Intervention de Gilles Pijaudier-Cabot

Réunion du jeudi 21 juillet 2022 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gilles Pijaudier-Cabot, président de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2) :

Je remercie l'Office d'accueillir la CNE2 pour la présentation de son rapport annuel. Depuis que je suis président, c'est la première fois que je fais cet exercice en présentiel. C'est un plaisir de voir les personnes en pied et non plus sur un écran.

Monsieur le Président, vous avez rappelé quelques éléments sur la CNE2. Je me permettrai de compléter votre propos et nous entrerons ensuite dans le vif du sujet. Nous avons voulu faire une exégèse en trois parties. Une fois n'est pas coutume, nous commencerons par un panorama international, puis nous aborderons deux sujets liés aux nouveaux réacteurs, au cycle du combustible et aux déchets. Je conclurai en disant quelques mots sur la formation, l'expertise et les compétences.

La CNE2 est composée de douze membres, qui exercent leurs fonctions bénévolement. Nous sommes indépendants de la filière nucléaire, ce qui est la moindre des qualités pour un groupe d'experts chargé de l'évaluation des études et recherches sur les matières et déchets radioactifs. Notre mission est de suivre et d'évaluer les travaux scientifiques et technologiques sur le traitement, l'utilisation, l'entreposage ou le stockage des matières et déchets radioactifs.

Nous nous sommes livrés, au premier trimestre de cette année, à une synthèse des cinq derniers rapports que nous avons publiés, en essayant d'en retirer, en particulier pour les personnes qui porteraient un œil nouveau sur le sujet, la substantifique moelle. Je vous invite à lire la synthèse de ces cinq derniers rapports, qui est sous la forme de huit fiches d'une page ; elle est aussi disponible sur notre site.

Notre rôle est d'éclairer le Parlement sur les décisions qui doivent être prises sur des sujets qui concernent le cycle du combustible nucléaire, en tenant compte de leur impact économique, sociétal et environnemental. Parmi les douze membres de la CNE2, il n'y a pas que des technologues ou des scientifiques des sciences exactes ; il y a aussi un économiste et un sociologue, qui nous éclairent sur des enjeux qui sont un peu moins techniques.

Nous travaillons en auditionnant l'ensemble des acteurs de la filière, entre le mois de septembre et le mois de mars, à raison de deux auditions par mois. Ceci est complété par des visites techniques en France et à l'étranger. Nous avons passé, tout récemment, deux semaines en Amérique du Nord, à visiter des installations et à discuter avec les principaux acteurs américains et canadiens. Nous remettons aujourd'hui un rapport annuel qui fait un point d'étape. Ce rapport est transmis au Parlement, puis il est rendu public. L'usage veut qu'à la fin de l'audition, je vous demande l'autorisation de le rendre public. Comme le prévoit la loi, nous présentons aussi ce rapport au Comité local d'information et de suivi (CLIS) du laboratoire de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) à Bure (Meuse). Nous sommes également, comme nous l'avons été plusieurs fois depuis 2018, mandatés par l'Office pour étudier des sujets d'actualité : sur les déchets bitumés, l'impact de la crise du Covid et, plus récemment, les réacteurs innovants et leur impact sur le cycle du combustible.

Je commence la présentation du rapport en rappelant quelques éléments de contexte. Depuis 1980, les études et recherches sur les matières et déchets radioactifs sont alignées avec une stratégie nationale datant du milieu des années 1970, qui était bien définie et visait à l'indépendance énergétique, notamment suite au choc pétrolier, et à ce que la France puisse disposer d'une énergie électronucléaire, indépendamment et de façon souveraine. Cette stratégie a conduit à la construction du parc de réacteurs que nous connaissons. Elle s'inscrivait dans un objectif que l'on a qualifié de fermeture du cycle, même si le cycle n'est pas tout à fait fermé, nous en convenons. Comme nous l'avions noté dans nos deux derniers rapports, cette stratégie a connu des inflexions notables en 2019, avec la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Elle a connu aussi des inflexions au début de cette année, avec un certain nombre d'annonces.

Il était important que nous commencions par étudier ce que font les autres. Habituellement, nous le faisions à la fin de notre rapport ; en l'occurrence, nous avons voulu le faire au début.

