Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du mercredi 5 octobre 2022 à 17h05
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Agnès Pannier-Runacher, ministre :

Merci, monsieur Armand, pour le panorama que vous avez dépeint. Je sais quel est votre rôle dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2023. Je suis à la disposition de la commission pour travailler sur les enjeux cités par les uns et les autres, notamment la rénovation thermique. Balayons devant notre porte : nous avons des marges de progrès en la matière. Nous avons déjà fait beaucoup pour massifier et accélérer la rénovation thermique, mais il faut continuer sur cette lancée.

Monsieur Blairy, vous évoquez une « préférence irrationnelle » pour les énergies renouvelables. Je vous renvoie à la lecture des travaux de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), du Giec, du HCC et de 95 % des scientifiques et experts des questions énergétiques : ils font tous du développement massif des énergies renouvelables une priorité, à la fois pour assurer la souveraineté énergétique et pour lutter contre le réchauffement climatique.

Vous plaidez pour un moratoire sur les éoliennes et une suspension des subventions. Je le redis, les énergies renouvelables, notamment celle produite par les éoliennes, permettent de financer le budget à hauteur de 20 milliards d'euros. C'est en quelque sorte une « subvention inversée », qui contribue aux objectifs du projet de loi de finances.

La géothermie et l'hydraulique, mentionnés par plusieurs d'entre vous, sont effectivement des sources d'énergie prometteuses. La géothermie est accompagnée dans le cadre du plan France 2030. La filière ne nous a pas adressé de demande particulière en matière législative. S'agissant de l'hydroélectricité, nous avons prolongé la concession de la Compagnie nationale du Rhône (CNR). Nous devons désormais aborder la question des concessions d'EDF, mais cela suppose d'achever au préalable l'opération de montée de l'État à son capital. Rappelons que nous avons déjà largement mobilisé les capacités hydroélectriques en France. Nous pouvons probablement, moyennant un investissement de quelques milliards d'euros, augmenter de 20 % à 30 % le potentiel des installations existantes, mais nous devons avoir en tête que le réchauffement climatique risque d'amoindrir la ressource en eau.

L'hydrogène est lui aussi une source d'énergie prometteuse. Le Gouvernement a décidé de consacrer 9 milliards d'euros à son développement dans le cadre du plan de relance et du plan France 2030. Nous avons promu un soutien européen – j'espère que vous le saluerez – à la filière hydrogène. La Première ministre a annoncé la semaine dernière l'implantation, dans ce cadre, d'une dizaine d'usines en France.

Si l'hydrogène est une technologie particulièrement adaptée pour la décarbonation de l'industrie et, probablement, pour celle de la mobilité lourde, tel n'est pas le cas à ce stade pour celle de la mobilité individuelle. Je vous renvoie à ce sujet aux travaux très précis du Conseil national de l'hydrogène – n'étant pas une experte, je m'inspire des études scientifiques. Pour la mobilité individuelle, c'est plutôt l'électrique qui tient la corde.

Bien évidemment, il ne faut pas faire la transition énergétique sans les Français. C'est pourquoi nous organisons des débats publics, avec la Commission nationale du débat public (CNDP).

Monsieur Prud'homme, les faits sont têtus, effectivement : cela fait plus de quatorze mois que le Gouvernement – M. Bruno Le Maire, ma prédécesseure Mme Barbara Pompili et moi-même – travaillons à la réforme du marché européen de l'électricité ; c'est la France qui est à la manœuvre et a fait bouger l'Union européenne à ce sujet. Par ailleurs, il ne faut pas dire tout et son contraire : le marché européen nous permet d'avoir accès à l'électricité dont nous avons besoin ; tel a été le cas pendant vingt jours l'année dernière. Cette électricité est produite au coût marginal de la centrale la plus chère, car il est normal de couvrir les coûts de production – autrement dit d'exclure la vente à perte.

Monsieur Maquet, vous soulevez la question de l'acceptabilité et évoquez le succès industriel et commercial du nucléaire, en précisant qu'il a toujours été consensuel. Ce n'est pas tout à fait exact : après les accidents de Tchernobyl et de Fukushima, il y a eu des périodes de creux dans le soutien de l'opinion publique. Nous devons être extraordinairement attentifs à la sécurité.

