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Intervention de Roger Chudeau

Séance en hémicycle du lundi 6 mai 2024 à 21h30
Conséquences des bouleversements menés par le gouvernement en matière éducative

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger Chudeau :

Les rédacteurs de l'intitulé du débat de ce soir ont eu recours à une bizarrerie sémantique : puisqu'ils ont choisi le verbe « mener » en lieu et place du verbe « provoquer », c'est du verbe « mener » que nous partirons.

Le Gouvernement mène-t-il quoi que ce soit en matière de politiques éducatives ? Ces menées produisent-elles des bouleversements dans le système éducatif ? À la première question, nous répondons que non, le Gouvernement n'a pas de politique éducative, tandis que nous répondons par l'affirmative à la seconde : ses menées bouleversent bien l'école.

Qu'ont fait les gouvernements qui se sont succédé depuis 2017 ? Ils ont dédoublé certaines classes en REP, réformé le lycée et le baccalauréat et octroyé l'augmentation indemnitaire des débuts de carrière. Ces éléments tangibles viennent avec beaucoup, si ce n'est énormément, de communication, sur tous les sujets susceptibles d'émouvoir l'opinion publique : harcèlement, abaya, laïcité, violence, autorité, « choc des savoirs », redoublement, groupes de niveau et tutti quanti.

Examinons d'abord les avancées tangibles. Le dédoublement de certaines classes des établissements de REP est célébré par le Gouvernement comme un succès. Hélas, plus de 10 000 emplois supplémentaires en REP n'auront produit, en guise de progrès, que quelques frémissements. Ces dédoublements ont été faits en dépit du bon sens, car c'est en petite et en moyenne sections qu'il aurait fallu y procéder en priorité : c'est en leur sein que se constitue un rapport au langage et que s'acquiert le vocabulaire sans lesquels les apprentissages suivants sont compromis. De toute façon, lorsque les élèves rejoignent des classes ordinaires, leurs performances s'effondrent : tout ça pour ça !

Après la réforme du lycée et du baccalauréat, une pagaille noire règne dans les lycées. La classe, ce lieu central de la construction de l'étude et de l'appréhension des savoirs enseignés, a explosé en de multiples regroupements. L'enseignement des mathématiques générales accuse un net recul, surtout chez les jeunes filles. Le baccalauréat n'est plus que l'ombre de lui-même. Les spécialités ne sont même plus prises en compte par l'algorithme de la plateforme Parcoursup, qui ne retient que les notes de contrôle continu : d'importantes tensions et la dégradation de la relation pédagogique en ont résulté. Le bac est désormais une formalité administrative, un certificat de présence, comme l'illustrent les taux de succès extravagants à cet examen.

L'augmentation des jeunes professeurs est, pour l'essentiel, indemnitaire. Elle combine une augmentation socle et une augmentation acquise au titre du pacte enseignant. C'est bien là que gît le lièvre, car ledit pacte n'a été signé que par 30 % du corps enseignant, alors qu'il est censé permettre tous les remplacements de courte durée : on est donc très loin du compte ! Comment pouvez-vous prétendre respecter l'obligation de moyens, alors que vous avez recours à des personnels volontaires ou, justement, non volontaires ? Votre système ne peut fonctionner ! Il en va de même des activités de soutien aux élèves en difficulté.

Les enseignants en milieu de carrière sont les dindons de la farce que constituent les mesures catégorielles. Après le coup de rabot de 10 milliards d'euros, qui d'ailleurs en annonce un autre, ils attendront !

On le voit, ces décisions, ces indéniables efforts budgétaires, ne présentent aucune cohérence et ne renvoient pas davantage à un concept ou à une politique d'ensemble, systémique et débattue avec la représentation nationale. En matière éducative comme dans bien d'autres domaines, le Gouvernement navigue à vue. J'affirme qu'il n'y a pas de politique éducative depuis 2017.

Cette absence de boussole stratégique entraîne ce que la NUPES appelle des bouleversements et que j'appellerai, avec une plus grande modération, des troubles dans l'institution scolaire. En soi, les groupes de niveau ne constituent pas une mesure antiscolaire, bien au contraire, mais la façon dont ils sont imposés aux établissements contrevient directement à l'autonomie de décision des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE), pourtant prévue par la loi. Il revient en effet à chaque EPLE d'organiser l'action pédagogique et éducative dans le cadre de son projet d'établissement, mais à vouloir ainsi tordre le bras aux établissements, vous avez, madame la ministre, obtenu l'effet contraire de celui que vous cherchiez. Alors pourquoi l'avoir fait ? Sans doute pour montrer les muscles du Gouvernement – le fameux « choc des savoirs » – à une opinion publique atterrée par les résultats de notre école, lesquels ont été révélés par l'enquête Pisa – Programme international pour le suivi des acquis des élèves – menée en 2022.

Du reste, l'autonomie des EPLE ne paraît pas vous intéresser : 50 % d'entre eux n'ont même pas de projet d'établissement, ce qui ne semble pas vous émouvoir. Quant aux campagnes gouvernementales sur le harcèlement et la laïcité, chacun peut constater leur effet : l'affaire Samara et l'assassinat de Shemseddine démontrent tragiquement que des rodomontades ne suffisent point à reprendre la main sur une situation totalement dégradée par des décennies de laxisme complaisant.

Votre sursaut d'autorité est une plaisanterie : « séjours de rupture » en internat, mention « fauteur de troubles » dans le dossier Parcoursup et autres fariboles du même tabac sont des cautères sur une jambe de bois.

Vous avez bloqué récemment le paiement des heures supplémentaires, celui des indemnités pour mission particulière (IMP), et même celui des heures effectuées dans le cadre du pacte enseignant, dont vous vouliez récupérer les crédits car le Gouvernement est aux abois en matière budgétaire. Devant la bronca générale ainsi provoquée, vous avez piteusement rétabli les paiements. Est-ce ainsi que l'on gouverne l'institution scolaire ?

En dépit, ou plutôt à cause de l'absence de politique éducative, vous réalisez la performance de déstabiliser un peu plus l'école de la République. Beau bilan.

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