Intervention de Stéphane Piednoir

Réunion du jeudi 21 juillet 2022 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Stéphane Piednoir, sénateur :

– Monsieur le Président, merci pour votre présentation de l'ensemble de la filière nucléaire française, qui conduit finalement à un constat assez sombre, à bien des égards, notamment lié au vieillissement du parc actuel. Aucune date n'est programmée pour la fin d'un réacteur nucléaire. Contrairement à une croyance populaire, une obsolescence n'est pas programmée sur les réacteurs de deuxième et troisième générations. Néanmoins, ce parc est vieillissant et il va falloir penser à le remplacer.

Le constat est sombre aussi parce qu'il manque une vision politique depuis un certain nombre d'années. La France n'a pas construit de réacteurs depuis vingt ans et aujourd'hui, nous faisons face à des problèmes d'entretien, qui sont liés à la crise sanitaire, à des problèmes de corrosion. Le parc produit à la moitié de sa capacité, ce qui est évidemment un problème, notamment dans la période de crise politique que nous connaissons avec la guerre en Ukraine.

Un autre constat assez sombre est la perte de compétences, liée à cette absence de construction pendant vingt ans. Nous avons perdu le savoir-faire sur notre territoire, ce qui est aussi cruel à dire qu'à entendre. Nos ingénieurs, à force de « nucléaire bashing », se sont écartés de la filière nucléaire et se sont tournés vers d'autres domaines. C'est une réalité. Aujourd'hui, il est difficile de relancer la machine et, par exemple, de recruter des soudeurs, dans un domaine très technique qui demande bien sûr de la formation.

Le dernier constat très sombre concerne le retard par rapport à nos concurrents internationaux, qui ne nous ont pas attendus dans nos tergiversations écolo-climatiques pour avancer sur leur filière nucléaire propre.

Ceci étant dit, j'observe, comme vous, une inflexion politique au niveau national avec l'intention de construire six EPR à un horizon qui me semble également un peu ambitieux. On ne reconstruit pas une filière nucléaire comme une filière automobile ou une autre filière industrielle. En tout cas, il serait temps de passer aux actes. Cette inflexion fait suite à des décisions contraires. Il faut rappeler par exemple la fermeture de Fessenheim, dans le quinquennat précédent. On voit aussi une inflexion au niveau européen, avec la bataille pour inclure le nucléaire dans la taxonomie verte. Je suis d'avis de considérer le nucléaire comme participant à l'effort climatique, au règlement du dérèglement climatique. Il faut mener ce combat au niveau européen. Il faut revenir à une notion d'efficacité climatique, peut-être même avant l'efficacité énergétique.

S'agissant de votre rapport et de votre présentation à proprement parler, je m'interroge sur la diffusion du savoir-faire concernant le nucléaire civil. Il faut rappeler que le nucléaire civil a fait suite à l'essor du nucléaire militaire en France. Le nucléaire militaire a donné naissance au nucléaire civil. Quel est le risque d'une telle diffusion ? Il nous faut convaincre un certain nombre de partenaires européens et mondiaux d'aller vers une filière nucléaire plus dense, dans le monde entier, parce que je crois que nous aurons besoin de davantage d'électricité dans les décennies à venir et que ce besoin ne pourra pas être couvert uniquement avec des éoliennes. Néanmoins, il existe ce risque de diffusion du savoir-faire sur le nucléaire civil et donc militaire.

Vous avez parlé d'une dynamique en faveur des réacteurs de petite taille. Est-ce que vous considérez que ces réacteurs sont appropriés pour des réseaux assez peu maillés et qu'ils sont donc peu pertinents sur le territoire français où le réseau de distribution est très fort, très consolidé et donc plutôt adapté à des réacteurs puissants ? Autrement dit, est-ce que les AMR et les SMR sont exclusivement orientés vers l'exportation pour remplacer des centrales à charbon à l'international ?

Je termine par un sujet qui me tient à cœur. Comme vous le savez sans doute, j'ai été co-rapporteur, avec Thomas Gassilloud, d'un rapport remis l'été dernier sur l'arrêt du programme Astrid. Il se trouve que l'État est hors la loi au regard de la loi de 2006 qui prévoyait la construction d'un prototype, avant la commercialisation de réacteurs à neutrons rapides. Non seulement nous sommes en retard, mais nous avons décidé de ne pas respecter cette loi, ce qui est assez cocasse. Je souhaiterais avoir votre avis sur la relance éventuelle d'une filière de réacteurs à neutrons rapides, qu'il s'agisse de réacteurs de grande puissance ou de faible puissance.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion