Aux termes de l'article 140 de notre Règlement, « les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente ». Il appartient donc à la commission des affaires économiques de se prononcer sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France. Le 31 août, le président du groupe Les Républicains, M. Olivier Marleix, avait indiqué faire usage du pouvoir confié par l'article 141 de notre Règlement : « Chaque président de groupe d'opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l'exception de celles précédant le renouvellement de l'Assemblée, la création d'une commission d'enquête ».
Dans le cadre de ce droit de tirage, la commission compétente doit uniquement vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d'enquête sont réunies, sans se prononcer sur l'opportunité de celle-ci ; aucun amendement au texte de la proposition de résolution n'est recevable. Si notre commission estime que les conditions requises pour cette création sont réunies, la Conférence des présidents prendra acte de la création de la commission d'enquête.
Ces conditions sont au nombre de trois.
Premièrement, l'article 138 du Règlement de l'Assemblée nationale prévoit l'irrecevabilité de toute proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête ayant le même objet qu'une mission effectuée dans les conditions prévues à l'article 145-1 ou qu'une commission d'enquête antérieure avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l'une ou de l'autre. La présente proposition de résolution remplit ce critère de recevabilité.
Deuxièmement, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires indique qu'il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. L'article 139 de notre Règlement précise que le Président de l'Assemblée nationale notifie au Garde des sceaux le dépôt d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête ; le Garde des sceaux doit lui indiquer en retour si des poursuites judiciaires sont en cours. Interrogé par la Présidente de l'Assemblée nationale, le Garde des sceaux, ministre de la justice, lui a fait savoir par un courrier en date du 29 septembre 2022 qu'à sa connaissance, aucune poursuite judiciaire n'était en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la présente proposition de résolution.
Troisièmement, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 dispose que « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ». Cette condition est réitérée à l'article 137 du Règlement de l'Assemblée, qui prévoit que les commissions d'enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publiques dont la commission doit examiner la gestion ».
Dans le cas présent, la proposition de résolution vise à créer une commission d'enquête « chargée d'établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France sous la présidence de François Hollande puis d'Emmanuel Macron ». L'exposé des motifs souligne la hausse substantielle des importations d'électricité ces dernières années et met en avant les alertes du gestionnaire du réseau de transport d'électricité (RTE) sur l'approvisionnement en électricité de la France en 2022 et 2023 ainsi que la crainte de coupures de courant durant le prochain hiver. Il rapproche cette perte de maîtrise de notre approvisionnement électrique de l'affaiblissement des capacités de production nucléaire national, du fait notamment des retards du chantier de construction du réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville et de l'arrêt de trente-deux réacteurs nucléaires sur les cinquante-six que compte notre pays – il convient de préciser que le nombre de réacteurs nucléaires à l'arrêt est désormais de vingt-six. L'exposé des motifs interroge les politiques publiques menées depuis 2012, qui ont acté la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, mis un terme au projet de réacteur rapide refroidi au sodium à visée industrielle (Astrid), et favorisé les investissements dans les énergies renouvelables. Il leur oppose celles menées à la sortie de la seconde guerre mondiale et après le premier choc pétrolier, qui se sont attachées à construire l'indépendance électrique française en développant une importante industrie nucléaire civile.
Les auteurs de la proposition de résolution questionnent plus spécifiquement les décisions des chefs de l'État en fonction depuis 2012. Je rappelle que, constitutionnellement, une commission d'enquête parlementaire ne peut mettre en cause la responsabilité réelle ou hypothétique des présidents de la République dans l'exercice de leurs fonctions. En revanche, elle est dans son rôle lorsqu'il s'agit d'évaluer les politiques mises en œuvre par leurs gouvernements.
Il découle donc de l'exposé des motifs que l'objectif premier de la commission d'enquête est de comprendre les raisons de la perte par la France de son indépendance énergétique et de la perte de la souveraineté qui en découle, ainsi que d'en déterminer les causes politiques et les éventuelles responsabilités, en particulier pour ce qui concerne la définition des politiques énergétiques nationales et les choix stratégiques. Les objectifs que la commission d'enquête entend viser apparaissent décrits avec une précision suffisante.
J'exprimerai cependant quelques réserves sur son périmètre.
En premier lieu, si l'intitulé de la proposition de résolution évoque l'indépendance énergétique de la France au sens large, l'exposé des motifs ne traite que de la production et de l'approvisionnement électrique de notre pays. Il serait cohérent que la commission d'enquête ne s'attache qu'à cette question, qui est déjà vaste.
En second lieu, une recherche méthodique, impartiale et complète des causes de la crise actuelle ne saurait s'arrêter aux deux derniers quinquennats. Par exemple, le réacteur nucléaire le plus récent date de 2002. Lorsque la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique a défini le cadre législatif pour le projet EPR, le défi du renouvellement des centrales à l'horizon 2020 était déjà connu. Pourtant, un seul nouveau chantier a été lancé, en avril 2007, et les difficultés auxquelles il s'est trouvé confronté ont commencé avant 2012. Les productions électriques issues des énergies renouvelables n'ont elles-mêmes que très peu progressé dans les années 2000, en dépit d'interrogations déjà présentes sur notre avenir énergétique. Il paraît donc pertinent d'examiner aussi les choix opérés durant les précédents quinquennats en matière d'investissement dans les capacités de production nationale. Au demeurant, les politiques énergétiques étant élaborées et mises en œuvre sur la longue durée, elles impliquent par nature et par construction différents responsables, organismes et acteurs publics et privés. La commission d'enquête ayant pour objet de clarifier les causes politiques, stratégiques, opérationnelles, conjoncturelles, collectives et éventuellement individuelles de la situation actuelle, il paraît hautement discutable que la proposition de résolution en désigne d'ores et déjà les responsables, qui plus est avec un ton péremptoire et comminatoire, au risque de laisser penser que ses auteurs n'ont pas l'intention de mener les travaux approfondis et sans parti pris que de tels enjeux imposent.
Enfin, je ne peux que déplorer la violence des attaques personnelles que contient l'exposé des motifs, attaques qui ne reposent que sur l'opinion des auteurs et paraissent d'autant plus illégitimes et déplacées que la personne concernée ne peut y répondre.
En conclusion, la création de la commission d'enquête demandée par le groupe Les Républicains m'apparaît recevable d'un point de vue juridique. Toutefois, si je ne peux amender le texte de la proposition de résolution pour en expliciter la portée, j'insiste sur le fait que le bureau de la future commission devra bien préciser le périmètre de ses travaux au regard des exigences de légalité et d'efficacité d'une commission d'enquête.