« La peur règne malgré le couvre-feu. Nous restons enfermés dans la maison, un sac prêt si jamais nous devons partir… Mais pour aller où ? Nous sommes comme tout le monde sur le qui-vive. Nous espérons un retour au calme aussi vite que possible. » Voilà le message que j'ai reçu tout à l'heure : comme un grand nombre d'entre nous, je connais des gens qui habitent en Nouvelle-Calédonie et dont l'inquiétude est ce soir plus profonde que jamais. Notre responsabilité en tant que législateur n'est pas d'attiser la tension, mais d'essayer de trouver des solutions : je constate avec regret que le débat que nous avons eu, même s'il était intéressant, riche, manifestant la diversité de nos positions, elles-mêmes reflets de la diversité de celles qui existent en Nouvelle-Calédonie, n'a pas apporté de solution. Ses conclusions posent plus de problèmes au futur accord éventuel qu'elles n'en facilitent la concrétisation. Il suffit de voir ce qu'un débat législatif peut encore produire en France : c'est à la fois le signe que la politique peut beaucoup et celui qu'elle a échoué pour l'instant. Édouard Philippe le disait lui-même lors de son audition : ce texte ne permettra malheureusement pas de répondre à l'urgence de la situation.
Notre responsabilité collective, c'est de faire en sorte que le vote de ce soir ne soit qu'une étape. Il peut ne pas y avoir d'examen du texte par le Congrès, pas de réforme constitutionnelle : il y va de la responsabilité du Gouvernement. Il devrait se passer au moins un mois – j'espère davantage – avant que le Président de la République ne convoque le Congrès ; d'ici là, notre responsabilité collective, je le répète, est de permettre un retour au chemin du dialogue. Malheureusement ce vote solennel, à une heure tardive – même si c'est le matin à Nouméa –, prouve que notre démocratie est imparfaite, y compris en Nouvelle-Calédonie, où des personnes qui devraient pouvoir voter n'en ont pas le droit, tandis que d'autres souhaitent conserver la possibilité de poursuivre un processus de décolonisation déjà amorcé.
Nous le disons encore une fois, monsieur le ministre : au lieu d'une réforme de la citoyenneté, c'est-à-dire de la liste électorale pour les provinciales et pour le Congrès de Nouvelle-Calédonie, au lieu d'une petite modification constitutionnelle, il faut une grande réforme constitutionnelle, globale. Comme toutes les forces républicaines, les socialistes ont toujours pris part à la construction de cet édifice ; mais celui-ci, je le rappelais en évoquant Michel Rocard, s'est toujours bâti par le compromis et le consensus. Peut-être est-ce là une culture politique propre à ces îles du Pacifique ; reste qu'en période de majorité relative, nous devrions avoir en permanence le consensus à l'esprit. Dès lors, au-delà du renouvellement de la mission du dialogue, de la nécessité de suspendre le processus constitutionnel afin de dialoguer, de la nécessaire reprise en main du processus par Matignon, je vous rappellerai, monsieur le ministre, les mots de Lionel Jospin : « L'accord de Nouméa est un succès pour la Nouvelle-Calédonie et pour la France. Il ouvre une nouvelle période de paix pour ce territoire à l'histoire trop longtemps troublée. » Aujourd'hui, l'accord de Nouméa prend fin : nous devons faire en sorte que la paix continue. Ce dégel suscite la crainte de ceux qui sont attachés à leur identité : il nous faudra inventer une Nouvelle-Calédonie qui puisse vivre de sa diversité, de la richesse de ses cultures, mais aussi de son économie, étant donné la question de l'avenir du nickel. Cette réforme qui a embrasé la Nouvelle-Calédonie n'est pas à la hauteur et a marqué une rupture qu'il nous faudra réparer.
Je conclurai, chers collègues, par les mots du poète, auteur et compositeur Paul Wamo : « Je viens d'un petit caillou séché par le soleil /Je viens d'un océan Pacifique le plus grand et le plus oublié du monde /[…] /Le pouvoir de changer les choses commence par un petit pas /Le pouvoir de changer les choses commence par changer soi /Et même si le temps est long jusque-là /Le soleil lui se lèvera toujours toujours. » J'espère que malgré cette réforme, parce que nous sommes collectivement mobilisés pour la paix, le soleil se lèvera toujours en Nouvelle-Calédonie.