Notre filière nucléaire a effectivement été un succès – elle nous a permis de réduire d'environ un tiers notre dépendance énergétique – et nous devons la relancer. Nonobstant, les énergies renouvelables peuvent être un succès elles aussi.

Nous disposons désormais des principales briques technologiques – production des nacelles, des pales et des moteurs, entre autres – pour construire la filière éolienne marine. Cela a une vraie portée pour les projets que nous soutenons.

Pour ce qui est du photovoltaïque, en revanche, près de 80 % des parts de marché sont détenues par des industries chinoises. La politique énergétique comprend donc nécessairement une dimension industrielle, que nous devons promouvoir dans la passation des marchés publics, dans les négociations et la rédaction des cahiers des charges relatifs aux énergies renouvelables, dans le soutien au développement des filières, dans l'élaboration des règles du jeu européennes. Le mécanisme d'inclusion carbone aux frontières ou le règlement relatif aux batteries électriques sont prometteurs à cet égard.

La réduction à 50 % de la part du nucléaire dans notre mix énergétique correspond en réalité à une hausse, en valeur absolue, de la production d'électricité nucléaire, puisque notre production totale d'électricité est appelée à augmenter. Il nous faut à la fois beaucoup plus d'énergies renouvelables et plus d'énergie nucléaire. Ce n'est pas évident, car un certain nombre de centrales arrivent en même temps au terme de leur exploitation. Ce sera l'un des points de débat importants de la PPE.

Il n'y a pas de mesure de soutien à la méthanisation dans le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, car la filière ne nous avait pas signalé de besoins. Nous venons d'en identifier un : l'extension au gaz renouvelable des contrats de vente directe entre producteurs et consommateurs finals – Power Purchase Agreement (PPA). Si vous avez d'autres pistes, nous sommes tout à fait disposés à les examiner, car nous soutenons la méthanisation – il n'y a pas d'ambiguïté à ce sujet.

Les échéances qui jalonnent la trajectoire du projet Iter sont peu ou prou respectées. Néanmoins – je pense que vous le savez parfaitement –, c'est un projet de long terme, qui ne nous aidera pas à résoudre le problème de l'hiver prochain.

Monsieur Pahun, il convient certainement d'éloigner les parcs éoliens des côtes, mais je rappelle qu'il n'y a nulle part dans le monde de projet industriel d'éolien flottant. La technologie éprouvée est, à ce stade, celle de l'éolien posé. Les Pays-Bas et les pays riverains de la Baltique ont la chance d'avoir un plateau continental moins profond que le nôtre. Chez nous, les fonds peu profonds sont proches des côtes.

Les deux projets d'éolien flottant actuellement développés dans notre pays sont de capacité démonstrative, avec des coûts de production beaucoup plus élevés. Nous parviendrons à faire de l'éolien flottant, mais probablement après 2030. Parmi les 50 parcs éoliens annoncés, certains seront posés, d'autres seront flottants ; cela fera l'objet d'une programmation. Je vous rejoins sur un point : cette programmation doit être écologique et prendre en considération les différents territoires.

Madame Jourdan, je salue le fait que vous abordiez la question de la sobriété énergétique. J'ai pris connaissance de la contribution de votre groupe, intitulée « Pour une sobriété solidaire », qui comprend dix grandes mesures. Il s'agit pour beaucoup de mesures fiscales ou d'efficacité énergétique, qui peuvent être utiles pour lutter contre le réchauffement climatique, mais n'entrent pas complètement dans le champ de la sobriété énergétique. Pour notre part, nous nous attachons à changer les comportements. Je vous renvoie aux travaux de l'association négaWatt et du Réseau action climat, avec lesquels nous avons travaillé sur le plan de sobriété énergétique.

Je vous renvoie aussi au paquet Fit for 55, paquet « climat » européen très ambitieux de 3 500 pages, qui couvre tous les secteurs, notamment le transport maritime et le transport aérien. Il prévoit des mesures à l'échelle européenne, donc beaucoup plus puissantes, qui visent à empêcher les comportements de passager clandestin en matière d'émissions de carbone. Nous allons probablement le finaliser dans les prochains mois. La présidence française a emporté un accord global à ce sujet, notamment grâce à la force de traction du Président de la République.

Pour concilier les préoccupations de court terme et de moyen terme dans le domaine des énergies renouvelables, monsieur Alfandari, je crois à la planification écologique. Nous avons lancé les comités régionaux de l'énergie. C'est un début, et il faudra probablement descendre au niveau des départements. Les régions ont des compétences en matière d'énergie et de développement économique, mais c'est un échelon encore un peu trop élevé.

Dans la circulaire que nous leur avons adressée, nous avons demandé aux préfets non seulement d'accélérer le traitement des dossiers – pour lever les incertitudes, en apportant une réponse positive ou négative –, mais aussi de s'engager dans une concertation avec les élus, dans un travail d'accompagnement, d'aide à la décision et de cartographie des territoires propices au développement de tel ou tel type d'énergie renouvelable. Nous devons évidemment être vigilants quant aux contraintes de certains territoires – existence d'un plan de prévention des risques (PPR), présence d'un site patrimonial remarquable, absence d'acceptabilité –, mais il ne faudrait pas non plus que, dans un département donné, la zone jugée propice soit très restreinte par rapport au besoin de production. Les travaux que j'entends conduire dans le cadre de la PPE doivent nous permettre de mesurer l'écart entre l'acceptable et le nécessaire.

Concernant le marché de l'énergie, une action coordonnée au niveau européen me semble possible ; nous avons beaucoup progressé au cours des derniers jours. Il y a trois sujets à traiter.

Premier sujet : l'éventuel plafonnement du prix du gaz, notamment du gaz livré par gazoducs, sachant que les fournisseurs ont dans ce cas une moindre capacité à réorienter leurs flux et davantage de pouvoir de négociation. Mon homologue norvégien chargé du climat, que j'ai rencontré hier à Kinshasa en marge de la réunion préparatoire à la COP27, a réaffirmé la volonté très forte de son gouvernement de trouver des solutions. D'autres pays ont déjà des prix tout à fait compétitifs.

Deuxième sujet : l'approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL). Le marché du GNL est mondial et s'élève à 400 térawatts. Il nous faut remplacer 100 térawatts de gaz russe – 40 % des livraisons de gaz à l'Europe. Le GNL ne se produisant pas de manière aussi aisée, il faudra trois ou quatre ans pour qu'il prenne le relais. Il s'agit bien de gérer des flux.

Troisième sujet : la déconnexion du prix de l'électricité de celui du gaz. Nous nous orientons vers un « mécanisme ibérique » revisité pour l'ensemble de l'Europe. La négociation se poursuit et avance raisonnablement. Mes équipes auront demain une discussion technique détaillée avec la direction générale de l'énergie de la Commission européenne et l'ensemble des pays européens.

Les ministres européens de l'énergie sont convaincus qu'il faut aller de l'avant. Le marché de l'énergie fera l'objet d'un point au Conseil européen informel qui se tiendra à la fin de cette semaine.

Vous estimez, monsieur Thierry, que la crise aurait pu être anticipée. Je tiens à féliciter de leur prescience ceux qui avaient vu dans leur boule de cristal que la Russie agresserait l'Ukraine et que les livraisons de gaz et de pétrole cesseraient dans les mois suivants ! Il s'agit d'un choc d'offre exogène majeur. Cette guerre, dirigée contre nos valeurs, n'était pas nécessairement prévisible.

Vous avez raison, il faut développer massivement les énergies renouvelables. C'est ce que nous faisons, et je compte sur le soutien de votre groupe au projet de loi que nous présentons. Je crois comprendre qu'il n'est pas tout à fait acquis, mais je suis à votre disposition pour travailler en ce sens.

Contrairement à ce que vous avez dit, le bâtiment est l'un des secteurs qui a le plus contribué à la réduction des consommations énergétiques. C'est d'ailleurs aussi celui qui devrait y contribuer le plus dans les années qui viennent. Je tiens à souligner que nous respectons la trajectoire définie dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) révisée, mise en œuvre depuis 2018. Autrement dit, nous respectons notre budget carbone.

Nous travaillons sur une SNBC complémentaire, pour accélérer encore le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous avons relevé de près de 30 % notre objectif en la matière au niveau européen. L'Europe est le continent le plus ambitieux à cet égard.

S'agissant du bouclier tarifaire, le chèque énergie est le dispositif le plus ciblé et pour lequel le taux de recours est le plus élevé. C'est ce que nous disent les organisations syndicales, les associations de lutte contre la précarité – je les ai rencontrées – et les organisations non gouvernementales (ONG). De plus, c'est un dispositif qui favorise la sobriété.

Vous avez parfaitement raison, monsieur Castor, la situation en Guyane n'est pas digne d'un pays comme la France. Cet été, l'électricité a été coupée pendant de longues heures dans des secteurs entiers de la Guyane. J'ai été mobilisée pour suivre, avec EDF, le rétablissement des infrastructures. La Guyane est une zone non interconnectée (ZNI) et requiert une PPE spécifique. M. Jean-François Carenco, ministre chargé des outre-mer, et moi-même sommes prêts à y travailler. Concernant la centrale électrique du Larivot, nous bataillons pour obtenir des résultats, ce qui n'est pas simple. Un contentieux est en cours, dans lequel la position de l'État a été constante.

De manière générale, pour les territoires ultramarins et pour la Corse, qui sont des ZNI, il est essentiel qu'il y ait des PPE, des engagements et une décarbonation. Je suis prête à y travailler.

Monsieur Saint-Huile, vous évoquez à juste titre la décarbonation des entreprises industrielles. Même si ce n'était pas pleinement satisfaisant, je me réjouis que le dispositif d'activité partielle ait permis de maintenir à flot les industries fortement engagées dans cette voie. Je vais de nouveau passer en revue l'ensemble des projets de décarbonation. En dépit de l'inflation, ils ont été poursuivis, mais certains se demandent aujourd'hui si nous avons les moyens de les mener à bien. Or ils sont nécessaires à notre pays. Je rappelle que la majeure partie de notre empreinte carbone est importée. Autrement dit, nous sommes perdants sur les deux tableaux : l'économie et l'écologie. Nous devons donc à la fois décarboner nos industries et faire en sorte qu'il fasse bon produire en France, dans des conditions sociales et environnementales exigeantes.

Concernant la place des élus dans les discussions sur les énergies renouvelables, vous avez parfaitement raison. J'ai apporté un élément de réponse tout à l'heure en évoquant les comités régionaux de l'énergie.

EDF s'est engagée à rouvrir les tranches nucléaires qui étaient à l'arrêt cet été. Je vous renvoie au site de RTE, qui indique la situation des centrales au jour le jour. D'autres tranches, en revanche, vont entrer dans une phase de maintenance – il y a un effet de noria. L'enjeu est de se conformer au scénario préconisé par RTE : une capacité de production de 45 gigawatts en janvier. C'est le scénario retenu par EDF, avec une part d'aléa classique.

Le rapport d'audit sur les maintenances, commandé par ma prédécesseure Mme Barbara Pompili, m'a été remis. Il existe des leviers d'amélioration, de l'ordre de trois à quatre semaines. Les mesures ont été recommandées par des experts du nucléaire et de la maintenance industrielle. EDF a joué le jeu et les a incorporées dans son programme d'excellence opérationnelle. Les déployer prendra quelques années ; il y a notamment un enjeu de formation et d'attractivité des métiers. Nous constatons un regain d'attractivité du nucléaire, en tout cas dans les carrières d'ingénieur, ce qui est une très bonne nouvelle.

Combien de réacteurs seront prolongés ? C'est une excellente question, que je vous invite à poser à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui est une autorité indépendante. La prolongation au-delà de 50 ans est a priori acquise pour l'ensemble des réacteurs. En revanche, la prolongation jusqu'à 60 ans est une véritable question, qu'il faudra examiner dans le cadre de la PPE. Différentes sensibilités s'expriment à ce sujet. À ce stade, nous ne pouvons pas garantir que tous les réacteurs seront en état d'être prolongés jusqu'à 60 ans.

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