Le panorama international peut être présenté en trois blocs. Le premier est le monde anglo-saxon, dont la stratégie principale est de reprendre le leadership, qui avait été abandonné à la Russie et à la Chine. Pour reprendre ce leadership, l'outil est la conquête de marchés internes et externes, motivée par l'urgence climatique. En parallèle des projets de réacteurs de forte puissance déjà engagés, les réacteurs envisagés sont de faible puissance. Par « faible puissance », on entend environ 300 mégawatts électriques ; une forte puissance est supérieure à 1 000 mégawatts électriques. Ces réacteurs sont en général modulaires, mais de conception classique, équivalente à celles des réacteurs à eau pressurisée que nous connaissons en France, ou des réacteurs à eau bouillante. On les qualifie de Small Modular Reactors (SMR). Ils peuvent aussi être de conception innovante, auquel cas ils sont qualifiés de réacteurs modulaires avancés (en anglais, Advanced modular reactors ou AMR). Les Anglo-Saxons n'ayant pas pour objectif la fermeture du cycle, les combustibles usés sont maintenus en entreposage, dans l'attente d'un stockage direct.

À côté de ce bloc, la Russie, la Chine et les principales puissances asiatiques poursuivent au contraire des objectifs de souveraineté énergétique qui les conduisent à essayer de valoriser le plus possible les matières et donc à fermer le cycle du combustible, de façon à être le plus autonome possible.

L'Europe, quant à elle, est probablement la zone la plus avancée sur le stockage de déchets de haute activité à vie longue, principalement en Suède et en Finlande, puisque ces pays ont pris des décisions et sont en train de construire leur stockage géologique. En revanche, sur les réacteurs innovants, nous ne trouvons guère que des études et des recherches « amont ».

Qu'est-ce que nous tirons de ce panorama ? Une évolution assez fondamentale, à savoir une dynamique importante autour de la conception de petits réacteurs modulaires, éventuellement innovants, mais pas nécessairement. L'aval du cycle n'est pas une priorité dans le discours, le cycle du combustible étant ouvert, c'est-à-dire que l'on entrepose les combustibles usés dans la perspective de leur stockage direct définitif.

Tout cela dépend d'une donnée économique, le prix de l'uranium, et de l'augmentation prévisible de la demande d'énergie électronucléaire. Si, dans le contexte actuel, le prix de l'uranium est assez modeste, nous pensons que l'hypothèse d'évolution de la demande en uranium naturel est susceptible de remettre en question le prix de l'uranium sur le marché, d'autant plus que l'uranium n'est pas produit en France. Les principaux producteurs sont l'Australie, le Canada, le Kazakhstan, la Chine et le Niger. Si le prix de l'uranium venait à augmenter, il faudrait s'affranchir de cette dépendance à des pays étrangers.

Après ce panorama, le premier volet du rapport concerne les nouveaux réacteurs et les options possibles pour le cycle du combustible en France. Pourquoi des réacteurs de petite taille ? Essentiellement parce qu'il est plus facile, avec des réacteurs de petite taille, de maîtriser la sûreté. Ces réacteurs peuvent être construits en série, ce qui permet de gagner en efficacité dans leur réalisation. Ils seront plus facilement intégrables dans un réseau parce qu'il ne sera pas nécessaire de connecter immédiatement une grande puissance. Le réseau peut être ainsi plus sûr et apte à intégrer plus facilement des énergies intermittentes.

La France cherche sa place dans ce mouvement, essentiellement en suivant deux voies. La première concerne le projet NUWARD, petit réacteur à eau pressurisée classique, à neutrons thermiques. Ce projet est piloté par EDF. La commission soutient ce projet, mais elle observe aussi, puisqu'il s'agit d'un réacteur destiné à l'exportation, essentiellement en Europe, que nos concurrents sont déjà très avancés, ainsi que nous avons eu l'occasion de le constater en Amérique du Nord. Il faut donc poursuivre dans cette voie, mais sans prendre de retard et en évitant d'éventuelles chausse-trappes technologiques, donc en simplifiant au maximum la conception du réacteur. Cette voie a été utilisée, en particulier par les Canadiens, pour déboucher très rapidement sur des objets industriels qui seront opérationnels dans la toute première moitié des années 2030.

La deuxième voie est celle des petits réacteurs modulaires à neutrons rapides refroidis au sodium. Ce sujet n'est pas étranger à l'Office. En France, cette voie permet de valoriser l'expérience qui a été celle de Rapsodie, Phénix, Superphénix et plus récemment Astrid, tout en proposant des objets de taille plus réduite. Cette voie a été ouverte dans le cadre de France 2030. À l'heure actuelle, le CEA étudie deux esquisses et nous pensons qu'il est nécessaire d'amplifier à nouveau la mobilisation des acteurs. Nos concurrents sont extrêmement avancés, même s'il faut regarder la concurrence avec un peu de sang-froid et ne pas se laisser abuser par des discours qui, s'agissant de projets portés par des start-up, peuvent plus s'apparenter à des sollicitations de levées de fonds qu'à des discours scientifiques bien étayés.

S'agissant d'autres types de réacteurs, le rapport en fait un bilan assez exhaustif. Dans le monde et en France, leur maturité technologique est très différente. Elle est beaucoup plus modeste, en particulier s'agissant des réacteurs à sels fondus et des projets de microréacteurs. Un microréacteur représente une dizaine de mégawatts électriques (MWe), un petit réacteur 300 MWe et un grand réacteur a une puissance de 1 000 MWe ou plus. Ces projets sont au stade des principes, pas encore tout à fait des esquisses. Les calendriers annoncés – une mise en œuvre dans le courant des années 2030 – sont particulièrement ambitieux ; nous pensons qu'ils le sont un peu trop.

Un réacteur ne se fait pas sans y mettre du combustible, ce qui reviendrait à construire une voiture sans électricité ni essence. Il est important d'observer le cycle du combustible. Alors que la France avait une stratégie très déterminée, il reste aujourd'hui deux options possibles : la fermeture du cycle, fondée sur le recyclage des combustibles usés pratiqué actuellement, ou le cycle ouvert, c'est-à-dire l'abandon du recyclage. Pour nous, il s'agit d'un arbitrage de priorité entre, d'une part l'indépendance énergétique et la souveraineté énergétique du pays, d'autre part une volonté de modérer le coût de l'électricité et donc d'étaler dans le temps les investissements qu'il faudrait consentir pour aboutir à cette souveraineté énergétique. C'est un compromis, mais tout de même un arbitrage entre priorités.

Les installations existantes du cycle sont La Hague pour le retraitement des combustibles et Melox pour la fabrication des nouveaux combustibles à partir des matières issues du retraitement, les combustibles dits « MOX ». Ces installations devront être adaptées et renouvelées en 2040, date prévisible de leur fin de vie, surtout s'agissant de La Hague. Cette échéance implique que les décisions soient prises entre 2025 et 2030, pour laisser le temps aux études et aux instructions réglementaires, afin que les objets industriels soient opérationnels à temps. Sans arbitrage ni décision entre la souveraineté énergétique d'une part et la modération du coût de l'électricité d'autre part, ce choix risque fort de s'imposer à nous, d'être en fait un « choix subi », par le simple fait que les installations arriveront en fin de vie et qu'il sera trop tard.

Dans les deux cas de figure, une option qui s'appelle le multi-recyclage en réacteurs à eau pressurisée est apparue en 2019. Elle consiste à faire plusieurs passages des combustibles MOX dans le parc de réacteurs existant. Ce multi-recyclage ne nous semble pas avoir d'intérêt, pour plusieurs raisons. D'une part, les calendriers qui sont proposés ne le voient pas mis en œuvre avant 2050 ou 2060. Pour cela, il faut construire de nouveaux EPR, pas les six premiers qui ont été évoqués dans le débat public, mais les suivants. D'autre part, cela conduirait à devoir construire des installations temporaires pour la gestion du cycle, différentes des installations suivantes, destinées aux réacteurs à neutrons rapides. Nous ne voyons donc pas vraiment d'intérêt significatif à cette étape. Il faut faire un choix, s'y tenir et ne pas prendre de chemins médians qui risqueraient de divertir les investissements qu'il faudra consentir dans un cas comme dans l'autre.

Concernant les déchets de haute activité à vie longue (HAVL), la commission affirme, depuis trois ans maintenant, que toutes les conditions scientifiques et techniques sont réunies pour que l'Andra dépose, sans délai, la demande d'autorisation de création (DAC) de l'installation de stockage Cigéo. Bien que l'on ne connaisse pas tout, on connaît le nécessaire. Il ne faut pas arrêter les recherches et des options sont encore à approfondir, mais le dépôt de la DAC est pour nous une urgence, dans la mesure où ce chantier durera 150 ans et que des optimisations éventuelles pourraient ainsi être instruites. Il est probable aussi que ce qui sera construit dans 120 ans ne soit pas ce qui est prévu aujourd'hui. Par contre, il est important d'avoir un exutoire pour ces déchets HAVL, d'autant plus que la France envisage de construire des installations qui produiront des déchets supplémentaires. Par ailleurs, la taxonomie européenne oblige à disposer d'une solution à l'horizon 2050, pour pouvoir bénéficier éventuellement de soutiens à l'investissement pour la construction de nouvelles installations électronucléaires. Le plus vite serait donc le mieux. L'Andra donne comme délai la fin de l'année. Espérons que cette fois-ci, il sera tenu.

