notre dépendance en la matière à l'égard de l'Asie, afin que 20 % du marché mondial soit produit sur notre continent à l'horizon 2030. Vous avez notamment annoncé que l'UE allait investir plus de 100 milliards d'euros à cet effet. Depuis l'agenda de Lisbonne, qui n'a jamais été honoré, nous nous méfions des annonces mais sommes quand même très conscients des efforts que vous menez et nous nous associons à l'espoir que vous formulez dans le contexte de la guerre en Ukraine. Vous êtes à l'origine de mesures concrètes pour bâtir une économie de guerre et accélérer l'acquisition conjointe de munitions, notamment d'obus de 155 millimètres.

Deux législations importantes mais temporaires ont ainsi vu le jour, grâce à vous : d'une part, l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (EDIRPA) ; d'autre part, l'action de soutien à la production de munitions (ASAP). Malheureusement, la situation sur le terrain appelle à intensifier les efforts en la matière et vous pourrez certainement nous livrer votre analyse à ce sujet, que nous ressentons quand même très profondément comme une forme de procrastination systématique, qui n'est pas le fait de la Commission mais des États membres. Ainsi, nous ne comprenons pas comment nous sommes, plus de deux ans après le déclenchement de la guerre en Ukraine, toujours dans l'incapacité de fournir à nos amis ukrainiens les moyens de se défendre efficacement. De leur côté, les États-Unis n'ont pas connu tant de tergiversations politiques. Nous sommes très attentifs aux explications que vous pourrez nous donner sur ce défaut, qui est un défaut collectif de l'Union et non un défaut particulier de la Commission européenne.

Dans le prolongement de cette première étape, le 5 mars dernier, vous avez présenté la nouvelle stratégie de défense industrielle de l'Union européenne, encourageant les États membres à acquérir, d'ici 2030, 40 % de leurs équipements de défense de manière collaborative et à commander la moitié de leurs armements auprès de l'industrie européenne. Nous espérons que vous pourrez ici nous détailler cette démarche ambitieuse de mutualisation des efforts.

Je pourrais multiplier à l'envi les illustrations de toutes les réalisations à mettre à votre crédit. Tout me semble guidé par un fil rouge qui est le nôtre : le souci de l'intérêt général européen et la volonté de préparer l'UE à affronter ses rivaux. Nous sommes passés d'une Union qui était éperdue d'exemplarité universelle à une UE qui est consciente de la nécessité de renforcer sa défense si elle veut défendre l'universalité de ses valeurs. Vous êtes, à bien des égards, le symbole et l'agent de cette mutation.

En Européen convaincu, je vous exprime ici ma grande satisfaction de vous savoir parmi nous, ma reconnaissance pour votre action passée et mon espoir de vous voir sous une forme ou sous une autre, pouvoir continuer cette action que je crois très bien inspirée.

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