Cigéo existe pour les déchets produits par le parc actuel. Pour un parc futur, il est raisonnable de se demander si nous pouvons faire autrement. L'année dernière, la commission avait consacré un chapitre à ce sujet, et cette année nous avons auditionné des acteurs. Nous constatons qu'il n'existe aujourd'hui aucune alternative équivalente au stockage géologique à l'horizon des vingt ou trente prochaines années. Pourquoi ? Parce que la stratégie globalement suivie est celle de la transmutation. Elle permet en particulier de transmuter l'américium qui génère énormément de chaleur. Transmuter l'américium permettrait d'avoir un stockage de taille plus réduite, donc d'économiser l'espace de stockage, qui est une ressource rare. En revanche, transmuter complètement l'américium va prendre du temps, à l'échelle d'un siècle, ce qui nous engage dans le maintien d'infrastructures appropriées pour la transmutation sur une très longue durée. Par ailleurs, la transmutation ne permet pas de s'affranchir d'un stockage géologique parce que tout n'est pas transmutable. Les déchets de moyenne activité à vie longue et certains produits de fission ne le sont pas. Il faudra donc tout de même disposer d'un stockage géologique profond. Je rappelle enfin que les déchets déjà produits sont ceux qui sont déjà intégrés dans des verres conçus pour être les plus stables possibles, si bien qu'il serait très difficile d'en extraire les produits de fission pour les transmuter. Aujourd'hui, à notre connaissance, il n'existe donc pas d'alternative.

On avance souvent qu'une solution alternative serait l'entreposage dit pérenne, c'est-à-dire un entreposage que l'on renouvellerait tous les 100 à 150 ans. Ce n'est pas une alternative, au sens où cet entreposage n'est pas un stockage mais nécessite de renouveler les installations et reporte donc le poids de la gestion de ces déchets sur les générations à venir. Par contre, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain : l'entreposage est une nécessité pour la bonne gestion du cycle. Il est nécessaire d'entreposer les combustibles usés pour les refroidir, avant de les reprendre dans un processus industriel. Même si nous voulons faire du stockage direct, cette étape reste importante dans le cycle du combustible et elle risque de s'allonger avec la transformation éventuelle du parc de réacteurs. Les anciens vont continuer à produire des déchets qu'il faudra entreposer pour les faire refroidir et les nouveaux ne seront pas encore complètement opérationnels. Le stock va donc augmenter.

Il est important de souligner que la problématique du vieillissement des combustibles et des infrastructures d'entreposage n'est pas à négliger et qu'il faut impulser des recherches dans ce domaine, afin que les combustibles puissent, en temps utile, être repris, soit pour être retraités, soit pour être stockés. Quoi qu'il arrive, il faudra les reprendre. Il faut donc être en capacité de les reprendre dans de bonnes conditions.

Les déchets de faible activité à vie longue (FAVL) sont divers : des radifères et des graphites issus du démantèlement des centrales de première génération. Il est envisagé environ 300 000 mètres cubes à terminaison, avec 300 000 mètres cubes supplémentaires de déchets historiques à Malvési. Ces déchets sont faiblement radiotoxiques, ce qui suggère qu'ils pourraient être isolés en les stockant à au moins quelques dizaines de mètres, une profondeur beaucoup plus faible que les 500 mètres du projet de stockage géologique.

Nous constatons aujourd'hui qu'il n'existe pas de solution pour ces déchets. Pour les graphites, une solution est envisagée, mais elle pose des problèmes de démonstration de sûreté. Une concertation et une collaboration doivent avoir lieu entre l'Andra et les autorités de sûreté pour définir les scénarios, ce qui n'est pas facile pour une perspective de très long terme. Ce n'est pas la première fois que la commission indique qu'il n'existe pas de solution pour les déchets FAVL et nous sommes au regret de constater que les progrès en la matière ne sont plus incrémentaux.

Les déchets de très faible activité (TFA) sont les aciers et les gravats produits par le démantèlement et l'assainissement des installations nucléaires. D'après l'inventaire réalisé régulièrement par l'Andra, le démantèlement du parc produira un volume important de déchets TFA, soit deux millions de mètres cubes. À terminaison, le volume de ces déchets dépassera les capacités des sites de stockage existants. L'Andra travaille sur ce sujet, envisage des solutions et agrandit le centre de stockage actuel, le Cires. Les choses se déroulent bien, mais il faudra veiller à ce que ces projets d'extension de sites ne prennent pas trop de retard. Sans exutoire, il deviendrait nécessaire d'arrêter l'assainissement et le démantèlement, puis de mettre les installations sous surveillance, ce qui renchérirait le coût de ces opérations, une fois la décision prise d'arrêter les centrales. Il ne vous a pas échappé qu'il y a encore quelques hésitations sur le sujet, en France comme à l'étranger, ce qui est bien normal. Un calendrier doit être fixé et il faut veiller à ce qu'il soit bien tenu.

Je voudrais conclure par quelques mots sur les compétences. Les compétences doivent être à la hauteur des enjeux et il faudrait en particulier sortir de la tendance actuelle. Un chiffre nous a marqués. Le CNRS fait chaque année une enquête, dans ses laboratoires, pour savoir qui travaille dans des domaines touchant à l'énergie, en particulier l'énergie nucléaire. Le domaine nucléaire a connu une baisse de 30 % d'équivalents temps plein en cinq ans. Si cette tendance se poursuit, il n'y aura plus de cerveaux pour maintenir le parc, pour le faire fonctionner dans de bonnes conditions et il y aura encore moins de cerveaux pour s'occuper des projets futurs.

Il faut afficher une ambition claire de poursuite du développement de cette industrie, dans un mix énergétique décarboné. Cette ambition doit permettre de retrouver la disponibilité des ressources humaines, d'attirer les jeunes talents. On les attirera plus facilement avec des projets de réacteurs innovants qu'avec des projets de déconstruction des centrales actuelles. Bien que je ne sois pas certain que les enjeux techniques ne soient pas plus attractifs sur le démantèlement, il faut faire avec la psychologie.

Le deuxième élément important est celui de la disponibilité des infrastructures de recherche. Il faut être capable de qualifier des combustibles et des installations. Aujourd'hui, force est de constater qu'il y a très peu d'installations d'irradiation dans le monde. Pour vous donner un exemple, EDF souhaitait faire qualifier certains de ses combustibles. Or la seule installation disponible à l'heure actuelle est en Russie. Inutile de vous dire qu'aujourd'hui, ce n'est pas vraiment envisageable. Par conséquent, nous ne pouvons plus manipuler des quantités à l'échelle industrielle, dans des installations expérimentales, pour valider des processus industriels. Il est toujours possible de faire des validations en laboratoire sur quelques grammes, mais un chemin non négligeable reste à parcourir entre le gramme manipulé dans un laboratoire universitaire ou du CNRS et les dizaines de kilogrammes qu'il faut manipuler à une échelle industrielle. Ce passage est difficile et la collaboration internationale pose problème parce qu'il s'agit d'enjeux industriels, avec des dimensions de propriété intellectuelle importantes. Se rendre sur des installations à l'étranger oblige quasiment à ouvrir ses livres et donc à partager un savoir-faire industriel avec d'autres. Nous ne pouvons pas le faire avec n'importe qui et nos concurrents sont dans le même état d'esprit. Ils ne vont pas non plus ouvrir leurs livres aussi facilement. Il est donc important de disposer d'infrastructures de recherche, en particulier de moyens d'irradiation.

Le dernier élément, central dans la préservation des compétences, tient à la dynamique industrielle. Ce n'est pas tout de former les gens ; encore faut-il qu'ils aient un terrain de jeu, une pratique, des projets. Ces dernières années, nous avons connu cette difficulté avec des projets qui se sont arrêtés et qu'il faut redémarrer. Or, les compétences ne se remobilisent pas aussi facilement. Entre-temps, elles sont parties. Comme dans d'autres domaines, cette problématique est encore plus prégnante suite à la pandémie.

Relever ce défi nécessite donc trois ingrédients : une disponibilité des ressources, une disponibilité des infrastructures et une dynamique industrielle. Il importe aussi que le temps soit bien défini et que chaque élément arrive au moment où il faut. Il ne s'agit pas de former des gens pour leur dire de revenir dans dix ans parce que l'installation d'irradiation sera disponible à cette échéance. Les calendriers et les moyens doivent être cohérents, dans le sens des objectifs qui ont été assignés à la filière nucléaire.

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